Joschka Fischer

Ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier allemand de 1998 à 2005. Ancien dirigeant du Parti Vert allemand pendant près de 20 ans.

Désamorcer l’Iran

Le 27 février 2014 à 11h33

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

Des négociations sur le programme nucléaire iranien ont commencé, le 18 février à Vienne, entre l’Iran et les membres permanents du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne. L’alternative à ces discussions serait un nouveau renforcement par l’Iran de son programme nucléaire, suivi de nouvelles sanctions internationales.  

Et, en fin de compte, une nouvelle guerre au Moyen-Orient qui ne résoudrait rien. La question se pose donc de savoir s’il est possible de conclure un accord détaillé qui respecte le droit de l’Iran à se doter du nucléaire civil, tout en apaisant les préoccupations de la communauté internationale concernant les risques d’une course aux armements.

 

BERLIN – L’accord intérimaire conclu en novembre dernier à Genève reflète l’acceptation de fait par l’Occident du droit de l’Iran à enrichir faiblement l’uranium comme l’y autorise le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Les pays occidentaux ont débloqué pour près de 7 milliards de dollars d’avoirs iraniens gelés et levé certaines sanctions (en particulier concernant le pétrole brut et les pièces automobiles), tandis que de son côté, l’Iran a accepté de suspendre ses activités nucléaires les plus sensibles. Ces concessions bilatérales constituent la base d’un accord durable. Mais concrétiser le potentiel de cet accord ne sera pas une tâche aisée.

Tout d’abord, un gouffre de méfiance mutuelle devra être surmonté. Les pays occidentaux, comme Israël, ne pensent pas que le programme nucléaire iranien ait des objectifs uniquement pacifiques. Si c’était le cas, pourquoi l’Iran investirait-il des milliards de dollars dans un programme pour ainsi dire taillé sur mesure pour un usage militaire, y compris le développement de missiles longue portée ?

Absence de confiance mutuelle

Les autorités iraniennes restent quant à elles convaincues que les Etats-Unis cherchent toujours à imposer un changement de régime. Du point de vue iranien, accepter la main tendue par les Américains dans un esprit de conciliation pourrait se révéler être un poing fermé.

De plus, tout compromis sera vivement contesté au sein de chaque partie, donnant éventuellement lieu à des troubles politiques sérieux au plan national. Et même si les dirigeants actuels de chacune des parties sont sincères, qui dit que leurs successeurs le seront également ?

L’absence de confiance entre les puissances occidentales et la république islamique mène directement au second obstacle à la signature d’un accord définitif : la vérification et le suivi. Le point central de ces négociations, autour duquel s’articulent toutes les autres questions, est celui de la « capacité de désengagement » de l’Iran – c’est à dire le temps qu’il lui faudrait pour revenir sur les engagements conclus avec l’Occident et mettre au point l’arme nucléaire. Quel serait le niveau de surveillance nécessaire, non seulement pour vérifier la conformité aux engagements pris, mais également pour pointer toute tentative de désengagement ?

Les questions techniques sont complexes, et le diable proverbial se niche effectivement dans la multitude de détails. Mais il faudra pour parvenir à un accord résoudre trois points d’ordre général.

Les deux premiers font écho aux deux voies vers l’arme nucléaire : l’enrichissement de l’uranium et la production de plutonium. Tout accord viable implique que l’Iran renonce à enrichir l’uranium au-delà des 5 pour cent nécessaires à un programme d’énergie nucléaire civile ; qu’il accepte une limitation de la quantité d’uranium enrichi, du nombre de centrifugeuses et des capacités technologiques ; qu’il renonce au retraitement et qu’il reconsidère les activités du réacteur à eau lourde d’Arak. Le troisième point concerne les moyens de contrôle et de surveillance, qui à moyen terme devraient sans doute aller au-delà des niveaux prévus par le Protocole additionnel au TNP et comprendre certaines installations militaires.

En fait, la durée de l’accord revêt une importance fondamentale. Les puissances occidentales souhaitent qu’il porte sur une période aussi longue que possible, tandis que la république islamique voudrait qu’il ne soit valide que sur une courte période durant laquelle elle pourrait atteindre ses principaux objectifs : une levée complète et durable des sanctions internationales et la reconnaissance de l’Iran comme puissance nucléaire non militaire dans le cadre du TNP.

Une autre question importante se pose dans ce contexte : le président américain Barack Obama dispose-t-il réellement d’un mandat national pour négocier une levée complète des sanctions ?

Nous revenons au problème central de ce processus : les questions techniques, bien qu’importantes, ne sont que le reflet des conflits et animosités politiques sous-jacents. Ce sont les véritables facteurs à l’origine de la confrontation que les négociations de Vienne doivent désamorcer au cours de six prochains mois. De plus, les conflits sectaires et régionaux actuels au Moyen-Orient ont une influence directe sur ces négociations.

L’Iran veut devenir une puissance nucléaire

Tous les acteurs de ce processus – y compris ceux dont la présence est fortement ressentie, comme l’Arabie saoudite et Israël,  même s’ils ne sont pas à la table des négociations  - se cramponnent à leur position initiale. Les Etats-Unis ne veulent pas que l’Iran devienne une puissance nucléaire militaire ou qu’il assoie sa prédominance régionale ; surtout, les Américains ne veulent pas d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient. De son côté, la république islamique veut devenir une puissance nucléaire (non militaire ?) et influer sur une région dans laquelle elle est déjà très impliquée au plan militaire (en Syrie, au Liban, et en Irak).

L’Union européenne partage la position des Etats-Unis, mais se montre plus flexible. L’Arabie saoudite, une puissance sunnite, veut empêcher que l’Iran, chiite, devienne une puissance émergente, ou pire, une puissance nucléaire du Golfe et soutient résolument ses adversaires en Syrie, au Liban et en Irak. Israël s’oppose à ce que l’Iran soit une puissance nucléaire – ou même un pays sur le point de se doter de l’arme nucléaire – et est prêt à l’empêcher par des voies militaires.

Désamorcer ensemble la bombe à retardement nucléaire

Pour atteindre un compromis durable et acceptable par toutes les parties (même en grinçant des dents), les négociations devront s’accompagner de mesures diplomatiques propres à établir la confiance, dans la région et au-delà. L’Europe est experte en la matière et devrait faire usage de cette expérience à bon escient.

L’Iran doit décider s’il veut suivre la voie de la Corée du Nord vers l’isolement sur la scène internationale, ou une variante de la voie chinoise vers l’intégration dans l’économie mondiale. La république islamique doit également comprendre que ses relations avec Israël et l’Arabie saoudite affecteront l’issue des négociations, en bien ou en mal.

Et l’Occident – les Etats-Unis, l’Europe, et surtout, Israël – doivent apprendre à vivre avec l’idée d’un programme nucléaire civil iranien, tout en limitant la capacité de ce pays à se doter de l’arme nucléaire. Comme le montrent les exemples extrêmement différents que sont la Chine et l’Union soviétique, le régime iranien pourrait s’effondrer subitement ou changer du tout au tout – probablement au moment où l’on s’y attendra le moins. Jusqu’alors, nous devrons tout mettre en œuvre pour désamorcer ensemble la bombe à retardement nucléaire.

Traduit de l’anglais par Julia Gallin

© Project Syndicate 1995–2014

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