Iskander Erzini Vernoit

Économiste et spécialiste de la politique climatique.

Imane Saidi

Chercheuse au sein du Programme sur la diplomatie et la coopération, au think-tank l'Initiative IMAL pour le climat et le développement.

De Dubaï à Bakou : que retenir des négociations de la COP28 et quelles perspectives pour la COP29 ?

Le 15 février 2024 à 10h06

Modifié 15 février 2024 à 11h15

Malgré les tensions géopolitiques actuelles résultant des décès et déplacements forcés des Palestiniens, causés par le gouvernement israélien, ainsi que la perte croissante de confiance des Nations du Sud en la capacité des pays occidentaux à respecter l’état de droit, la communauté internationale s’est vue convoquée à Dubaï pour délibérer sur les enjeux cruciaux du dérèglement climatique.

Au même immense campus que l'Expo 2020, se sont tenues des négociations qui ont mis en exergue la nouvelle phase des processus de l’Accord de Paris, orientée vers la mise en œuvre et les moyens qui y seront consacrés.

De ce fait, les négociations qui ont suivi au cours des deux semaines ont été particulièrement ardues, notamment en ce qui concerne les résultats ambitieux escomptés sur le premier Bilan mondial (Global Stocktake, ou GST) du progrès de l'Accord de Paris, le cadre de l'Objectif mondial d'adaptation (Global Goal on Adaptation framework, ou GGA), le programme de travail sur l'atténuation, le programme de travail sur les voies de transition justes et les questions liées au Nouvel Objectif Collectif Quantifié (New Collective Quantified Goal, ou NCQG) et autres questions financières.

Pertes et Préjudices : 792 millions de dollars promis, mais encore ?

Lors de la séance plénière d'ouverture, les parties ont rapidement adopté une décision opérationnalisant le nouveau fonds de pertes et préjudices (FP&P) établi préalablement à Charm el-Cheikh. Cette décision historique est l’aboutissement d’une année de réunions du comité de transition et d’ateliers mandatés. Au cours de ces rencontres, les pays en développement membres et les pays développés membres se sont opposés avec véhémence sur la plupart des questions. Ces divergences incluaient la nature, la portée et l’ampleur du financement, ainsi que les dispositions institutionnelles et l’emplacement du fonds pour les pertes et préjudices.

Force est de constater que le G77+Chine, coalition de 134 pays en développement, a été poussé dans ses derniers retranchements et a dû faire de nombreux compromis. Cela inclut notamment l’accueil par la Banque mondiale du fonds en tant que Fonds d’intermédiation financière (FIF) pour une période intérimaire de 4 ans, sous réserve du respect d’une série de conditions. Les pays en développement ont pu toutefois célébrer quelques victoires de la décision concernant l’indépendance du Secrétariat du Fonds ou bien l’orientation du fonds par le CMA et la COP.

Le Fonds pour les pertes et préjudices a, par ailleurs, rapidement encaissé des financements : plusieurs parties ont annoncé des promesses pour sa mobilisation initiale de ressources à la sortie de la conférence, les promesses au fonds dépassaient les 700 millions de dollars, dont 100 millions de dollars par les Émirats arabes unis et 100 millions par l'Allemagne, 100 millions d'euros par la France et 100 millions par l'Italie, 40 millions de livres sterling par le Royaume-Uni et 17.5 millions de dollars par les Etats-Unis. Bien que constituant la plus grande économie à revenu élevé au monde et portant une responsabilité historique significative, les Etats-Unis continuent de se soustraire à leur juste part (fair share).

Malgré ce déferlement d’engagements, reflétant des intentions politiques louables, de nombreuses interrogations demeurent quant à la nature de ces promesses. Les experts considèrent que la plupart de ces engagements de financement pour les pertes et préjudices ne sont pas additionnels, signifiant qu’ils proviennent des fonds internationaux pour l’adaptation, qui se révèlent déjà largement insuffisants.

En ce qui concerne les prochaines étapes de l'opérationnalisation complète du FP&P, la Banque mondiale dispose de six mois après la conclusion de la COP28 pour accepter d’accueillir le Fonds conformément aux conditions défendues par les pays en développement dans le texte de décision.

Quant au “Board” du Fonds, les nominations des membres sont en cours et le secrétariat a été chargé de convoquer la première réunion, au plus tard le 31 janvier 2024. Toutes les dispositions visant à garantir que le Fonds fonctionne sous la direction de la COP et la CMA seront examinées et approuvées lors de la COP29.

L’adaptation : le GGA, un nouveau cap ?

Après deux semaines de débats interminables sur des textes de décision non exhaustifs, sur des définitions communes d'objectifs mesurables, l'inclusion d'objectifs sur la fourniture de moyens de mise en œuvre (financement, transfert de technologie et renforcement des capacités), la référence à l'équité et aux principes de responsabilités communes mais différenciées (RCMD), ainsi que l'établissement d'un nouvel élément permanent à l'ordre du jour des Organes Subsidiaires (OS), les parties ont finalement adopté le cadre de l'Objectif mondial d'adaptation (GGA) lors de la séance plénière de clôture.

Ce GGA a été établi principalement pour rehausser le profil politique de l'adaptation en renforçant la capacité d'adaptation et la résilience tout en réduisant la vulnérabilité au changement climatique. Son cadre propose un ensemble d'objectifs qui faciliteront l’évaluation des progrès réalisés vers la réalisation de ces objectifs.

Certains objectifs pertinents à relever pour le Maroc et l’Afrique à l’horizon 2030 et au-delà comprennent :

  • Réduire de manière significative la pénurie d'eau induite par le climat et renforcer la résilience climatique aux risques liés à l'eau en vue d'un approvisionnement en eau résilient au climat, d'un assainissement résilient au climat et d'un accès à une eau potable sûre et abordable pour tous ;
  • Atteindre une production alimentaire et agricole résiliente au climat, ainsi que la distribution alimentaire, tout en augmentant la production durable et régénérative et en assurant un accès équitable à une alimentation et une nutrition adéquates pour tous.

D’autres objectifs thématiques liés à la pauvreté et modes de subsistance, les régions montagneuses et la santé y sont inclus également. On y retrouve aussi des objectifs dimensionnels du cycle politique itératif d'adaptation concernant l’évaluation de l’impact, de la vulnérabilité et des risques (notamment, l’objectif de munir toutes les Parties de systèmes d’alerte précoce multirisque d’ici 2027), la planification, la mise en œuvre, et le suivi et l’évaluation et apprentissage. La décision relative au GGA a instauré un nouveau programme de travail sur deux ans pour élaborer des indicateurs permettant de mesurer les progrès réalisés vers ces objectifs.

Dans l’ensemble, le financement ou les “moyens de mise en œuvre”, étaient et demeurent l’une des questions les plus saillantes pour le GGA. Malgré le “noting with concern” de l'écart croissant du financement de l'adaptation (situé entre 194 et 366 milliards de dollars par an selon le rapport du PNUE sur le déficit d’adaptation 2023), les engagements mondiaux énoncés dans le cadre du GGA, aussi prometteurs soient-ils, n’ont pas été étayés par un engagement de soutien financier par les pays développés.

Toutefois, 2024 offre l’importante opportunité d’assurer un soutien financier pour l’adaptation, à travers différentes réunions des processus de la CCNUCC qui jalonneront l’année. La COP29 sera le moment pour l’adoption du NCQG, le nouvel objectif de financement climatique qui, idéalement, devrait inclure un engagement significatif envers l’adaptation. Par ailleurs, des pays en développement souhaitent que le Comité Permanent des Finances se penche sur l’estimation des coûts associés à chaque objectif du cadre du GGA.

L’atténuation : des signaux forts, mais des défis encore plus persistants

Après que la présidence émiratie ait remué ciel et terre, ministres et négociateurs, dans la quête d’un résultat historique sur le GST, les Parties ont validé un texte qui envoie des signaux clairs sur le “transitioning away from fossil fuels in energy systems” et l'introduction de “net zero emission energy systems” avec pour objectif l'année 2050 pour atteindre le zéro net mondial.

Le texte de décision soutient le triplement de la capacité d'énergie renouvelable à l'échelle mondiale et le doublement du taux annuel moyen mondial d'amélioration de l'efficacité énergétique d'ici 2030, ainsi que réitère le langage de la COP26 sur la réduction progressive de la puissance charbonnière.

La section portant sur l’atténuation du GST a été propice à de multiples oppositions fatales. Dans ce sens, les parties ont débattu du langage autour d'une réduction ou d'une élimination progressive des énergies fossiles (potentiellement "abated" ou "unabated"). Quelques pays ont rejeté entièrement cette notion, préconisant de se concentrer sur les émissions, et non sur les sources d'émissions. Une grande partie du débat s’est focalisée sur la manière de refléter les responsabilités différenciées des pays pour une transition énergétique juste.

En ce qui concerne le Programme de travail sur l'ambition et la mise en œuvre de l'atténuation (Mitigation Work Programme, ou MWP), les parties se sont penchées sur la première année du programme de travail, et les principaux points de débat ont porté sur les domaines à améliorer, tels que la participation d'experts et l'extension du champ des dialogues pour inclure des secteurs supplémentaires. Certaines parties ont appelé à l'organisation de dialogues régionaux ; d'autres ont affirmé que le programme de travail était conçu pour être mondial. Néanmoins, les parties ont adopté une décision sur le MWP sans lien clair avec le résultat du GST, cependant, on y retrouve un point à l'ordre du jour de la réunion des Organes Subsidiaires cette année.

La finance : inaugurant 2024, l'année de la finance climat

Lors de la COP29 en 2024, le New Collective Quantified Goal en matière de financement climatique est censé être adopté pour remplacer l’engagement de 100 milliards de dollars par an de 2020-2025. Ce nouvel objectif vise à englober le financement pour l’atténuation, y compris l’énergie et l’adaptation, incluant le GGA, ainsi que potentiellement les pertes et préjudices. Il est important de noter que l’inclusion de cette dernière catégorie demeure une proposition contestée par plusieurs pays riches et pollueurs historiques.

La COP28 n’a pas osé aborder ou anticiper le NCQG en termes substantiels, mais elle a prévu une voie procédurale plus claire pour son adoption cette année. Cette procédure comprend au moins un processus politique au niveau ministériel, avec la possibilité d’engagement des chefs d’Etat ou de gouvernement. De plus, elle comportera un processus technique de trois dialogues d’experts et un processus de négociation composé de trois réunions formelles.

Les principales interrogations concernant le NCQG portent sur l’ampleur du montant, mais aussi de sa structure. Il y a là une opportunité de tirer des enseignements de la mauvaise expérience des 100 milliards, notamment en améliorant la clarté du nouvel objectif avec une structure, à savoir des piliers thématiques : atténuation, adaptation, pertes et dommages et aussi des couches pour les différentes catégories de financement : approvisionnement de finance publique, mobilisation d’investissement public et privé, et autres.

De Dubaï à Bakou : de l’engagement à la mise en œuvre

De nombreux nouveaux engagements et structures ambitieux ont émané de la COP28, dans les domaines de l'énergie, du cadre du GGA, du Fonds pour Pertes et Préjudices, notamment basés sur le GST, mais ces engagements sont, à certains égards, creux.

La preuve ultime de la réussite de Dubaï sera le suivi de la mise en œuvre de ces engagements dans les années à venir, notamment sur la question de l’appui financier des pays développés envers les pays en développement. Pour cette raison, la COP29 et le nouvel objectif de finance (NCQG) seront des pivots. Un fort engagement financier sera crucial pour la santé globale de l’Accord de Paris, à la lumière du cycle de renforcement des Contributions Déterminées Nationales pour 2025 et de la COP30 au Brésil.

Les pays africains et d’autres nations en développement s’impatientent et se lassent des engagements creux qui manquent de soutien financier. Dans le cas où le package de financement climatique soutenu par les pays développés pour la COP29 manquerait l’ambition requise pour l’urgence planétaire, les pays en développement seront pleinement justifiés de refuser et de bloquer le résultat de la COP29.

2024 se reflète comme l'année de la finance climat, les intérêts en jeu sont immenses. Le déploiement d’efforts majeurs est primordial, aux niveaux politique et technique, afin d’augmenter la force de frappe des négociations et d’obtenir une proposition adéquate sur la table à Bakou.

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