Entre les bombes et les colis, Ganna, postière du Donbass en première ligne

(AFP)

Le 2 juillet 2024

Il est bientôt 8h, Ganna Fessenko enfile son gilet pare-balles et saute dans son blindé, prête à parcourir les routes de l'est ukrainien. La routine pour cette postière du front, même si malgré l'habitude, elle a "toujours peur".

"Chaque fois que je pars, je sais très bien qu'il est possible que je ne revienne pas", dit à l'AFP cette employée d'Ukrposhta, la compagnie nationale.

Fin juin encore, une postière a été tuée par un drone dans un village de la région de Kharkiv.

Depuis le début de l'invasion russe, quatre employés d'Ukrposhta ont été tués et quatre autres blessés dans l'exercice de leurs fonctions.

Ganna Fessenko considère son travail comme "vital" pour sa région natale de Donetsk, dans un Donbass minier désormais dévasté par l'invasion russe.

En plus des lettres et colis, cette femme blonde au visage avenant de 39 ans a mille rôles.

Elle apporte les précieux paiements de retraite et autres versements sociaux, des médicaments, et vend des produits alimentaires.

"Dans les localités du front, ils sont abandonnés", explique-t-elle. "Il faut bien que quelqu'un le fasse, les gens nous attendent."

Dès la première étape de sa journée, sur la place centrale du village de Novoselydivka, une quinzaine de personnes âgées se ruent vers sa camionnette avant même qu'elle n'ait le temps de se garer.

"On vous a attendus et attendus!", reproche une grand-mère.

"Mais on n'est pas en retard", proteste Ganna en souriant, avant d'installer, avec son collègue, des cartons de journaux, café, pâtes ou biscuits.

Avec les retraités, qui attendent leur tour en file indienne, elle échange des amabilités, une plaisanterie, quelques nouvelles.

La postière raconte être parfois accueillie comme le messie, d'autres fois avec mauvaise humeur.

Les habitants n'ont personne d'autre sur qui passer leur frustration, explique-t-elle. Elle le prend avec philosophie, même si parfois elle a envie de "tout plaquer".

- Six mois dans une cave -

Par son travail, Ganna voit "l'état psychologique" de ses concitoyens, éprouvés par plus de deux ans de conflit.

Dans la file, Anastassia Kerelova dit que la guerre a "tout cassé" dans la vie quotidienne du village. Il n'y plus de bureau de poste permanent, la venue mensuelle de la postière est donc immanquable.

Les soldats russes "tirent tous les jours, c'est insupportable", explique l'habitante, en larmes. "Ça me fatigue tellement".

Malgré ses 86 ans, Mme Kerelova repart en enfourchant un vélo bleu, son "taxi", plaisante-t-elle. D'autres habitants ne peuvent eux pas se déplacer, et Ganna doit s'arrêter à leur domicile.

C'est le cas d'Olga, 74 ans, qui attend assise sur une petite chaise, au bord de la route.

Elle n'a besoin que de quelques courses alimentaires. Mais pour faire ses emplettes, "où est-ce que je pourrais aller?", questionne cette dame qui marche avec beaucoup de difficulté.

"Personne" ne peut l'emmener en voiture jusqu'à la ville la plus proche, car le village s'est vidé, explique-t-elle.

"Les gens sont dans des situations désespérées", soupire Ganna.

La postière se souvient d'une femme âgée et handicapée qui avait vécu durant six mois dans une cave à Otcheretyné, localité alors bombardée et depuis conquise par l'armée russe.

"On descendait dans sa cave, on lui donnait sa retraite. Où est-ce qu'elle irait? A quelle banque, quel distributeur automatique est-ce qu'elle pourrait avoir accès?"

Quand Ganna rencontre des habitants qui, comme cette femme, refusent obstinément de quitter leurs villages malgré le danger, elle ne les juge pas.

"Je comprends très bien ces gens, parce que j'ai moi-même tout perdu", explique-t-elle.

La postière est originaire de Bakhmout, prise par les troupes de Moscou en mai 2023 au terme d'une des pires batailles de la guerre. Elle en est partie à grand regret six mois plus tôt, laissant tout derrière.

"C'est dur, c'est la vie d'une personne", dit-elle. "Chaque maison, ça représente tout un monde pour quelqu'un".

- "On se reverra" -

Pendant ses tournées, les habitants "disent tout le temps: +je ne sais pas si on va se revoir+", raconte Ganna. "Je réponds toujours: +je crois en vous, on se reverra+".

La promesse est parfois impossible à tenir. Récemment, elle a apporté sa retraite à une habitante qui a été tuée par un bombardement le lendemain.

Elle-même a cru y passer à plusieurs reprises, quand des roquettes tombaient autour de son véhicule.

Plus d'une fois, Ganna a pensé à arrêter ce travail qu'elle a choisi il y a 17 ans.

Trop dangereux, trop triste.

Selon Maksym Soutkovy, directeur régional à Ukrposhta, il arrive que les postiers du front craquent.

Dans ce cas, l'entreprise qui compte près de 38.000 employés leur propose des fonctions dans l'ouest de l'Ukraine, plus sûr.

Pour l'instant, Ganna tient bon. "J'aime mon travail, j'aime les gens, aussi dur que cela soit parfois."

Sans cela, "il serait impossible de travailler ici", dit-elle. Et la postière repart, sa camionnette filant entre les champs blonds et les mines grises du Donbass.

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Le 2 juillet 2024

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