La nouvelle vie des cultivateurs de cannabis à Ketama après la grâce royale

Dans le Haut Rif, après la grâce royale, les craintes se dissipent et les cultivateurs ne vivent plus avec une épée de Damoclès menaçant à tout moment de les priver de leur liberté. L’équipe de Médias24 est partie sur place afin de rencontrer les principaux concernés.

Champs de cannabis (Beldya) au moment de la récolte. (C) Médias24

La nouvelle vie des cultivateurs de cannabis à Ketama après la grâce royale

Le 4 septembre 2024 à 16h45

Modifié 4 septembre 2024 à 18h00

Dans le Haut Rif, après la grâce royale, les craintes se dissipent et les cultivateurs ne vivent plus avec une épée de Damoclès menaçant à tout moment de les priver de leur liberté. L’équipe de Médias24 est partie sur place afin de rencontrer les principaux concernés.

"C’est comme si on renaissait de nouveau". C’est l’expression qui revient sur toutes les langues ici à Issaguen, dans le Haut Rif, la région historique de la culture du kif, à la suite de la grâce royale du 19 août qui a concerné un total de 4.831 personnes condamnées, poursuivies ou recherchées dans des affaires liées à la culture du cannabis.

Le fait qu’elle émane de la plus haute autorité du Royaume signifie pour eux une garantie que l’Etat est sérieux dans ses promesses quant à la légalisation de la culture du cannabis pour les usages licites, nous confie un groupe d’agriculteurs appartenant à la coopérative "Adebibe Al Filahia". Une page a été définitivement tournée et la confiance s’est installée. C’est une nouvelle ère qui commence, et on le sent dans leur discours et dans leur attitude.

Ces agriculteurs locaux, qui se sont regroupés au sein de coopératives de culture et de production de cannabis pour des usages médicaux, industriels et cosmétiques, ont été autorisés par l’ANRAC à cultiver la Beldya, plus communément appelée kif. Ils expriment fortement leur attachement à cette espèce de terroir qui fait la renommée de cette région de Ketama.

Agriculteurs de la coopérative Adebibe Al Filahia, recevant leur carte d’autorisation d’un agent local de l’ANRAC. - (C) Médias24

Dans cette région, chacun d'eux a un proche (membre de la famille, voisin) détenu ou recherché par les autorités pour des affaires liées à la culture du cannabis. Eux-mêmes vivaient dans la peur et l’angoisse de se faire arrêter ou que leur nom figure dans l’une des multiples plaintes.

Ils nous décrivent donc l’immense joie, le soulagement et la gratitude avec laquelle ils ont accueilli l’annonce de la grâce royale.

La peur et l’angoisse cèdent la place à la liberté et l’espoir

Aujourd’hui, c’est une nouvelle vie qui commence, notamment pour les personnes qui ont été autorisées à cultiver la Beldya qui va être exclusivement destinée à l’usage pharmaceutique et médical. Yassine, l’une des personnes recherchées dans des affaires liées à la culture du cannabis et ayant bénéficié de la grâce royale, se remémore son passé et nous confie son espoir en l'avenir.

"C’était une magnifique surprise de la part de S.M. le Roi. Mes amis m’ont envoyé par whatsApp l’annonce de la grâce royale. J’ai été bouleversé et la joie m’a gagné avec l’espoir de figurer parmi les bénéficiaires. Deux jours après, j’apprends que mon nom figurait effectivement parmi les personnes graciées. J’ai pleuré de joie, moi, mes parents et toute la famille qui vivait mon calvaire", nous raconte-t-il.

Carte d’autorisation de culture du cannabis de l’ANRAC, facilitant les opérations de contrôle. - (C) Médias24.

"Regarde la différence entre aujourd’hui et hier ! Maintenant, je passe les barrages de la gendarmerie la tête haute, sans peur et avec dignité. J’ai intégré une coopérative de production du cannabis à usage licite et, avec l'autorisation, je peux vivre librement et confortablement", poursuit-il.

Yassine était recherché depuis plus d’un an, poursuivi pour culture illégale de cannabis dans la région de Bni Boufrah, rattachée à la province d’Al Hoceima. "Il y avait un conflit entre des personnes du douar ; l’une d'elles a déposé plainte et, lors de l’enquête, mon nom a été associé à la culture du kif même si je n’avais aucun lien avec cette affaire. C’est comme cela que j’ai fait l’objet d’un mandat de recherche pour culture de cannabis", explique-t-il.

C’est le cannabis qui nous permet d’éviter l’extrême pauvreté. Il ne faut pas croire qu’on mène une vie de riches

Si Yassine tenait tant à ne pas se faire arrêter, c’est qu’il aurait été jugé pour récidive. Il raconte qu’il avait déjà écopé de trois ans et demi de prison pour le même délit, celui de la culture du cannabis ; une sentence qu’il venait de purger un an auparavant.

"Cette année que j’ai passée en cavale était peut-être plus dure que la période que j’avais passée en prison. Il est très difficile de vivre en tant que personne recherchée, la peur d’être arrêté à n’importe quel moment ne me quittait pas. J'ai perdu le sommeil, et à chaque petit bruit que j’entendais, j’avais l’impression qu’on venait me chercher. Je vivais terrorisé, je ne pouvais ni aller au souk, ni voyager, ni m'attabler dans un café, et quand je me déplaçais, je devais toujours rester sur mes gardes, c’était une vie d’enfer", ajoute-t-il.

Agriculteurs de la coopérative Adebibe Al Filahia, recevant leur carte d’autorisation d’un agent local de l’ANRAC. - (C) Médias24

"C’est comme si on était des criminels, alors que nous n’avons fait que cultiver du cannabis. On n’a pas d’alternative, on a quitté l’école très tôt, on ne peut rien faire d’autre, c’est notre principale source de revenus. Ici, nous cultivons le cannabis de génération en génération, il nous est impossible de nous en passer pour assurer une vie avec un minimum de dignité pour nos parents et nos enfants", explique notre interlocuteur.

"On s’adonne aussi à d’autres cultures comme le blé, mais avec la cherté de la vie, ce n’est pas suffisant. C’est le cannabis qui nous permet d’éviter l’extrême pauvreté. Il ne faut pas croire qu’on vit une vie de riches. Il y a des années où la récolte n’est pas suffisante pour couvrir nos charges, et où nous finissons endettés".

Mais tout cela est désormais de l’histoire ancienne pour Yassine. Agé de 33 ans, il aborde sa nouvelle vie avec beaucoup d’espoir. Il se prépare à se marier très prochainement et à cultiver sa terre en destinant sa récolte aux usages licites du cannabis.

De plus en plus d’agriculteurs rejoignent les rangs de la filière licite

Au-delà de l’aspect humain, cette grâce a eu l’effet d’une garantie de l’engagement de l’Etat dans ce processus de légalisation de la culture du cannabis à usage licite. Les agriculteurs qui étaient encore réticents à intégrer ce mouvement s'en trouvent rassurés.

Chez ceux que nous avons rencontrés, l’intérêt pour la filière licite est réel et palpable. Petit à petit, ils rejoignent les rangs des agriculteurs autorisés par l’ANRAC.

Cette agence étatique est présente en force sur le terrain avec ses cadres qui font un grand travail de sensibilisation et qui ont su nouer une relation de confiance et de proximité avec les agriculteurs.

Bâtiment construit avec des matériaux à base de tige de cannabis comme matière isolante. - (C) Médias24.

Quant à ceux qui sont toujours réticents, ils attendent de voir le résultat chez leurs voisins qui ont franchi le pas. Parmi les craintes exprimées figure le risque de ne pas pouvoir écouler toute la production.

Un risque qui n’a pas lieu d’être puisque, comme nous l’explique l’ANRAC, avant d’être autorisée, la coopérative à laquelle appartient l’agriculteur est tenue de présenter un contrat avec une société ou une coopérative de transformation qui permet d’écouler toute la production convenue entre les parties.

Et le fait de pouvoir sortir de la clandestinité et d’exercer leur métier légalement sans être menacés de poursuite ou d’arrestation ne les laisse pas indifférents.

Au-delà des poursuites judiciaires et des arrestations, les habitants devaient subir les plaintes calomnieuses et les contrôles fréquents. La simple indication "Ketama" sur sa carte d'identité pouvait déclencher les suspicions, comme nous l'ont confié plusieurs témoins. Avec la légalisation de la culture du cannabis, la situation est en train de se normaliser graduellement dans la région, et les agriculteurs disposant d'une autorisation disent se sentir plus à l’aise.

En effet, le code QR sur cette carte permet, en cas de contrôle, de s’assurer de la validité de l’autorisation et des informations relatives à la personne qui en est détentrice.

La légalisation ouvre des opportunités de montée en valeur

Issaguen est à plus de deux heures de route d’Al Hoceima. Nichée sur les montages du Rif central, cette région, très belle par ses paysages montagneux et forestiers, gagnerait à être mieux connectée. Malgré la route en bon état, son éloignement des grandes villes et des aéroports l'empêche de profiter de tout son potentiel touristique.

Cet enclavement pousse également les habitants à l'exode, que ce soit à l’étranger ou dans d'autres villes marocaines, selon les témoignages recueillis sur place. La seule activité qui les maintienne sur place est la culture du kif, quand elle leur permet de subvenir à leurs besoins.

Récolte de cannabis séché à l’ombre. - (C) Médias24.

Toutefois, les agriculteurs tiennent à préciser qu’il ne s’agissait pas de s’enrichir. Contrairement à certaines idées reçues, le système précédant la légalisation ne profitait pas aux agriculteurs qui ne faisaient que survivre, selon leurs dires, à l'inverse des trafiquants.

D'après les informations recueillies sur place, le revenu d’un hectare varie entre 50.000 DH et 100.000 DH lors d’une saison normale. Une somme qu’ils doivent partager avec les propriétaires des terres qu’ils cultivent. Avec la légalisation, ces revenus devraient sensiblement augmenter pour atteindre 300.000 DH en moyenne par hectare.

Abdellatif Adebibe, président de la coopérative "Adebibe Al Filahia", travaille sur le projet de création d’une unité de transformation à travers une coopérative distincte (Amgoud Sativa) qui a pour objectif de monter en valeur dans la filière, de participer à créer des emplois locaux et d'aider au développement du territoire.

Abdellatif Adebibe, président de la coopérative Adebibe Al Filahia et militant de la cause de la légalisation de la culture de la Beldya. - (C) Médias24.
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