Les ressources en eau au Maroc, entre surexploitation et réglementation défaillante: le diagnostic du CESE

L’eau et les carrières sont deux ressources naturelles vitales qui subissent une dégradation croissante en raison de divers facteurs, notamment la surexploitation et l’exploitation illicite. C’est ce qui ressort d’un nouvel avis du CESE publié récemment, qui propose quelques recommandations pour améliorer leur exploitation.

Les ressources en eau au Maroc, entre surexploitation et réglementation défaillante: le diagnostic du CESE

Le 11 juin 2024 à 10h13

Modifié 11 juin 2024 à 10h13

L’eau et les carrières sont deux ressources naturelles vitales qui subissent une dégradation croissante en raison de divers facteurs, notamment la surexploitation et l’exploitation illicite. C’est ce qui ressort d’un nouvel avis du CESE publié récemment, qui propose quelques recommandations pour améliorer leur exploitation.

Malgré la mise en place de nombreux dispositifs par les pouvoirs publics, tels que les procédures d’autorisation et de contrôle de l’exploitation pour réguler l’accès à ces deux ressources dont dépendent de nombreux secteurs au Maroc, celles-ci continuent de subir des pressions accrues, menaçant le développement durable et la sécurité humaine du pays.

Ces pressions sont principalement dues à l’exploitation excessive et illicite, ainsi qu’à d’autres formes de dégradation. Cette situation peut être attribuée, selon les témoignages collectés par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) auprès des acteurs concernés, au fait que l’application des mécanismes adoptés pour la gestion et le contrôle de l’exploitation se caractérise souvent par une efficacité limitée, qui ne permet pas de freiner la détérioration ou l’épuisement de ces ressources naturelles vitales et stratégiques.

D’autre part, cette réalité pourrait également s’expliquer par l’existence de lacunes et de dysfonctionnements, qui ont trait notamment aux capacités limitées des intervenants concernés et au chevauchement de leurs compétences, au déphasage entre les normes établies et à leur mise en œuvre sur le terrain, ainsi qu’à la persistance de pratiques informelles et illicites.

Dans ce premier article, nous allons nous concentrer sur les ressources en eau, leur réglementation, contraintes ainsi que sur les recommandations du Conseil économique, social et environnemental pour une exploitation durable. Un autre article sera dédié aux carrières.

La réglementation en vigueur pour les ressources en eau

Pour ce qui est des ressources en eau, le système d’autorisation pour leur exploitation est encadré par des textes législatifs et réglementaires mis en place au Maroc dès 1925, dont l’évolution a été influencée par les mutations de la situation hydrique du pays, qui ne cesse de se dégrader depuis les années 1960. Elle est également impactée par les changements à caractère économique, social, politique, environnemental et climatique aux niveaux national et territorial, mais aussi par les engagements conventionnels du pays au niveau international.

Le système d’autorisation actuel permet à l’agence de bassin hydraulique (ABH), en tant que principal gestionnaire du domaine public hydraulique (DPH) au niveau du bassin versant d’assurer le suivi de l’exploitation des ressources en eau, de définir les quotas de prélèvement autorisés selon les usagers et les types d’exploitation et d’activer les mécanismes de contrôle pour lutter contre l’exploitation ou la dégradation des ressources en eau disponibles.

Selon la loi en vigueur, toute exploitation du DPH doit être effectuée en conformité avec ses dispositions et doit être soumise à une autorisation ou une concession préalablement délivrée par l’ABH, lesquels sont assortis d’un ensemble de restrictions liées principalement à l’existence des périmètres de sauvegarde ou d’interdiction, l’existence de restrictions dans les contrats de gestion participative pour l’exploitation des eaux superficielles ou souterraines, ou aussi, l’impact potentiel des activités d’exploitation sur l’environnement ou la durabilité des ressources en eau.

En matière de contrôle d’exploitation, le champ d’intervention de la police de l’eau comprend l’accès à toutes les installations/infrastructures hydriques, ainsi que la vérification des autorisations d’exploitation ou du fonctionnement de l’installation. Les pratiques de prélèvements illicites d’eau se sont par ailleurs répandues ces dernières années, notamment dans un contexte de sécheresse récurrente. En 2017, le nombre des préleveurs d’eau non autorisés a été estimé à plus 102.264, contre 52.557 préleveurs autorisés. Le ministère de l’Equipement et celui de l’Intérieur ont recensé des points d’eau abandonnés et non équipés de mesures de sécurité, ce qui a débouché sur l’identification de 292.089 points, dont seulement 30.646 autorisés, soit environ 10%. Une situation qui impacte négativement la sécurité hydrique du pays. En 2023, le pourcentage des puits et forages non autorisés a été estimé 80%.

Chevauchement des compétences, faibles moyens et lenteur de la procédure d'octroi des autorisations

La mise en œuvre de ces mécanismes d’autorisation et de contrôle d’exploitation demeure ainsi limitée et n’a pas empêché la surexploitation et l’exploitation illicite des ressources en eau. Cela s’ajoute aux impacts du changement climatique, ainsi qu’aux différentes formes de dégradation d’origine naturelle.

La mise en œuvre limitée de ces mécanismes s’explique par plusieurs contraintes et insuffisances, qui continuent de caractériser la gouvernance de l’eau, notamment une faible application des lois et règlements existants, la complexité et la lenteur des procédures d’octroi des autorisations, l’absence de cadre juridique ou l’actualisation nécessaire de certains aspects liés à ces mécanismes, une faible coordination entre les acteurs et des chevauchements des compétences, des capacités humaines, logistiques et financières insuffisantes, notamment en matière de contrôle, et des systèmes d’information inexistants ou inachevés.

Les principales contraintes entravant la mise en œuvre de ces mécanismes dans le domaine de l’eau se présentent comme suit :

- L’existence d’un nombre important de préleveurs d’eau non-intégrés dans le régime d’autorisation et d’un nombre d’autorisations de déversement des eaux usées très limité, malgré les efforts importants déployés par les ABH pour généraliser ce régime et lutter contre l’exploitation anarchique du DPH ;

- La complexité et la lenteur de la procédure d’octroi des autorisations ou des concessions, pouvant atteindre jusqu’à trois mois ;

- L’octroi des autorisations pour l’exploitation du DPH n’est pas une attribution exclusive de l’ABH, puisque les Offices régionaux de mise en valeur agricole (ORMVA) exercent aussi la même attribution dans les grands périmètres irrigués, souvent sans coordination avec les ABH ;

- L’attribution limitée du numéro d’inventaire des ressources en eau aux points d’eau ;

- L’insuffisance des moyens humains et matériels mis à la disposition des ABH ;

- La multiplicité des missions assurées actuellement par les ABH est de nature à grever leur performance en matière de gestion du DPH ;

- Les capacités logistiques et techniques limitées en matière de contrôle d’exploitation de l’eau. Actuellement le pays dispose d’un nombre insuffisant d’agents de police de l’eau, qui assurent parallèlement d'autres fonctions administratives ;

- Un chevauchement des compétences et des responsabilités avec les autres intervenants dans le domaine du contrôle, conjugué à une coordination limitée entre les agents de la police de l’eau et d’autres administrations et corps de police ;

- Le suivi judiciaire des procès-verbaux d’infractions dressés par les agents de police des carrières, à la demande des ABH, s’avère souvent lent ;

- Le faible recours aux méthodes modernes de contrôle pour détecter et identifier les pratiques d’exploitation de l’eau sur le terrain ;

- Le faible recouvrement des redevances liées à l’exploitation des ressources en eau avec une accumulation importante des arriérés à recouvrer ;

- La faiblesse des quantités déclarées des déversements des eaux usées dans le DPH et les redevances y afférentes ;

- Le faible recours à la délimitation des périmètres de sauvegarde et d’interdiction ;

- Un très faible recours aux contrats de nappes ou contrats de gestion participative en tant qu’outil de rationalisation de l’utilisation du DPH ;

- Les comités techniques des conseils des bassins hydrauliques sont très peu actifs et se réunissent occasionnellement avec des ordres de jour et des délibérations n’ayant pas toujours un lien avec l’exploitation des ressources en eau ;

- L’absence d’un système d’information intégré sur l’eau au niveau central ;

- La faiblesse des dispositifs d’information et de sensibilisation des citoyens et citoyennes sur le cadre législatif et réglementaire régissant l’exploitation des ressources en eau.

Les recommandations du CESE pour une exploitation durable

Partant de ces constats, et afin de lutter contre les surexploitations et l’exploitation illicite des ressources en eau, ainsi que plusieurs pratiques notamment de rente, de corruption, d’activités informelles, d’évasion et de fraude fiscales, le CESE propose un ensemble de recommandations, dont nous citons quelques-unes :

- Assurer l’effectivité des textes législatifs et réglementaires en vigueur, en veillant à une mise en œuvre effective des mécanismes d’autorisation et de contrôle des ressources en eau, à la simplification des procédures, et au respect des délais réglementaires d’octroi des autorisations, ainsi qu’à la régularisation de la situation des exploitants illégaux ;

- Améliorer la gouvernance dans les secteurs de l’eau au regard de son impact sur l’effectivité et l’efficacité des mécanismes d’autorisation et de contrôle. Il conviendrait, à ce titre :

  • de renforcer les moyens et les capacités des intervenants en matière de contrôle ;
  • mettre en place un mécanisme inter-institutionnel pour arbitrer les usages des ressources en eau disponibles en situation de crise ;
  • développer les compétences et les capacités de l’ensemble des intervenants impliqués dans les procédures judiciaires, tout en instituant des chambres spécialisées, au sein des tribunaux compétents, pour examiner les affaires liées à l’environnement, notamment celles liées à l’exploitation de l’eau ;
  • améliorer le recouvrement des redevances liées à l’exploitation de l’eau soumise au régime d’autorisation et de concession ;
  • mettre en place un système d’information national intégré et régulièrement mis à jour, dédié au domaine de l’eau.
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