Le Casablanca improbable de… Karim Rouissi (2/2)

On croit bien connaître les lieux architecturaux les plus mythiques de Casablanca. À tort, évidemment. Pour y remédier, Karim Rouissi, architecte et président de Casamémoire, nous emmène faire un tour du côté de la périphérie, de l’urbanisme "culturaliste" et des cités "références" de la théorie d’architecture. Un tour de piste qui vaut le détour pour tout visiteur amoureux de Casablanca. Voici, le second opus de notre échange avec Karim Rouissi.

Projet réalisé de 1953-1955 par les architectes suisses André Studer et Jean Hentsch. Sidi Othmane à Casablanca

Le Casablanca improbable de… Karim Rouissi (2/2)

Le 9 avril 2024 à 11h13

Modifié 9 avril 2024 à 11h27

On croit bien connaître les lieux architecturaux les plus mythiques de Casablanca. À tort, évidemment. Pour y remédier, Karim Rouissi, architecte et président de Casamémoire, nous emmène faire un tour du côté de la périphérie, de l’urbanisme "culturaliste" et des cités "références" de la théorie d’architecture. Un tour de piste qui vaut le détour pour tout visiteur amoureux de Casablanca. Voici, le second opus de notre échange avec Karim Rouissi.

Une visite mémorable de la capitale économique passe nécessairement par une balade dans ses ruelles les plus historiques, un trésor urbanistique dont la charge patrimoniale est gravée dans le marbre, parfois littéralement. Alors, quand on qualifie Casablanca de "laboratoire architectural" du XXe siècle, cela ne vaut pas seulement pour les célèbres immeubles et bâtiments du centre ville, mais bien au-delà, en allant même parfois chercher du côté du périphérique. Ce postulat, Karim Rouissi nous le prouve encore, dans cette suite de sa visite guidée du "hors-piste" de la capitale économique. Une balade, donc, avec notre guide, fin connaisseur des pierres et poutres des immeubles haut perchés de Casablanca, ville qui certes n'a pas son "Jamâa Lefnaa", la place mythique de Marrakech, mais dont l'authentique patrimoine est à chercher plutôt dans un kaléidoscope de lieux et de ruelles. Rappelons, d'ailleurs, que des circuits touristiques pour découvrir ou redécouvrir ce patrimoine architectural sont régulièrement organisés par l’association Casamémoire, qui œuvre justement pour sa promotion et sa sauvegarde.

Après la Cosuma et les immeubles Sémiramis et Nid d’abeilles, deux projets architecturaux emblématiques du protectorat français, l'architecte nous fait découvrir les autres bâtiments ayant marqué l'histoire urbanistique de la capitale économique, et non des moindres. En allant du côté du logement, le président de Casamémoire trace un nouveau sillon mémoriel, celui des projets "Cités". L'architecte extirpe ainsi ces œuvres urbanistiques du palimpseste historique.

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Dans ce deuxième opus de notre échange avec Karim Rouissi, la traversée des quartiers et des époques se poursuit, en partant des années de 1953 avec la Cité verticale de Sidi Othmane et la Cité Riviera Beaulieu, aux années 1980 avec le projet Dar Lamane, signé par le duo Abdelaziz Lazrak et Abderrahim Charai et récompensé par le Prix Aga Khan d’architecture. Entre les deux périodes, des arrêts s’imposent à la Cité Riviera Beaulieu et à Derb Jdid, dans cette tournée des lieux improbables de la capitale économique.

Revisiter l’état d’esprit des architectes du XXe siècle ayant marqué de leur sceau des bâtiments 'références' de la théorie d'architecture est un retour aux sources. Un flash-back qui nous aide à mieux saisir la sempiternelle détermination de la capitale économique à pousser encore plus loin ses branchements. Cette passion créative est toujours accessible à celui qui veut bien la voir, du moins la ressentir et la saisir. Karim Rouissi nous en donne les clés de lecture.

J’aimerais bien que les Casablancais commencent à prendre en compte ces bâtiments qui font date dans la réflexion sur l’habitat et le logement  

Karim Rouissi, architecte et président de l'association Casamémoire.

 

Sidi Othmane, "référence" de la théorie d’architecture

"Réalisé de 1953 à 1955 par les architectes suisses André Studer et Jean Hentsch, le projet de la Cité verticale est un ensemble d’immeubles de logement rassemblés de manière ingénieuse à 45°. Là aussi, comme à Hay Mohammadi, les appartements ont tous un patio en façade.

Les bâtiments de Sidi Othmane et de Hay Mohammadi sont, à ce jour, étudiés dans les écoles d’architecture en Europe

 

Ce qui est intéressant dans ces logements, et dans ceux de Hay Mohammadi, c’est la gestion de l’ensoleillement et la réflexion autour de l’assemblage des bâtiments, des parties communes, etc. Ce sont des bâtiments qui étaient là aussi plébiscités, et jusqu’à aujourd’hui étudiés un peu partout dans les écoles d’architecture en Europe. Ils sont considérés comme des références en termes de théorie d’architecture, même s’ils ont subi des transformations dans le temps".

Même s’ils ont subi des transformations dans le temps, ces bâtiments sont considérés comme des références en termes de théorie d’architecture

Les appartements du projet Sidi Othmane ont tous un patio en façade - Photo d'archives

 

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Cité Riviera Beaulieu : "Vous n’en sortirez jamais"

"De l’autre côté de la ville de Casablanca, d'autres cités ont été construites pour les Européens, comme la Cité Riviera. Créée par l'architecte Alexandre Courtois entre 1953 et 1955 pour le compte de la CIFM (actuellement Dyar Al Madina), cette cité se compose de 14 immeubles abritant 400 logements et 33 villas. La cité comprend également des équipements intégrés tels que le marché circulaire, en totale synergie avec la composition des logements, ainsi qu’une école et des commerces et services de proximité, offrant ainsi un cadre de vie complet et fonctionnel pour ses résidents. Le projet est construit autour d’un vaste espace vert, avec un important traitement paysager.

C’est une cité pensée dans sa globalité, avec une architecture complètement moderne et des appartements tous traversants, orientés soit nord-sud, soit est-ouest, pour capter le maximum de lumière et gérer la ventilation naturelle

Cité Riviera à Casablanca, créée par l'architecte Alexandre Courtois entre 1953 et 1955.

 

La Cité Riviera est une cité-jardin. Il y a un parc, dans lequel on va insérer le logement. Un travail très intéressant y a été mené sur les typologies de logements (studios, maisons, appartements). En plus de son marché, la cité est conçue dès le départ avec un certain nombre de commerces et une école. Tout cela fait que c’est une cité pensée dans sa globalité, avec une architecture complètement moderne et des appartements tous traversants, orientés soit nord-sud, soit est-ouest, pour capter le maximum de lumière et gérer la ventilation naturelle.

La cité Riviera comprend des équipements intégrés tels que le marché circulaire, en totale synergie avec la composition des logements.

 

Ces appartements sont généreux, avec des terrasses et des claustras sur les parties donnant sur le boulevard pour protéger des bruits et des nuisances sonores de l’environnement. Là aussi, il s’agit d’une cité très intéressante, à côté de laquelle on passe sans s’arrêter et prendre le temps d’observer. J’aimerais bien que les Casablancais commencent à prendre en compte ces bâtiments qui font date dans la réflexion sur l’habitat et dans le logement à Casablanca".

Les appartements de la Cité Riviera se distinguent par leur espaces généreux, avec des terrasses et des claustras sur les parties donnant sur le boulevard pour protéger des bruits et des nuisances sonores de l’environnement.

 

Derb Jdid, hommage à l’habitat évolutif

Il faut imaginer une grande opération de 'recasement' des bidonvilles du sud-ouest de Casablanca après l’Indépendance en 1958. La reconstruction du bidonville du Derb Jdid, actuellement Hay Hassani, est un aboutissement des réflexions sur le logement adapté aux populations modestes d’origine rurale.

Le projet a été confié à Élie Azagury, qui a étudié le principe de la trame Écochard et son application aux Carrières centrales, et a su en tirer les enseignements qui lui ont permis d’éviter les erreurs commises aux Carrières centrales.

Élie Azagury est le premier architecte de nationalité marocaine à construire le quartier de Derb Jdid, que l’on connaît aujourd’hui comme Hay El Hassani     

Vue aérienne de Derb Jdid à Casablanca - Photo d'archives

 

En évoquant Derb Jdid, l’idée est de montrer que l’histoire du logement casablancais s’inscrit dans une continuité tout au long du XXe siècle. Le fil conducteur est donc cette réflexion autour de l’habitat.

Pour rappel, Élie Azagury est le premier architecte de nationalité marocaine à construire le quartier de Derb Jdid, que l’on connaît aujourd’hui comme Hay El Hassani. En apprenant de l’expérience de Hay Mohammadi, Élie Azagury a su quel type d’habitat convenait le plus aux Marocains. Et il a construit toute sa cité avec une trame de 8x8, en variant les typologies. Plutôt que d’avoir un habitat monotone, il a créé des typologies différentes. Pour ces typologies, il a pensé aussi à la question de l’intimité. Il y avait aussi plus d’espace vert et de boisements, plus de vis-à-vis entre ces logements, pour leur permettre justement d’être surélevés dans le temps. Cette question de la surélévation, il l’a intégrée dès le départ dans ses plans. Contrairement à ce qui a été fait à Hay Mohammadi où ces logements ont connu des transformations qui n’étaient pas prises en compte par l’architecte, Élie Azagury prend ainsi en compte ces transformations dès l’origine. Le résultat est donc un habitat évolutif qui se met en place à Hay Hassani, et qui a donné lieu à un quartier qu’on connaît tous aujourd’hui".

 

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Dar Lamane, plébiscite international

"Pour terminer, on passe aux années 1980 pour parler de Dar Lamane. Il s’agit d’un projet de développement de 4.022 logements sociaux réalisés par Abdelaziz Lazrak et Aderrahim Charai entre 1984 et 1986, dans le quartier Hay Mohammadi. Ce projet a obtenu le Prix Aga Khan d’architecture.

L'architecture de Dar Lamane est hybride. Elle prend en considération un certain nombre d’aspects de la médina      

Le projet Dar Lamane a obtenu le Prix Aga Khan d’architecture.

 

Ce qui est intéressant dans le projet Dar Lamane, c’est qu’on est sur une architecture hybride qui prend en considération un certain nombre d’aspects de la médina, même si la forme n’est pas ‘médinale’. Ce sont des rues en serpentin, avec un travail très intéressant sur la notion de l’espace semi-privé, privé et espace public. Il y a des seuils d’intimité différents d’un espace à l’autre. Un travail très intéressant a également été réalisé sur les espaces communs : escaliers, terrasses, etc. Une réflexion a aussi été menée sur comment passer d’un espace à l’autre. Les appartements de ce projet sont traversants, là encore, et orientés de manière à bénéficier d’un ensoleillement maximal".

 

 

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