Sabrina Soussan, PDG de Suez : “Nous voulons multiplier nos parts de marché au Maroc”

ENTRETIEN EXCLUSIF. Médias24 s'est entretenu avec la présidente directrice générale de Suez, en marge de sa visite de travail au Maroc. La multinationale française a fait du Maroc un hub de développement du groupe vers tout le continent africain. Elle compte y multiplier ses parts de marché et ses investissements.

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Sabrina Soussan, PDG de Suez : “Nous voulons multiplier nos parts de marché au Maroc”

Le 21 mars 2024 à 17h30

Modifié 21 mars 2024 à 18h13

ENTRETIEN EXCLUSIF. Médias24 s'est entretenu avec la présidente directrice générale de Suez, en marge de sa visite de travail au Maroc. La multinationale française a fait du Maroc un hub de développement du groupe vers tout le continent africain. Elle compte y multiplier ses parts de marché et ses investissements.

Sabrina Soussan, PDG de Suez, était en visite de travail au Maroc la semaine du 11 mars pour rencontrer les équipes locales, les autorités et les officiels marocains.

Lors de ce déplacement, Suez a signé une convention de partenariat avec la fondation MAScIR, qui relève de l'UM6P, marquant le début d'une collaboration pour développer des solutions innovantes dans le domaine du traitement et de la valorisation des déchets.

Un partenariat considéré comme "un investissement à long terme", nous explique la PDG de la multinationale française qui pèse plus de 9 milliards d'euros, dans un échange exclusif avec Médias24.

La rencontre qui s'est déroulée le 13 mars dans les bureaux de Suez à Casablanca a été l'occasion pour Sabrina Soussan de nous exposer la vision de Suez et la volonté de l'opérateur d'accentuer sa présence au Maroc. Entretien.

Il existe de nombreuses opportunités de développement au Maroc, et nous sommes fermement engagés à travailler en partenariat avec le pays pour relever ces défis

 

Médias24 : Vous avez récemment conclu une convention-cadre de recherche et développement avec la fondation MAScIR. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet et son importance pour Suez ?

Sabrina Soussan : Ce projet revêt une grande importance pour nous, notamment dans le contexte de notre engagement croissant au Maroc. Chez Suez, nous privilégions l’open innovation en collaborant avec de grandes universités à travers le monde, et cette collaboration s’étend désormais à une université de renom au Maroc. C’est une très bonne nouvelle.

Nous considérons ce partenariat comme un investissement à long terme. Il vise l’établissement d’un centre d’excellence dédié à la recherche et au développement, avec un focus sur les domaines cruciaux du traitement et de la valorisation des déchets, avec trois axes principaux : le traitement et la valorisation des déchets organiques, la décarbonation, ainsi que le traitement et la valorisation des déchets industriels.

D’ailleurs, chez Suez, nous préférons parler de "ressources" plutôt que de "déchets", car ces derniers peuvent être transformés en énergie ou en matières premières secondaires. Le secteur des déchets est en pleine transformation, exigeant des solutions de plus en plus innovantes et technologiques. Nous saisissons ainsi l’opportunité de développer ces innovations avec un pays aussi dynamique et innovant que le Maroc.

-  MAScIR est impliqué dans divers domaines de recherche et développement. Et grâce à cette convention, il s’ouvre à un domaine nouveau. En quoi consiste la contribution de Suez dans le cadre de cette convention ?

- Nous apporterons notre expertise et des technologies relatives au traitement et à la valorisation des ressources dans les trois axes mentionnés précédemment. Et ensemble, nous explorerons des moyens d'évolution, en tenant compte des besoins spécifiques du Maroc et de l'Afrique en général. Notre objectif est de continuer à innover et à développer ensemble de nouvelles solutions pour les défis que nous avons identifiés.

-  Vous vous concentrez donc principalement sur ces trois axes en termes de développement et d'innovation...

- Nous débuterons par ces thématiques, mais nous pourrons éventuellement explorer d'autres domaines à l'avenir, comme celui de l'eau, par exemple.

À ce stade, nous estimons que ces trois sujets offrent déjà un vaste champ d'action, crucial tant pour le développement du Maroc que pour la préservation de la planète.

Suez dispose d’actionnaires financièrement solides, désireux d’investir. Je suis fermement convaincue du potentiel du partenariat public-privé avec les autorités marocaines

Les ambitions de Suez au Maroc

-  L’OPA de Veolia sur Suez est derrière vous. Comment se manifeste la présence du nouveau Suez au Maroc ? Quelle est son importance dans votre stratégie globale ?

- Le Maroc occupe une place particulièrement importante dans l'histoire de Suez, avec plus de 70 ans de présence. Nous avons construit de nombreuses infrastructures d'eau potable et de traitement des eaux usées dans le pays. Nous sommes également fortement impliqués dans le domaine des déchets. Le Maroc représente un marché crucial pour nous, proche de nos valeurs fondamentales et je dirais même de nos racines.

Il existe de nombreuses opportunités de développement au Maroc, et nous sommes fermement engagés à travailler en partenariat avec le pays pour relever ces défis, en apportant notre expertise technologique et nos innovations, que nous avons pu éprouver avec succès dans d'autres pays, et les appliquer ici au Maroc.  Nous avons également beaucoup appris au Maroc, ce qui crée un échange mutuel de connaissances.

Aujourd’hui, nous ne sommes plus actionnaires de Lydec. Par conséquent, nous ne sommes plus impliqués dans ce dossier

-  Pouvez-vous nous parler des investissements prévus et des projets prometteurs sur lesquels vous envisagez de vous positionner ?

- Actuellement, nous employons plus de 600 personnes au Maroc, et nous aspirons à continuer de nous développer dans tous les domaines sur lesquels nous opérons.

Le Maroc et Suez, c’est une longue histoire ! Le Maroc est un pays stratégique pour le groupe, l’un des plus dynamiques et innovants du continent. Nous voulons y développer nos activités et multiplier nos parts de marché, tant dans les activités eau que déchets. Le Maroc représente désormais un hub de développement du groupe vers tout le continent africain.

En tant que société non cotée en bourse, Suez dispose d’actionnaires financièrement solides, désireux d’investir. Je suis fermement convaincue du potentiel du partenariat public-privé avec les autorités marocaines.

Le Maroc a besoin d’investissements dans des secteurs en pleine transformation comme l’eau et les déchets. En travaillant ensemble, nous pouvons développer ces technologies et ces investissements, établir des partenariats bénéfiques pour toutes les parties impliquées.

D'ailleurs, nous avons aussi choisi le Maroc pour renforcer nos équipes IT dans le domaine des infrastructures (réseau, cloud), des applications opérationnelles et de la data. Dès 2024, une équipe d’une vingtaine de personnes soutiendra l’ensemble de nos opérations au Maroc et partout dans le monde.

- Nous ne pouvons pas évoquer votre présence au Maroc sans parler de la situation de Lydec, votre ancienne filiale cédée à Veolia dans le cadre de la fusion, et le risque potentiel d’annulation du rapprochement entre Veolia et Suez au Maroc. Comment percevez-vous cette situation et êtes-vous impliqués dans les négociations en cours pour résoudre ce problème ?

- Aujourd’hui, nous ne sommes plus actionnaires de Lydec, comme vous l’avez mentionné. Par conséquent, nous ne sommes plus impliqués dans ce dossier. Nous nous concentrons sur nos activités au Maroc.

Toutefois, nous restons à la disposition des autorités marocaines pour apporter notre expertise.

Les déchets, des ressources à fort potentiel de valeur ajoutée

-  En tant qu’expert et acteur mondial, comment évaluez-vous le potentiel du secteur de traitement et de valorisation des déchets au Maroc ?

- Le potentiel est considérable, notamment en ce qui concerne la valorisation de ces ressources. Il s’agit non seulement de l’énergie pouvant être générée et utilisée en remplacement d’autres sources plus polluantes telles que le charbon ou les hydrocarbures, mais également des produits favorisant la fertilisation des sols.

À cet égard, nous avons récemment signé deux contrats avec Azura pour la mise en place de deux plateformes de compostage à Agadir et Dakhla, visant à valoriser les déchets de fruits et légumes. Le compost ainsi produit sera utilisé pour améliorer la qualité et la perméabilité des sols.

Le potentiel réside également dans l’utilisation des combustibles solides de récupération (CSR) en substitution du charbon, par les industries, dans le cadre de leur processus de décarbonation.

Les modèles traditionnels basés sur les décharges à ciel ouvert ou l’enfouissement simple ont montré leurs limites 

- Peut-on imaginer demain qu’une grande ville comme Casablanca, Marrakech ou Agadir, puisse assurer une partie de son électricité à travers la valorisation de ses déchets ?

- Absolument. Cette pratique est déjà en cours dans d’autres pays. Nous utilisons des unités de valorisation énergétique pour ce faire. Par exemple, la chaleur issue de la valorisation des déchets urbains peut être employée pour le chauffage des zones urbaines avoisinantes. De même, dans les stations d’épuration, le biogaz produit peut être converti en biométhane, ou utilisé pour générer de l’électricité.

Les modèles traditionnels basés sur les décharges à ciel ouvert ou l’enfouissement simple ont montré leurs limites. Chez Suez, nous développons ici au Maroc un modèle de "green landfills" ou centres d’enfouissement et de valorisation à impact positif. Ces installations, en plus de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, permettent la production de biogaz utilisé pour la production d’électricité.

Nous avons mis en place une référence à Meknès, où nous avons instauré un green landfill. Ce modèle, que nous pouvons répliquer dans d’autres villes, fonctionne comme une véritable usine à énergie positive, produisant plus d'énergie qu'elle n'en consomme. Il a également un impact social significatif en organisant les travailleurs informels de l'ancienne décharge au sein de coopératives, améliorant ainsi leurs conditions de travail.

-  Plus largement, comment s’articule la chaîne de valeur de la gestion et la valorisation des déchets ?

- La chaîne de valeur se décompose en trois étapes. Tout d'abord, la collecte des déchets, où nous cherchons à optimiser les coûts, notamment grâce au tri à la source. Une collecte efficace facilite ensuite la valorisation des différents types de déchets, qu'il s'agisse de plastique, de carton ou de verre.

La deuxième étape concerne le tri, où nous mettons en place des centres de tri de plus en plus innovants, intégrant des solutions digitales et le tri optique pour maximiser l'efficacité.

Enfin, la troisième étape concerne le traitement des déchets. Celui-ci peut prendre différentes formes, telles que le traitement énergétique, qui peut s'avérer rentable dans un contexte de crise énergétique mondiale, ou le recyclage, qui peut toucher divers domaines, y compris le recyclage des batteries ou des métaux ferreux et non ferreux.

À titre d’illustration, nous avons récemment investi dans un projet de recyclage des batteries en France. Le Maroc poursuit l'ambition d'installer des gigafactories, ce qui constitue un domaine d'intérêt pour nous. Sur le volet du recyclage des métaux ferreux et non ferreux, notre contrat avec Renault Maroc a été renouvelé pour la quatrième fois, témoignant de notre expertise avancée dans ce domaine.

-  Au Maroc, la pratique du tri des déchets n’est pas très répandue. Cela ne risque-t-il pas d’impacter la chaîne de valeur et son efficience ?

- De nombreux pays ont réussi à développer le tri ces dernières années. Pour y parvenir, il est essentiel de sensibiliser et d'encourager ce comportement chez les citoyens. C'est un travail de proximité et de sensibilisation qui doit être mené au niveau local. L'objectif est de faire prendre conscience à chacun que le tri des déchets peut générer de la valeur à plusieurs niveaux.

Par exemple, à Manchester, en Angleterre, nous avons mis en place une filière de réutilisation où les objets récupérés sont réparés et réintégrés dans le circuit de consommation. Les fonds récoltés permettent de soutenir financièrement des associations du territoire. Cette approche illustre l'importance de l'innovation sociale, qui complète l'innovation technologique en intégrant les communautés et en offrant des opportunités aux plus défavorisés.

Nous croyons en la viabilité du dessalement, comme en témoignent les 260 usines que nous avons construites dans le monde

- Vous avez mentionné l'importance de la décarbonation, désormais un impératif pour notre planète et également un aspect crucial pour les entreprises exportatrices vers le marché de l'UE. Êtes-vous sollicités au Maroc dans ce domaine ?

- Absolument. Un exemple concret serait le projet Renault, qui s'inscrit parfaitement dans cette dynamique. En recyclant les déchets des deux usines du groupe automobile au Maroc, nous réduisons la production et donc l'empreinte carbone. Cela s'applique également au plastique. En recyclant, nous évitons de produire, et cela requiert moins d'énergie et entraîne donc une réduction des émissions de CO2. Nous avons des projets concrets dans ce sens. Par exemple, en France, nous travaillons avec une entreprise qui auparavant utilisait du charbon. Nous avons donc construit une chaudière à combustible solide de récupération à côté de son site. En utilisant cette énergie, l’entreprise réduira de 60 % ses émissions de CO2.

- Vous êtes également spécialisés dans l'industrie du dessalement. Le Maroc prévoit un important plan de développement de stations de dessalement. Quelle est votre vision de ce secteur et quel intérêt portez-vous à ce programme ?

- Nous constatons l’émergence d’une prise de conscience collective autour des enjeux liés à la gestion de l'eau dans presque tous les pays, même dans ceux où la ressource semblait inépuisable. Il y a plusieurs axes à considérer. Tout d'abord, la sensibilisation à la consommation d'eau. Ensuite, l'amélioration de l'efficacité des réseaux pour réduire les fuites, où les solutions digitales peuvent jouer un rôle majeur. Le recyclage et la réutilisation des eaux usées traitées représentent également des pistes importantes. Enfin, il y a la création de nouvelles ressources, telles que le dessalement. Il est essentiel d'adapter ces stratégies aux besoins spécifiques de chaque pays, en tenant compte de sa géographie. Nous croyons en la viabilité du dessalement, comme en témoignent les 260 usines que nous avons construites dans le monde. Nous avons également investi dans des technologies plus efficaces sur le plan énergétique, et les installations peuvent être alimentées à 100 % par des énergies renouvelables. Il est crucial de sécuriser l'approvisionnement en eau et d'anticiper les défis futurs.

- Le gouvernement marocain envisage de mettre fin à la gestion déléguée dans le secteur de la distribution d'eau et d'électricité. Des SRM, à 100% par des capitaux publics, remplaceront les gestionnaires délégués actuels, mais avec la possibilité d'inclure ultérieurement des investisseurs privés. Nous savons que des investisseurs s'intéressent déjà à cette question et ont peut-être même engagé des négociations avec les autorités compétentes. Quelle est la position de Suez à ce sujet ?

- La force des acteurs privés comme Suez, c’est leur capacité à innover et à mettre en place, avec les collectivités, des solutions sur mesure. Et ce, quel que soit le mode de gestion choisit par la collectivité (SRM, gestion déléguée). Je crois en l’action concertée entre acteurs, notamment pour répondre aux enjeux majeurs de l’eau, partout dans le monde :

  • la recherche et le développement pour permettre de répondre aux besoins des territoires ;
  • l’apport des technologies ayant fait leurs preuves dans d’autres géographies ;
  • l’investissement dans les infrastructures.

C’est tout le sens des partenariats public-privé. Par exemple au Maroc, le développement de nouvelles capacités de traitement des eaux usées par le Royaume va poser la question de la gestion des boues d’épuration. Suez a développé une expertise forte dans ce domaine, tant dans la valorisation agricole (compostage) que dans la valorisation énergétique (méthanisation et incinération).

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