Loi anti-fast fashion en France : quel impact pour le Maroc ?
Une proposition de loi visant à freiner la mode éphémère a été récemment adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale française. Des mesures qui ne risquent pas d’avoir un impact sur l’industrie textile marocaine, estiment des acteurs et des experts textile sondés par Médias24.
Loi anti-fast fashion en France : quel impact pour le Maroc ?
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Basma Khirchi
Le 21 mars 2024 à 12h34
Modifié 21 mars 2024 à 12h34Une proposition de loi visant à freiner la mode éphémère a été récemment adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale française. Des mesures qui ne risquent pas d’avoir un impact sur l’industrie textile marocaine, estiment des acteurs et des experts textile sondés par Médias24.
L’Assemblée nationale en France a adopté jeudi 14 mars, à l’unanimité, une proposition de loi visant à freiner la fast fashion. Approuvée en première lecture, elle doit désormais être examinée par le Sénat. Dans son article premier, ce texte vise à renforcer l’information et la sensibilisation du consommateur sur l’impact environnemental de la mode éphémère, ainsi que sur les possibilités de réemploi et de réparation des vêtements et accessoires.
Le deuxième article, lui, vise à renforcer la filière de responsabilité élargie du producteur (REP) des textiles d’habillement, linges de maison et chaussures, tandis que le troisième vise à interdire la publicité pour les entreprises et les produits relevant de la mode éphémère.
Une loi d’inspiration protectionniste
Des acteurs et experts textile sondés par Médias24 considèrent qu’il s’agit d’une loi d’inspiration protectionniste.
"Ce texte, qualifié par ses auteurs de loi anti-fast fashion, a trois objets : le renforcement de l’information et la sensibilisation des consommateurs sur l’impact environnemental de la mode éphémère ; l’application d’une pénalité jusqu’à 10 euros par vêtement de mode éphémère ; l’interdiction de la publicité et la promotion de collections de vêtements à renouvellement très rapide", explique à Médias24 Jean-François Limantour, expert textile européen et président du Cercle euro-méditerranéen des dirigeants textile-habillement.
"En réalité, il s’agit d’une loi d’inspiration protectionniste qui vise à limiter la vente, sur le marché français, de vêtements à bas prix au moyen de taxes et de nouvelles tracasseries administratives pour les acteurs de la filière, en particulier les grandes plateformes de commercialisation d’habillement en ligne comme le chinois Shein", ajoute-t-il.
Un constat que partage Karim Tazi, patron de l’enseigne de prêt-à-porter Marwa et ancien président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH) : "La France connaît une concurrence déloyale liée en particulier à deux acteurs, Shein et Temu. La France a constaté, en l’espace de quelques années, la disparition de la quasi-totalité de ses enseignes mass market. L’initiative a justement été lancée en réponse à la fermeture de plusieurs enseignes en France comme Camaïeu, Naf-Naf ou Pimkie, et d’autres qui continuent à baisser leurs rideaux ou qui passent d’une main à une autre en attendant de fermer. A travers ce texte, la France cherche à protéger ses enseignes."
Le Maroc peut-il être impacté par cette loi ?
Nos interlocuteurs sont deux à affirmer que la pénalisation de la fast fashion en France pourrait avoir un impact sur l’industrie textile marocaine, mais qu’il faudra attendre les textes d’application car cet impact dépendra du périmètre de la loi.
"Nous avons tout intérêt au Maroc, en tant que grand exportateur vers l’Europe, à ce que des lois comme celle-ci passent car elles ciblent des enseignes et des acteurs qui n’achètent rien au Maroc et exercent une concurrence déloyale, même aux produits industriels marocains", souligne Karim Tazi.
"De mon point de vue, il est plutôt question d’une mesure favorable pour le Maroc. Maintenant, il faut attendre son application et voir si elle va véritablement cibler les acteurs chinois, et si elle va même impacter des acteurs européens qui sont bénéfiques pour le Maroc, à l’instar de Zara. A priori, si les choses sont bien faites, ce sera pour le Maroc une opportunité supplémentaire. Et cette opportunité ne se présente pas seulement pour le Maroc, mais aussi pour l’ensemble de la zone Euromed. Car l’opportunité, elle est pour celui qui va la saisir", ajoute Karim Tazi.
"Actuellement, les députés européens travaillent sur une autre loi anti-fast fashion, à travers le prisme des déchets textile. C’est une loi qui a à peu près le même objectif, mais qui va être configurée différemment. Je pense que les grands acteurs européens sauront se défendre au sein même des institutions européennes. Les intérêts du Maroc sont liés à ces acteurs. La réussite de notre export est corrélée à leur bon fonctionnement", conclut le patron de l’enseigne Marwa.
Une question que le Maroc doit suivre avec la plus grande vigilance...
"Le Maroc peut-il être impacté par cette loi ? Théoriquement oui, car il est l’un des plus importants fournisseurs de la France en fast fashion. Mais ici, la fast fashion est une vertu : cela signifie agilité, réactivité, flexibilité, qualité des produits, strict respect des normes sociales et environnementales. Le Maroc pourrait être doublement impacté : indirectement si, comme c’est prévisible, les grands distributeurs espagnols, qui sont très présents en France comme Zara et sont de très gros clients de l’industrie marocaine de l’habillement, sont visés par la loi. Directement si les grandes chaînes françaises comme Decathlon ou Kiabi sont également touchées par cette loi. Tant que le ou les décrets d’application ne sont pas pris, c’est le flou ! Mais le risque d’impact significatif est loin d’être nul", commente pour sa part Jean-François Limantour.
"Pour l’industrie marocaine, cette question est donc à suivre avec la plus grande vigilance car elle pourrait être injustement et absurdement frappée alors que la vie des affaires et la concurrence internationale sont déjà tellement difficiles pour elle !", estime notre interlocuteur. Pour lui, cette nouvelle proposition de loi est donc "très critiquable" sur tous les plans.
"Economiquement, il est faux d’affirmer que les Français achètent trop de vêtements et encore plus absurde de dire qu’ils les jettent à la poubelle à peine après avoir été mis. Bien au contraire, le budget vestimentaire des ménages se réduit comme peau de chagrin d’année en année. En 2000, les Français consacraient 3,4% de leur budget aux dépenses vestimentaires. En 2023, on est tombé à 1,8 % ! Quant à penser, comme les auteurs de la loi, qu’en freinant les importations on va favoriser la réindustrialisation française d’habillement, c’est une pure vue de l’esprit !"
"Socialement, pour des millions de Français, les 2,3 millions de chômeurs, ceux qui vivent de petits boulots ou qui ont de maigres retraites, la fin du mois c’est le 20 du mois ! Penser que ces personnes qui ont du mal à payer leur loyer et même à acheter de la nourriture achèteraient par pur plaisir des vêtements et non par nécessité est une idée obscène. Nos députés connaissent-ils la vraie vie ? Je me le demande. Alors taxer les vêtements à bas prix n’est-il- pas une absurdité ?"
"Juridiquement : la loi est très floue. Elle ne précise pas ce qu’est la fast fashion et a fortiori l’hyper fast-fashion. Quelles seront les entreprises concernées : les seules plateformes chinoises comme Shein et Temu ? Les enseignes européennes telles que l’irlandais Primark, les espagnols Zara et Mango, le suédois H&M, les français Decathlon, Kiabi, E. Leclerc, etc., et les importations directes en France de vêtements venant de pays comme le Bangladesh, le Myanmar, le Sri Lanka ou le Cambodge ?
"Et les produits à bas prix importés par nos partenaires européens et réexportés vers la France ? Va-t-on les taxer au mépris de la règle juridique fondamentale de libre-circulation intra-européenne ? Et nos partenaires méditerranéens ? Le texte de loi est totalement muet sur cet ensemble de questions, de même que sur le niveau des seuils à partir desquels on taxera les vêtements. Tout cela est renvoyé à un futur décret d’application", conclut Jean-François Limantour.
L’export marocain du textile vers la France en chiffres
La France figure depuis très longtemps dans la liste des principaux clients du secteur marocain textile et cuir. Après s’être classé premier client du Maroc depuis 2002, l’Hexagone s’est incliné en 2022 face à l’Espagne, occupant la deuxième place du classement en s’appropriant une part de 17% des exportations marocaines de ce secteur.
Selon la base de données du commerce extérieur marocain de l’Office des changes, la valeur des exportations marocaines du textile vers la France, si l’on considère les chiffres relatifs aux vêtements et accessoires du vêtement en bonneterie et aux autres articles confectionnés et friperie, se sont chiffrés à 1,75 MMDH en 2023 (chiffres arrêtés en septembre 2023).
Ces exportations, tout comme celles destinées au reste du marché européen, ont néanmoins baissé par rapport à 2022. "La chute des exportations marocaines de 2023 n’a rien de très préoccupant, car le Maroc conserve solidement son huitième rang de fournisseur d’habillement de l’Europe avec une part de 3,1%", nuançait dans un article précédent Jean-François Limantour.
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Le 21 mars 2024 à 12h34
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