Après les récentes affaires, des voix s’élèvent pour l’incrimination de l’enrichissement illicite des élus

L’affaire du trafic international de drogue dite affaire Bioui, libère la parole. Un seul élu corrompu est un cas de trop. Alors que dire de 15 ou 20? Voici ce que dit la loi, un expert et l’Instance nationale de probité, de prévention et de lutte contre la corruption, sur l’enrichissement illicite et sur l’efficacité des mécanismes en place pour lutter contre.

Après les récentes affaires, des voix s’élèvent pour l’incrimination de l’enrichissement illicite des élus

Le 20 janvier 2024 à 12h22

Modifié 22 janvier 2024 à 8h37

L’affaire du trafic international de drogue dite affaire Bioui, libère la parole. Un seul élu corrompu est un cas de trop. Alors que dire de 15 ou 20? Voici ce que dit la loi, un expert et l’Instance nationale de probité, de prévention et de lutte contre la corruption, sur l’enrichissement illicite et sur l’efficacité des mécanismes en place pour lutter contre.

Impliqués dans des affaires judiciaires, de nombreux élus font face à des poursuites ou ont été condamnés pour des faits qui relèvent de crimes financiers. Pourtant, au vu de la nature de leurs fonctions qui est susceptible d’avoir une incidence - directe ou indirecte - sur les deniers publics, des mesures sont mises en place pour épingler les cas d’enrichissement illicite. Des questions se posent alors quant à l’efficacité des mécanismes en vigueur permettant de déceler les flux de source suspicieuse voire criminelle dans leurs patrimoines.

À quoi sert la déclaration obligatoire de patrimoine (DOP) si elle ne permet pas d’épingler ce genre de cas ? Pourquoi l’arsenal juridique de lutte contre l’enrichissement illicite tarde-t-il à voir le jour ? Qu'en pense l’Instance nationale de probité, de prévention et de lutte contre la corruption (INPPLC) à travers ses récents rapports sur le sujet ?

La Constitution et des lois spécifiques

Le dispositif juridique régissant la déclaration obligatoire de patrimoine est un mécanisme dont la gestion est confiée à la Cour des comptes, conformément à l’article 147 de la Constitution. Le texte suprême prévoit, dans son article 158, que “toute personne, élue ou désignée, assumant une charge publique doit faire, conformément aux modalités fixées par la loi, une déclaration écrite des biens et actifs détenus par elle, directement ou indirectement, dès la prise de fonctions, en cours d’activité et à la cessation de celle-ci”.

Ce dispositif est composé de lois spécifiques qui concernent chacune des catégories assujetties à la déclaration obligatoire de patrimoine. Par exemple, les députés sont soumis à la loi organique n°50-07, complétant la loi organique n°31-97, relative à la Chambre des représentants.

Cette loi dispose qu’il est créé “auprès de la Cour des comptes une instance chargée de recevoir et de contrôler les déclarations de patrimoine des membres de la Chambre des représentants et d’en assurer le suivi”.

Ainsi, chaque élu de la nation dispose d’un délai de 90 jours, suivant l’ouverture de la législature ou de l’acquisition de la qualité de membre de la Chambre des représentants, pour “déclarer l’ensemble de ses activités professionnelles, les mandats électifs qu’il exerce et le patrimoine dont il est propriétaire ou sont propriétaires ses enfants mineurs ou dont il est gestionnaire ainsi que les revenus qu’il a perçus l’année précédant celle de son élection”.

“En cas de cessation du mandat, pour toute autre cause que le décès, le membre de la Chambre des représentants est tenu de faire la déclaration obligatoire de patrimoine, dans un délai de quatre-vingt-dix (90) jours à compter de la date de cessation dudit mandat”.

Il en est de même pour le président d’un conseil régional, préfectoral, provincial ou communal, mais aussi pour tout président de groupements de communes urbaines et rurales et de président de groupements de collectivités locales, ainsi que les présidents de conseils d'arrondissements et ceux de chambres professionnelles. Ceux-ci sont concernés par la loi 54-06, instituant une déclaration obligatoire de patrimoine spécifique à cette catégorie d’élus.

Pour tous, le patrimoine devant être déclaré est constitué par “l’ensemble des biens meubles et immeubles”, comme prévu par les lois suscitées. Celles-ci précisent que les fonds de commerce, les dépôts sur les comptes bancaires, les titres, les participations dans des sociétés et autres valeurs mobilières, mais aussi les biens reçus par voies d’héritage, les véhicules automobiles, les prêts, les objets d’arts et d’antiquité, même les parures et les bijoux, constituent des biens meubles.

Nécessité d’une loi spécifique

Mais ce dispositif est-il efficace ? Pour un expert contacté par Médias24, la réponse est non. “Le mécanisme de déclaration de patrimoine est inefficace. Il doit être renforcé, notamment par la mise en place d’une loi spécifique visant à lutter contre l’enrichissement illicite et dans laquelle la charge de la preuve doit incomber à la personne concernée, bien qu’elle bénéficie de la présomption d’innocence”.

Pour cet expert, la lutte contre l’enrichissement illicite doit passer à travers des amendements qui touchent non seulement au dispositif de déclaration de patrimoine mais aussi à la prise illégale d’intérêt et la procédure de dénonciation.

“Il est nécessaire de redynamiser la dénonciation pour encourager les gens, citoyens ou fonctionnaires, à dénoncer les cas de corruption. Pour ce faire, il faut assurer une protection aux lanceurs d’alerte. C’est pourquoi le gouvernement prépare un projet de loi relatif à la protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte”, poursuit-on de même source.

La position de cet expert rejoint celle revendiquée depuis quelques années par l’institution constitutionnelle dédiée à la lutte contre la corruption (INPPLC). À travers ses différents rapports (annuels et thématiques), l’Instance nationale de probité, de prévention et de lutte contre la corruption a appelé à adopter une approche exhaustive, qui va au-delà de la simple disposition pénale classique cantonnée à l'identification des auteurs et à la détermination des sanctions. L'INPPLC plaide pour un texte qui fixe les caractéristiques de l'infraction, les procédures à même d'en établir l'existence, les peines financières et d'emprisonnement en fonction de sa gravité, les personnes concernées et les autorités chargées de surveiller ce type de crime et de recevoir les notifications suspectes, avec la précision des prérogatives desdites autorités, et en veillant à la complémentarité entre les différentes parties prenantes d'une part, et entre elles et les procureurs compétents d'autre part.

Le blocage au Parlement, le retrait du gouvernement

L’idée d’un texte dédié à l’enrichissement illicite a fait l’objet de plusieurs débats, notamment au sein du Parlement où le sujet a contribué au long blocage de l’ancienne version du projet de code pénal.

Actuellement, le projet de code pénal est en cours de préparation. Son ancienne mouture, présentée en 2016 par l’ancien ministre de la Justice, Mustapha Ramid, a végété pendant cinq ans au Parlement.

Dans la mouture soumise en 2016, aujourd'hui déprogrammée, l'enrichissement illicite faisait l'objet de l'article 256-8 qui entendait incriminer "toute personne soumise à la déclaration obligatoire de patrimoine", dont "la situation financière ou celle de ses enfants mineurs" connaît une "hausse substantielle et non justifiée" par rapport "à ses sources de revenus légitimes". La sanction devait atteindre, selon le même article, une amende de 100.000 DH à 1 million de DH, assortie de "la confiscation des biens injustifiés" et de "l'incapacité d'exercer toute fonction ou emploi publics"

Les groupes parlementaires n'arrivaient pas à trouver un consensus et chacun prônait une sanction différente à appliquer pour cette infraction. L'USFP a même considéré que le projet de code pénal a "réduit l'incrimination de l'enrichissement illicite à un seul article". Or, considérant que cette infraction fait partie des plus importantes liées à la corruption et qui affectent négativement le développement du pays, le parti de la rose a alors soumis, en 2020, une proposition de loi spécifique, avec des sanctions plus sévères.

L’année suivante, après sa nomination en tant que ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi a procédé au retrait du texte du Parlement. Accusé de vouloir supprimer la disposition relative à l'enrichissement illicite, Ouahbi a assuré, dans un premier temps, vouloir maintenir cette disposition mais sous une forme amendée. Pour lui, la formule proposée dans le texte retiré fait peser la charge de la preuve sur le suspect. Il estime que cette obligation doit être inversée.

Quelques mois plus tard, ses affirmations étaient devenues plus ambigües, laissant entendre, lors de son passage au Parlement en novembre 2021, qu'il n'écarte pas l'option d'un abandon total de l'incrimination de l'enrichissement illicite.

Depuis, le texte n’a pas encore vu le jour et aucune révision du mécanisme relatif à la déclaration obligatoire du patrimoine qui permet d’épingler les cas d’enrichissement illicite n’a été mise en place. Verra-t-on alors une loi spécifique dédiée à l’incrimination de l’enrichissement illicite comme le préconise l’INPPLC ? Faudra-t-il se contenter d’une simple disposition intégrée dans le projet de code pénal tant attendu ? Ou bien délaissera-t-on l’option de l’incrimination malgré la recrudescence d’affaires relevant de crimes financiers impliquant des élus ?

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