À Tanger, sur les pas de Delacroix, comme si vous y étiez (entretien avec Rachid Taferssiti)

RÉCIT. L’écrivain et historien de Tanger, Rachid Taferssiti, revient dans cet échange sur le voyage quasi initiatique d’Eugène Delacroix dans la ville du détroit. Il retrace la cartographie des ruelles arpentées par le peintre et décrit les émotions de ce dernier au contact de Tanger et de ses habitants. Sur les pas de l'artiste, nous découvrons le Tanger fascinant de Delacroix. Retour sur le séjour d'un des plus célèbres représentants de la peinture du XIXe siècle, qui ne manquera pas d'inspirer d'autres voyageurs. Circuit touristique.

À Tanger, sur les pas de Delacroix, comme si vous y étiez (entretien avec Rachid Taferssiti)

Le 19 décembre 2023 à 6h31

Modifié 19 décembre 2023 à 16h26

RÉCIT. L’écrivain et historien de Tanger, Rachid Taferssiti, revient dans cet échange sur le voyage quasi initiatique d’Eugène Delacroix dans la ville du détroit. Il retrace la cartographie des ruelles arpentées par le peintre et décrit les émotions de ce dernier au contact de Tanger et de ses habitants. Sur les pas de l'artiste, nous découvrons le Tanger fascinant de Delacroix. Retour sur le séjour d'un des plus célèbres représentants de la peinture du XIXe siècle, qui ne manquera pas d'inspirer d'autres voyageurs. Circuit touristique.

Les spécialistes de Delacroix attribuent au voyage au Maroc effectué par le peintre en 1832 une grande influence sur sa palette. Dans l’ouvrage Les peintres illustres : Delacroix, on peut lire que suite au périple de l’artiste dans le royaume, "[…] le fougueux coloriste qu’il était déjà, abandonna dès lors l’usage des bruns bitumineux et des vernis chauds, et peignit en pleine pâte lumineuse. Ce n’est plus le drame ou le mélodrame sous un ciel tourmenté, mais un calme absolu, une lassitude indolente dans la torpeur des parfums, on sent la joie qu’a eue l’artiste à manier ce coloris, à traiter ces étoffes, ces chairs, ces mosaïques, à faire des morceaux de bravoure […]".

L’écrivain et historien de Tanger Rachid Taferssiti nous raconte avec force détails les péripéties de l’épisode tangérois de la vie du peintre français. Les carnets d’esquisses sur le Maroc d’Eugène Delacroix, qu’évoque notre interlocuteur dans cet entretien, sont considérés par les experts comme les documents les plus intéressants jamais laissés par un artiste. Rachid Taferssiti nous affirme que le contenu de ces carnets est d’une richesse extraordinaire.

"On y voit la soudaineté de la sensation, on y peut revivre la vie même du peintre pendant ces semaines passées dans la lumière intense de là-bas ; les dessins sont entrecoupés de notes, d’observations, écrites dans un style imagé, avec les mots exacts ; la mise en scène de l’existence orientale, les types de la race, les animaux, les détails d’architecture, les costumes, les attitudes, tout se trouve là, sténographié pour ainsi dire ; quelques pages sont rehaussées de tons de lavis, de teintes d’aquarelles, avec des indications tracées rapidement au crayon", lit-on encore dans l’ouvrage Les peintres illustres : Delacroix.

Comment ce choc culturel et émotionnel a-t-il impacté le travail de l’artiste, chef de file de l’école romantique ? Réponse.

 

Le peintre Delacroix fut à tel point conquis par notre ville qu’il en devint le fervent défenseur auprès de la cour et des salons parisiens

 

Médias24 : Eugène Delacroix est arrivé à Tanger en janvier 1832. Pourriez-vous nous parler du contexte de son voyage au Maroc ? 

Rachid Taferssiti : D’abord, il y a le contexte historique de cette première moitié du XIXe siècle. On est au Maroc durant le long règne de Moulay Abderrahmane Ibn Hicham (1822-1859), qui a succédé à son oncle en 1822. Pour rompre l’isolement du pays, il ouvre quelques villes côtières, dont Tanger, au commerce européen. Tanger est alors la capitale diplomatique de l’Empire chérifien depuis 1777, quand le sultan Mohammed III, Sidi Mohammed Ben ‘Abdellah, invite les consulats présents au Maroc à venir s’installer à Tanger.

La visite de Delacroix coïncide ainsi avec une période assez trouble, entre 1823 et 1845, qui oblige le sultan à changer plusieurs fois de pacha : Ahmed Ben ‘Abessadaq, Mohammed ou Mimoun el-Guerouani, El-Mehdi es-Saïdi, Eh-Hadj Mohammed Ben ‘Abbou, El-‘Arbi es-Saïdi. De nombreuses puissances étrangères y disposaient d’une légation (ou consulat) dans une médina qui compte à peine 6.000 habitants en 1800, dont 200 étrangers. Et surtout la France, qui occupe l’Algérie à partir de 1830 et doit affronter l’Émir Abdelkader, soutenu par le Maroc et son sultan.

Eugène Delacroix (1798-1863) n’a pas effectué un voyage d’agrément, partant tout seul à la découverte d’une contrée inconnue. Il faisait partie d’une délégation officielle, une ambassade, une mission diplomatique conduite par le Comte Charles de Mornay, mandatée par le roi de France Louis-Philippe, pour négocier avec le sultan Moulay Abderrahmane la neutralité du Maroc dans l’occupation française de l’Algérie et la nouvelle frontière dessinée par l’occupant.

Dans une description des débuts de la peinture au Maroc, le peintre tangérois Mohamed Fqih Regragui expliquait que "l’envoyé français était, et c’est ce qui nous intéresse le plus, accompagné d’un grand peintre, Eugène Delacroix, chef de file de l’École romantique. Et ce qui ne devait être qu’une manœuvre diplomatique devant permettre à la France de gagner du temps pour mieux asseoir son emprise sur l’Algérie et éviter d’entrer en guerre, du moins dans l’immédiat, contre le Maroc, allait devenir un événement capital dans l’histoire de la peinture de chevalet au Maroc. Mandaté pour aider à jauger les capacités de l’Empire Chérifien, donc pour faire en quelque sorte de l’espionnage, le peintre Delacroix fut à tel point conquis par notre ville qu’il en devint le fervent défenseur auprès de la cour et des salons parisiens : tel est pris qui croyait prendre. Il fut littéralement ébloui dès qu’il mit pied à terre où l’ambassadeur fut accueilli par le Pacha Saïdi, l’Amine-Al-Oumana, Si Taïeb Al Byaz et le commandant de la place d’arme, Ben Abbou".

L’histoire de la peinture au Maroc n’oubliera donc pas ce mercredi 25 janvier 1832 où, à dix heures du matin, La Perle, frégate de la marine française, vint jeter l’ancre dans la baie de Tanger, avec à son bord l’ambassadeur extraordinaire du roi de France Louis-Philippe auprès du sultan du Maroc Moulay Abderrahmane.

Delacroix E. 1798-1867 - Vue de Tanger - Toile 0,46×0,50 - The Minneapolis Institute of Arts

 

Je suis dans ce moment comme un homme qui rêve et qui voit des choses qu’il craint de voir lui échapper  

- Quelles furent alors les premières impressions de Delacroix, une fois l’ancre jetée dans cette baie de Tanger ?

- Delacroix est ébloui par ce qu’il voit. Ce qu’il ressent le dépasse dès qu’il prend contact avec Tanger. Il écrit : "J’arrive maintenant à Tanger. Je viens de parcourir la ville. Je suis tout étourdi de tout ce que j’ai vu. Je ne veux pas laisser partir le courrier qui va tout à l’heure à Gibraltar sans te faire part de mon étonnement de toutes les choses que j’ai vues. Nous avons débarqué au milieu du peuple le plus étrange. Le Pacha de la ville nous a reçus au milieu de ses soldats. Il faudrait avoir 20 bras et 48 heures par journée pour faire passable­ment et donner une idée de tout cela. Les juives sont admirables. Je crains qu’il soit difficile d’en faire autre chose que de les peindre : ce sont des perles d’Éden. Notre réception a été des plus brillantes pour le lieu. On nous a régalés d’une musique militaire des plus bizarres. Je suis dans ce moment comme un homme qui rêve et qui voit des choses qu’il craint de voir lui échapper". Il s’agit d’une lettre écrite le 25 janvier à Tanger et adressée à Monsieur Pierre, rue Ste Anne n° 18 à Paris. Elle est conservée au musée du Louvre, département des Arts graphiques.

Tanger pendant l’occupation anglaise 1662-1664

 

- Combien de temps Delacroix passe-t-il à Tanger avant d’entreprendre son autre voyage à Meknès ?

- La corvette La Perle quitte Toulon le mercredi 11 janvier 1832, avec à son bord Eugène Delacroix et le comte de Mornay, l’ambassadeur extraordinaire du roi de France Louis-Philippe, en mission auprès du sultan Moulay Abderrahmane. La Perle jette l’ancre dans la baie de Tanger le 24 janvier. Il le dit lui-même dans une lettre adressée à Jean-Baptiste Pierret (1795-1854), un de ses plus anciens camarades − lettre conservée au musée du Louvre, département des Arts graphiques : "24 janvier 1832 - Enfin devant Tanger ! Après 13 jours fort longs d'une traversée tantôt amu­sante, tantôt fatigante, et après avoir éprouvé quelques jours le mal de mer, ce à quoi je ne m'attendais pas. Nous avons essuyé des calmes déses­pérants, et puis des bourrasques assez effrayantes à en juger par la figure du commandant de La Perle".

Delacroix aura ainsi un premier séjour à Tanger de près de deux mois (11 janvier-5 mars). La délégation française quitte Tanger le lundi 5 mars, quand le sultan fait enfin savoir qu’il est prêt à la recevoir. Le voyage entre Tanger et Meknès dure 10 jours (5 mars-15 mars) durant lesquels Delacroix continuera à remplir ses carnets de notes et de croquis. Le séjour à Meknès durera 21 jours (15 mars-5 avril) et le voyage de retour à Tanger depuis Meknès, 6 jours (5 avril-11 avril). Delacroix est donc de retour à Tanger le 11 avril. Mais le comte de Mornay devant attendre le document officiel de l’accord négocié, Delacroix reprend ses déambulations dans la ville et dans la campagne environnante. Ce sera un deuxième séjour à Tanger de près de deux mois, interrompu par une excursion en Espagne en compagnie du comte de Mornay, à partir du 15 mai. La Perle quitte le port de Tanger et prend le large le 9 juin en direction d’Oran. Le voyage de Delacroix au Maroc aura duré du 24 janvier au 9 juin 1932, soit 4 mois et demi.

 

Plan de Tanger - Burel - 1808 - Les consulats sont concentrés dans la rue principale de la ville.

L’histoire de la peinture au Maroc n’oubliera donc pas ce mercredi 25 janvier 1832 où, à dix heures du matin, La Perle, frégate de la marine française, vint jeter l’ancre dans la baie de Tanger   

- Avant d’arriver au port dans la frégate La Perle, peut-on décrire ce que Delacroix a pu voir de loin ? 

- Qu’a-t-il pu voir en abordant Tanger par la mer ? Je peux reproduire ce qu’il en disait lui-même dans une lettre adressée à son ami Jean-Baptiste Pierret le 24 janvier 1832 (Lettre conservée au musée du Louvre, département des Arts graphiques) : "Nous comptions être à Tanger hier soir. Mais le vent qui était d'abord insuffisant s'est élevé si fort sur le soir, que nous avons été obligés de fran­chir entièrement le détroit et d'entrer malgré nous dans l'océan. Nous avons passé une très mauvaise nuit : mais la chance ayant tourné vers le matin, nous avons pu revenir sur nos pas, et ce matin à neuf heures nous avons jeté l'ancre devant Tanger. J’ai joui avec bien du plaisir de l'aspect de cette ville africaine. Ç'a été bien autre chose quand après les signaux d'usage, le consul est arrivé à bord dans un canot qui était monté par une vingtaine de marabouts noirs jaune, verts et qui se sont mis à grimper comme des chats dans tout le bâtiment et à se mêler à nous. Je ne pou­vais détacher mes yeux de ces singuliers visiteurs. Tu juges, cher et bon, de mon plaisir de voir pour la première fois chez eux ces gens que je viens chercher de si loin : car c'est bien loin, cher ami, et j'ai plus d'une fois, dans les planches de ma prison flottante et durant des nuits assommantes de roulis et de mauvaise mer songé à mon nid paisible et aux figures que j’aime depuis que j'aime. Si c'était à refaire, je referais le voyage, mais l'absence a bien des chagrins. Nous devons faire demain notre entrée magnifique. Nous serons reçus par les consuls des autres puissants, par le pacha…".

À vrai dire, Delacroix donnait l’impression de se sentir sur un nuage. Il découvre cette ville marocaine et africaine, déjà charmé et envoûté.

Eugène Delacroix - Portrait de l'artiste - Photo (C) RMN - Grand Palais - musée du Louvre - Michel Urtado

À vrai dire, Delacroix donnait l’impression de se sentir sur un nuage 

- À quoi ressemblait le port de Tanger à cette époque ? Et où se situe-t-il aujourd'hui ? 

- L’emplacement où débarquaient les voyageurs se trouvait plus ou moins au même endroit qu’aujourd’hui. Les bateaux restaient en rade et les voyageurs étaient débarqués avec de petites barques qui les menaient vers l’emplacement de l’ancienne sortie du port, Bab el-Marsa, au bas de l’hôtel Continental. La mer arrivait au bas des remparts restaurés dernièrement, dans le cadre de la reconversion du port.

Dans une description de Tanger sous l’occupation anglaise, en 1676, la ville comptait une population de 700 citadins, dont uniquement 5 musulmans, 51 juifs et 130 étrangers, auxquels il faut ajouter une garnison militaire de 2.400 à 4.000 soldats anglais (E. Michaux Bellaire - Tanger et sa zone, 1921). En 1800, elle comptait 6.000 habitants, dont 200 étrangers (J.-L. Miège 1995). Expulsés de Tanger par l’armée rifaine de Moulay Ismaïl, conduite par Ali Ben Abdellah Riffi el-Hmami Temsamani, les Anglais détruisirent en grande partie la ville en 1684, y compris le petit môle du port qu’ils avaient construit.

 

- Quels sont les lieux les plus célèbres visités par Delacroix lors de son séjour à Tanger, et existent-ils encore ? 

- Pour mieux clarifier "l’exceptionnalité" de Tanger par rapport aux autres villes marocaines, il est d’abord nécessaire de préciser qu’à Tanger, ville de convivialité comme nous continuons à la qualifier, il n’y avait pas de Mellah. Delacroix parle de demeures ou de maisons. Il n’a décrit la juiverie, le Mellah, que pendant son séjour à Meknès, parlant de "la juiverie à laquelle on accède par une porte gardée". Le samedi 24 mars, il écrivait depuis Meknès : "Sorti pour aller à la juiverie. Homme en caftan rouge dans le marché qui y conduit. Autre marchand de friture. Le portier de la juiverie en rouge."

Beaucoup de lieux visités par Delacroix existent encore. Mis à part les bâtiments officiels dont la plupart ont été réhabilités au cours des dernières années, surtout dans le cadre du programme "Tanger Médina" qui a concerné la Qasbah et la Médina, nombre d’entre eux appartiennent à des privés qui ont parfois modifié leur aspect. De plus, en l’absence d’une signalétique et d’un parcours "visiblement" balisé, le visiteur normal ne peut pas les localiser.

Parmi ces lieux et ces bâtiments, il y a d’abord la majorité des bâtiments construits ou reconstruits après le départ des Anglais par le premier pacha nommé par Moulay Ismaïl, Ali Ben ‘Abdellah Riffi el-Hmami Temsamani, le libérateur de Tanger, et après son décès, par son fils Ahmed Ben ‘Ali Ben ‘Abdellah, qui lui succéda.

Nous retrouvons aujourd’hui dans la Qasbah et la Médina de Tanger de nombreux lieux et bâtiments qui ont changé d’aspect et de fonction mais qui peuvent encore témoigner du passage de Delacroix. D’abord, la Légation de France, l’actuel musée de Dar Niaba, où il a séjourné avec le comte de Mornay et les autres membres de l’ambassade dont il faisait partie. Il y a aussi le palais du Pacha, Dar el-Makhzen, l’actuel Musée des civilisations méditerranéennes, les sièges des différentes légations étrangères, le corps diplomatique concentré à Tanger par le sultan Mohammed III, Sidi Mohamed Ben ‘Abdellah en 1777. S’y ajoutent les consulats ou légations qui s’étaient installés à Tanger à partir de cette date : la Suède en 1777, l’Angleterre en 1778, le Portugal en 1780, l’Espagne en 1784, les Pays-Bas en 1784, les États-Unis en 1786 et la France en 1788. Delacroix cite aussi les consuls du Danemark, de Sarde et de Sardaigne.

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En général, ces légations ont aujourd’hui d’autres fonctions et ont complètement perdu l’aspect qu’elles devaient avoir à l’époque. La légation américaine par exemple, installée en 1821 dans un bâtiment, est aujourd’hui un musée d’une grande valeur patrimoniale, incontournable dans une visite "sérieuse" de la médina de Tanger. Elle est mitoyenne à la légation de France et à celle de la Suède, qui est actuellement une très belle église-cathédrale en pleine médina. Elle partage aussi un mur avec la synagogue Nahon, une des plus belles des 13 synagogues de la médina de Tanger.

Il y a aussi "Dar Ben ‘Abbou", la demeure de Si Mohamed qui l’accompagna dans son périple à Meknès. Une demeure qui a marqué la vie politique et culturelle de Tanger. L’acteur Richard Harris y a marié son fils à Soumaya Akaaboun, artiste et actrice. Des films y ont été tournés. Le dernier est 007 Spectre, un des derniers James Bond avec Daniel Craig.

Il y a aussi les demeures des autres notables de l’époque, les Ben ‘Abdessadaq, que le peintre cite dans ces lettres, ou encore la demeure d’Abraham Benchimol, le drogman de la légation, où les spécialistes de Delacroix situent La Noce juive.

Tanger (Maroc), Palais de justice.

- Lors de son séjour à Tanger, que faisait Delacroix de ses journées ? 

- L’ambassade du roi de France est restée deux mois à Tanger avant d’obtenir une date d’audience par le sultan. Ce qui offrait à Delacroix l’occasion inespérée d’arpenter, de déambuler dans la ville et de vivre ses ambiances, de connaître également les gens et d’accéder à leur foyer. Il s’est intéressé à tous les détails : l’architecture, l’art de vivre, les vêtements des riches comme des pauvres, les cultes, l’école, etc. ; des détails que nous retrouvons dans ses carnets et lettres.

D’abord, pour aller de la légation, qui se trouve dans l’axe central de la médina, à la qasbah, perchée en haut d’une colline, on trouvait l’ancien Cardo Maximus du temps des Romains, où se trouvaient l’essentiel des consulats et des activités de la ville. Il y a la rue des Siyaghine, où se trouve Dar Niaba et où il fut logé ; Souq ed-Dakhel, le Petit Socco ; l’ancien forum romain ; la rue de la Marine qui mène au port et où se trouve Jama’e el-Kebir, la grande mosquée de la ville ; la Medersa et le Souq ed-Barra, le grand Socco. Ensuite, pour remonter vers Dar el-Makhzen, le palais du Pacha, on peut imaginer les ruelles qui remontent vers la qasbah en passant par les petites places de Ouad Ahardane ou Saqqaya Djedida. Puis, il y a la place des Issaouas, la Naciriya, rue Almansour vers Bab el-Asa, Ben Raïssoul, etc. Sauf qu’il ne faut pas oublier que la médina n’était pas aussi dense qu’aujourd’hui. Les maisons étaient plus basses. Il le dit d’ailleurs lui-même quand il se trouve à Meknès où les demeures sont plus impressionnantes et lui rappellent Granada.

 

- En arrivant à Tanger, Delacroix disposait de plusieurs carnets et de deux boîtes d’aquarelles. Qu’est-ce qui l'a le plus marqué à Tanger et qu’il a ensuite retranscrit et dessiné dans ces carnets ?

- Arlette Sérullaz (conservatrice honoraire au département des Arts graphiques du musée du Louvre, auteure de livres sur l’œuvre de Delacroix) nous éclaire suffisamment  à ce sujet : "Ce que l'on sait du caractère de Delacroix nous incline à penser qu'aussitôt après avoir eu la confirmation de son départ pour le Maroc, l'artiste veilla avec un soin particulier à ne rien omettre de ce qui lui serait indispensable pour travailler. Le pays qu'il allait découvrir n'était sans doute pas en mesure de lui garantir un réapprovisionnement en papiers de toutes grandeurs, crayons, porte-crayons, écritoires, plumes, pinceaux, encres et pains de cou­leurs. Si nous ne disposons malheureusement que d'informations succinctes sur les préparatifs de ce départ (voir la lettre adressée au marchand de couleurs Haro, le 4 décembre 1831 ; Correspondance, 1, p. 296), du moins pou­vons-nous imaginer l'aspect et le contenu des bagages du peintre, en nous re­portant aux archives de ses confrères ayant, comme lui, voyagé en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient. Une chose est certaine, l'acquisition d'albums de croquis de format et d'aspect différents. Sur les sept qui ont, en effet, fi­guré à la vente de l'atelier de Delacroix en 1864, quatre sont parvenus in­tacts jusqu'à nous : les trois albums conservés au musée du Louvre et celui ap­partenant au musée Condé à Chantilly."

D’après l’introduction du catalogue de l’exposition de l’Institut du monde arabe (Flammarion 1999), Delacroix aurait "rapporté au moins huit albums de ce voyage (remplis de notes, de croquis et d'aquarelles), dont un destiné au comte de Mornay. Quatre de ces carnets subsistent aujourd'hui : trois sont conservés au musée du Louvre, au département des Arts graphiques, le quatrième au musée Condé à Chantilly". Le contenu de ces carnets est d’une richesse extraordinaire. Delacroix semblait vouloir tout prendre sur le vif, croquer et décrire le moindre détail de ce monde tellement plein de vie qu’il tenait à pénétrer et à vivre de l’intérieur. Il y a aussi tous les détails complémentaires que l’on retrouve dans les lettres qu’il adressait à son ami Jean-Baptiste. S’y ajoutent plusieurs anecdotes et surtout la description de ce qu’il ressentait profondément et qu’il semblait craindre de ne pas savoir rapporter. Nous pouvons comprendre à quel point il était sous le charme, subjugué.

Delacroix E. 1798-1867 - Album du Maroc – Feuillet - 0165xà,098 – Musée du Louvre

 

- La Noce juive est l’un des plus célèbres tableaux peints par Delacroix en souvenir de son passage à Tanger. Pourriez-vous nous parler de ce tableau et de la présence du peintre lors d’une noce juive en février 1832 ? 

- Delacroix s’était lié d’amitié avec Abraham Benchimol, un notable juif qui occupait la fonction de Drogman, ou interprète du consul de France. Il l’accompagnait dans ses déambulations dans la médina et lui permettait d’accéder aux domiciles de juifs et de musulmans.

Delacroix, La Noce juive, RMN, Stéphane Maréchalle, Paris, musée du Louvre. INV3825.

 

- Pour qui le Tanger de Delacroix continue-t-il d’exister aujourd’hui ?

- Pour les historiens de l’art, sans aucun doute, parce qu’ils continuent à venir à Tanger pour retrouver ses traces dans la ville. Les programmes culturels des télévisions, de temps en temps, comme la presse spécialisée. La réhabilitation de Dar Niaba, la Maison de France où il a séjourné, devenue aujourd’hui le musée de Dar Niaba, en a tenu compte dans son exposition "Historique". L’étage, antérieurement occupé par les bureaux des "Adouls", a été aménagé en maison de l’artiste à sa mémoire. La réhabilitation de la qasbah et de la médina aurait pu mettre en évidence le séjour de Delacroix à Tanger avec une signalétique adaptée à la dimension de ce grand peintre qui a grandement contribué au mythe de Tanger, cette ville de convivialité multiculturelle et plurielle. D’ailleurs, c’est aussi le cas pour les autres peintres, de plusieurs nationalités, dont des Marocains qui ont croqué Tanger pendant plusieurs siècles. L’itinéraire des peintres à Tanger constitue un produit touristique de grande qualité très insuffisamment exploité.

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