Derrière le blocage de la réforme de l’école, l’inquiétante crise des syndicats

Doublées par les Tanskiyates, les centrales syndicales traditionnelles ont perdu la main sur le dossier de l’éducation, rendant difficile toute négociation pour une solution avec le gouvernement. Une situation qui reflète une crise de médiation dans le secteur de l’éducation, symptôme de la grande défiance du monde du travail vis-à-vis des syndicats.

Derrière le blocage de la réforme de l’école, l’inquiétante crise des syndicats

Le 23 novembre 2023 à 13h29

Modifié 23 novembre 2023 à 13h55

Doublées par les Tanskiyates, les centrales syndicales traditionnelles ont perdu la main sur le dossier de l’éducation, rendant difficile toute négociation pour une solution avec le gouvernement. Une situation qui reflète une crise de médiation dans le secteur de l’éducation, symptôme de la grande défiance du monde du travail vis-à-vis des syndicats.

Les enseignants du secteur public entament leur cinquième semaine de grève, malgré l’appel du chef du gouvernement à la réouverture du dialogue avec les syndicats les plus représentatifs pour trouver une solution au blocage qui dure depuis octobre.

L’UMT, l’UGTM et la CDT, les trois centrales habilitées de par leurs scores électoraux à s’asseoir à la table des négociations, sont pourtant en faveur de la reprise des cours et du dialogue, mais la réalité du terrain semble les dépasser.

Signataires de l’accord du 14 janvier 2023, qui devait en principe ouvrir la voie à la réforme de Chakib Benmoussa, ces trois syndicats n’ont pas été derrière les premiers appels à la grève qui ont émergé à la suite de la validation par le Conseil du gouvernement du nouveau statut des enseignants, sujet du blocage.

Ils ont été doublés par les fameuses Tansikiyates, ces coordinations réunissant une grande partie des enseignants grévistes et qui ne sont affiliés à aucune centrale syndicale. Des organisations parallèles qui ont montré pour la première fois leur force et leur efficacité dans la mobilisation dans le secteur de l’éducation en 2019, suite aux protestations massives contre le statut des cadres des académies régionales. Depuis, ce sont ces Tansikiyates qui donnent le la dans ce secteur, qui compte plus de 250.000 fonctionnaires, mettant les syndicats les plus représentatifs sur la touche… et le gouvernement dans une situation peu enviable.

Les syndicats traditionnels dépassés par la réalité…

"Les Tansikiyates ont chamboulé l’ordre institutionnel établi. Les syndicats qui sont, par la force de la loi, le partenaire de choix du gouvernement dans le dialogue ont perdu la main sur leurs bases dans le secteur de l’éducation. S’il veut trouver une solution, le gouvernement sait que les syndicats n’ont rien à apporter, puisque personne ou presque ne les suit. Mais il est pourtant obligé de dialoguer avec eux, car il ne peut inviter les coordinations, qui détiennent le véritable pouvoir, au dialogue faute de statut légal. Le gouvernement ne peut pas non plus doubler les syndicats, car il n’a pas intérêt à décréter leur mort politique. Ça va se retourner contre lui lors des prochaines échéances de dialogue ou à l’occasion de futures crises sociales. C’est une situation nouvelle au Maroc. Les coordinations ont mis tout le monde face à ses contradictions", explique un ancien haut commis de l’Etat, qui a eu à gérer plusieurs dossiers de dialogue avec les syndicats.

Cette situation était pourtant prévisible, ajoute notre source. "C’est quelque chose que plusieurs responsables étatiques craignaient depuis plusieurs années déjà. On voyait la défiance grandir vis-à-vis des syndicats mais on a continué à leur accorder du crédit, certains ont même essayé, et c’est la grande erreur qui a été commise, de les booster artificiellement. La crise couvait, et on a eu un nouveau signal en 2021 lors des élections professionnelles, lorsque l’on a su que plus de la moitié des voix ont été récoltées par des représentants sans appartenance syndicale. Il fallait tirer la sonnette d’alarme ce jour-là", explique notre ancien haut responsable.

Les résultats des élections professionnelles de 2021 expriment en effet un certain désaveu des syndicats traditionnels. Des élections où le premier gagnant n’a été ni l’UMT, ni l’UGTM ou la CDT, mais "le syndicat des non affiliés", qui a récolté 51,35% des sièges accordés aux délégués des salariés. L’UMT, premier syndicat des travailleurs au Maroc, n’en a obtenu que 15,48% !

Cette carte des votes a été pratiquement la même en 2009 et en 2015 avec des scores pour les non affiliés qui ont toujours flirté avec les 50%. En 2021, ils ont dépassé pour la première fois cette barre, confirmant une tendance qui ne trompe pas : le manque de représentativité des centrales syndicales traditionnelles.

Et comme la nature a horreur du vide, il fallait que cette brèche soit comblée par autre chose. Dans le secteur de l’éducation, cela a pris la forme des Tansikiyates, une forme de militantisme assez souple qui permet à des personnes mues par la même cause de s’organiser en utilisant des moyens de communication modernes (réseaux sociaux, WhatsApp…) pour coordonner leur action.

Les syndicats ne représentent que 3% des actifs occupés !

On est donc face à une crise de la médiation dans le secteur de l’éducation, et dans le monde du travail en général. Surtout quand on sait que tous les syndicats actifs au Maroc (plus d’une trentaine) ne représentent que 3% des actifs occupés, comme l’a montré la dernière enquête sur le marché du travail réalisée par le HCP, qui se base sur les données de 2014. Un chiffre que les syndicats ont toujours essayé de nuancer, le qualifiant de "biaisé" par le nombre de travailleurs dans le secteur informel.

Un syndicaliste contacté par Médias24 nous donne ainsi un autre chiffre, celui du nombre de travailleurs sous contrat qui sont représentés par les syndicats. Ce chiffre est de 6%, selon notre source, soit le double des 3% calculés par le HCP. Un chiffre qui ne change rien à la donne : le manque de représentativité des syndicats dans le monde du travail.

Pourquoi cette défiance ? Le sujet a été étudié ces dix dernières années par plusieurs experts et institutions comme le CESE. Et le constat n’est pas propre au Maroc ; il est mondial.

"Le taux de syndicalisation dans le monde est de plus en faible. C’est une tendance mondiale. Les jeunes actifs ne croient plus en le travail syndical, qu’ils perçoivent comme quelque chose d’archaïque. Il faut dire aussi que les syndicats traditionnels n’ont pas su se réinventer pour accrocher cette nouvelle génération de travailleurs qui n’a pas connu les grandes luttes sociales. Nos syndicats ont par ailleurs un manque de leadership, et sont taxés à tort ou à raison de proximité avec les milieux politiques, les patrons, les décideurs… Il faut noter aussi le manque de démocratie interne incarnée par la longévité des leaders de nos syndicats, mais aussi par la politique de copinage dans le choix des responsables syndicaux, centraux ou régionaux", explique un responsable syndical de gauche qui n’hésite pas à faire l’autocritique du système.

Pour lui, cette crise n’est pas le propre des syndicats, mais de tout un système politique. "C’est le système politique de manière globale qui nous a conduits à cette situation de vide. L’Etat et certains responsables publics ont tout fait pour décrédibiliser le travail politique et syndical. Nous récoltons aujourd’hui ce qui a été fait pendant plusieurs années. En 2016, nous avons tous assisté à la crise de la médiation dans les événements du Rif. Même chose pour la campagne de boycott de certaines grandes marques en 2018. Nous avons vidé le politique de son sens, affaibli les partis, les syndicats, on devait s’attendre à cette situation où l’Etat se retrouve dans un face à face avec la rue", explique-t-il en détails. La solution pour lui tient en deux mots : la démocratie et l’indépendance.

"Si l’on veut redonner aux syndicats leurs forces, il faut d’abord qu’ils soient indépendants de tout pouvoir. C’est le principal reproche que l’on nous fait aujourd’hui et qui fait que des milliers de personnes préfèrent travailler dans un cadre parallèle plutôt que de passer par la voie institutionnelle. La confiance sera aussi gagnée quand les gens verront que les syndicats se soumettent à la démocratie, que leurs leaders incarnent réellement les causes défendues par la base, qu’il n’y pas de rente de position… C’est ce qui permettrait d’intéresser ces jeunes qui militent dans les tanskiyates aux structures syndicales, car ces gens peuvent être les leaders de demain, et on doit leur ouvrir la porte, les accueillir, leur donner les moyens et la liberté pour agir", prône notre source.

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