Renforcer la classe moyenne : un grand chantier toujours en attente

Elle souffre de la forte inflation, de la hausse des taux d’intérêt, de la décompensation des hydrocarbures et, bientôt, de la décompensation partielle du gaz butane et d’une fiscalité inéquitable. La classe moyenne, qui ne bénéficie pas d’amortisseurs sociaux comme les aides directes, paraît être reléguée au second plan des politiques publiques. Jusqu’à quand ?

Renforcer la classe moyenne : un grand chantier toujours en attente

Le 8 novembre 2023 à 19h13

Modifié 8 novembre 2023 à 19h13

Elle souffre de la forte inflation, de la hausse des taux d’intérêt, de la décompensation des hydrocarbures et, bientôt, de la décompensation partielle du gaz butane et d’une fiscalité inéquitable. La classe moyenne, qui ne bénéficie pas d’amortisseurs sociaux comme les aides directes, paraît être reléguée au second plan des politiques publiques. Jusqu’à quand ?

La classe moyenne est pressée comme un citron. C’est la perception qui se dégage de la lecture du PLF 2024 et de toutes les lois de finances des gouvernements qui se sont succédé depuis au moins quinze ans. Le dernier geste fait par un gouvernement à l’adresse de cette classe remonte à l’ère El Fassi (2007-2011), avec la baisse importante de l’IR opérée par le ministre des Finances de l’époque, Salaheddine Mezouar. Depuis, les revendications de cette classe sont passées au second plan.

Abdelilah Benkirane justifiait cela par l’existence d’une priorité : sortir les gens de la pauvreté. "Quand les pauvres mangeront à leur faim, on pourra alors penser à ceux qui mangent un peu mieux", disait-il. El Otmani a emprunté la même voie. Et le gouvernement actuel ne semble pas dévier de cette politique.

Une classe hors champ des réformes sociales et fiscales

Depuis son accession aux affaires, l’exécutif a lancé plusieurs grandes réformes : la réforme de l’IS et de la TVA pour le volet fiscal ; la généralisation de la protection sociale et la mise en place de mécanismes d’aides directes pour le volet social. Dans ces deux grands axes de la politique gouvernementale, la classe moyenne est absente. Elle en sort même perdante dans la majorité des cas.

À l’exception des aides au logement qui seront instituées dès l’année prochaine et qui ciblent une partie de cette classe, aucune mesure directe n’a été prévue pour renforcer le pouvoir d’achat des cadres, salariés, fonctionnaires et professions libérales qui ne vivent pas dans la pauvreté, mais ne sont pas riches non plus. Au sein du gouvernement, on nous dit également que les mécanismes des aides directes ciblent une partie de la classe moyenne, celle qui figure en bas de l’échelle, puisque les scores sur lesquels se base la distribution des aides peuvent inclure des ménages considérés comme faisant partie de la classe moyenne. L’objectif de cette mesure est louable puisque cela va empêcher une partie de la classe moyenne inférieure de sombrer dans la pauvreté, mais la majorité de cette catégorie reste hors champ des aides.

Une catégorie sociale qui souffre de l’inflation galopante, de la hausse des frais de scolarité dans le privé, de la hausse des droits de douane et de la TVA sur plusieurs produits de consommation et d’équipement à partir de l’année prochaine, mais qui ne bénéfice de rien en retour.

Le projet gouvernemental misait sur la réforme de l’éducation et de la santé pour soulager le pouvoir d’achat de cette catégorie, mais la première réforme est bloquée, et la seconde a encore besoin de temps pour porter ses fruits. En attendant, cette classe sociale, qui constitue selon les critères du HCP 51,1% de la population (sur la base du revenu et des dépenses), est appelée à payer le prix fort des réformes publiques ; elle qui contribue le plus à l’impôt sur le revenu ou encore à la TVA sur la consommation.

Même quand on lui offre une protection sociale, pour ceux qui exercent un métier libéral, on lui demande de passer à la caisse, ce qui est logique, mais vécu comme une injustice faute de mesures anti-inflation ou de décisions fiscales à même de renforcer son pouvoir d’achat. Une étude du CESE publiée en mai 2021 estime pourtant que la montée en puissance d’une classe moyenne au Maroc est un préalable au développement et un grand facteur de stabilité politique.

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"Grâce à sa capacité d’épargne, à son soutien à la consommation et à son rôle fondamental dans le financement des systèmes de protection sociale, l’existence d’une classe moyenne représente un puissant levier de financement de l’investissement", souligne ce rapport du CESE. "Elle constitue en outre un facteur de stabilité politique, car elle est généralement le reflet d’une plus grande cohésion sociale, d’inégalités moins marquées et d’un ascenseur social en marche", ajoute le rapport. C’est pratiquement le même constat et la même recommandation que ceux du rapport sur le Nouveau Modèle de développement ou encore des Assises de la fiscalité de 2019, qui ont clairement identifié les injustices fiscales subies par cette classe, pivot de l’économie et de la société.

La lutte contre la pauvreté n’est pas antinomique avec la protection de la classe moyenne

Cette année encore, le focus des politiques publiques est fait sur les classes vulnérables. Chose à laquelle personne ne peut s’opposer. Mais cet objectif noble n’est pas antinomique avec celui de la protection de la classe moyenne ou de son renforcement.

La majorité des individus de cette classe sociale vont même souffrir des politiques qui seront mises en place, surtout après deux années de forte inflation : hausse de la TVA sur l’eau et l’électricité, relèvement des droits de douane des équipements électroniques, mais aussi décompensation partielle du gaz butane sans aucun amortisseur social ou fiscal.

Les mesures pour protéger cette classe sociale stratégique ne sont pourtant pas révolutionnaires ou très coûteuses, comme l’estiment plusieurs experts, dont ceux du CESE.

En plus d’une réforme sérieuse et rapide de l’éducation − compartiment de dépense auquel les familles de la classe moyenne réservent 9% de leur budget mensuel selon le CESE − et des systèmes de santé, autre trappe budgétaire pour les familles, il s’agit, selon les différentes institutions qui ont étudié le sujet, de procéder à quelques réaménagements fiscaux.

Le CESE comme la CSMD recommandent par exemple l’introduction d’une fiscalité des ménages plus favorable, qui tienne compte des personnes à charge et d'une partie des dépenses liées à l’éducation des enfants, le tout consolidé par des allocations familiales plus en phase avec la réalité socio-économique des familles. On ne parle pas ici d’une baisse franche de l’IR individuel, mais d’un calcul de l’impôt qui prendrait en compte le concept de ménage, de famille.

Autre mesure qui peut introduire un peu d’équité et lever le sentiment d’injustice perçu par cette classe : mettre au moins sur un pied d’égalité la taxe sur le travail et la taxe sur le capital.

Des mesures que les familles attendent depuis une décennie, mais qui s’avèrent de plus en plus urgentes dans le contexte économique actuel, marqué par une forte érosion du pouvoir d’achat des ménages.

De nos discussions avec certains responsables gouvernementaux, il ressort que l’exécutif a conscience de ces problèmes et qu'il compte bien s’y attaquer. Mais la priorité est pour l’instant donnée aux classes vulnérables. La classe moyenne, silencieuse et qui manque de bons avocats dans l’arène politique, a attendu quinze ans ; elle pourra bien patienter deux ou trois ans de plus…

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