1.600 retraités de la SMT régularisés : genèse et détails d’un accord historique

La Société marocaine des tabacs se défait d’un boulet hérité de sa privatisation au début des années 2000. Une transaction pour la régularisation des pensions de 1.600 retraités, avec un budget prévisionnel de 1,5 milliard de DH. L’épilogue, ou presque, d’un litige vieux de deux décennies. Voici le récit du contentieux et le détail de l’accord.

1.600 retraités de la SMT régularisés : genèse et détails d’un accord historique

Le 7 novembre 2023 à 15h01

Modifié 7 novembre 2023 à 16h29

La Société marocaine des tabacs se défait d’un boulet hérité de sa privatisation au début des années 2000. Une transaction pour la régularisation des pensions de 1.600 retraités, avec un budget prévisionnel de 1,5 milliard de DH. L’épilogue, ou presque, d’un litige vieux de deux décennies. Voici le récit du contentieux et le détail de l’accord.

La Société marocaine des tabacs (SMT) est en passe de liquider un lourd héritage de sa privatisation en 2003. Il concerne la situation de plus d’un millier de retraités, en litige avec la société concernant des abattements appliqués sur leur pension depuis vingt ans.

Un vieux conflit, qui vient de déboucher sur une solution transactionnelle. Début novembre, les parties ont scellé un accord pour régler définitivement le dossier, comme révélé en primeur par Médias24. L’ancienne Régie des tabacs s’est engagée à régulariser la situation des retraités qui, en contrepartie, devraient renoncer aux actions judiciaires contre leur ancien employeur.

L’accord est historique à tous les niveaux. Dans son habillage juridique, c’est une première au Maroc : la transaction a été signée sous la "médiation" du président du tribunal administratif de Casablanca. De quoi inaugurer une jurisprudence dans les modes alternatifs de règlement des litiges. Ce mécanisme est encouragé par le Roi pour ses vertus sur l’investissement.

Marquant, l’événement l’est aussi par son ampleur : la SMT déboursera 1,5 milliard de DH dans l’opération ! Ce montant − déjà provisionné − servira à désintéresser les quelque 1.600 retraités éligibles. Les conditions et procédures d’indemnisation sont définies dans l’accord (traité plus loin dans l’article).

L’entente est censée mettre fin à deux décennies de batailles judiciaires intestines, à multiples rebondissements.

Un vieux litige

L’affaire est complexe. Sa genèse remonte à 2002. La Régie des tabacs (RGT) appartient alors à l’Etat, mais sa privatisation est imminente. Pour préparer l’opération, la direction de la RGT décide, entre autres, d’externaliser la gestion de son système des retraites, qu’elle transfère au Régime collectif d’allocation de retraite (RCAR). Jusque-là, l’entreprise disposait de son propre régime, une caisse interne aux finances vacillantes.

Le basculement vers le nouveau système sera acté par un "accord d’absorption" signé le 25 décembre 2002. Au passage, la RDT verse 3,4 MMDH au RCAR pour la prise en charge des pensions des retraités transférés.

Le transfert devient effectif à partir du 1er janvier 2003. Communiqués préalablement au personnel, ses termes contiennent les prémices du futur litige : en cas de retraite anticipée du personnel (avant l’âge légal de 60 ans avec une ancienneté minimum de 21 ans révolus), le règlement du RCAR prévoit une réduction de 4,8% pour chaque année manquante (plafonnée à 24%). Un manque à gagner pour les employés de la RDT car, pour le même cas de figure, la caisse interne leur accordait une pension complète.

Quelques mois plus tard, la privatisation de la RDT est actée. La SMT entre en scène et organise une importante vague de départs anticipés. L’occasion d’appliquer l’abattement de 24%. Une mesure légale, mais contestée par de nombreux néo-retraités. Ils estiment avoir droit aux 100% hérités de l’ancien régime. Et exigent que la différence soit supportée par leur employeur fraîchement installé.

La SMT objecte. Entre autres arguments, son repreneur (Groupe Altadis) avance avoir reçu un "quitus fiscal et social" lors de la due diligence ayant précédé la privatisation. Délivré par l’Etat marocain, ce quitus limitait les engagements financiers maximums de l’acquéreur, y compris sur le dossier d’externalisation de la caisse de retraite.

Le conflit est né.

Pour la SMT, les premières assignations démarrent en 2005. Des retraités saisissent, de manière individuelle mais coordonnée, le tribunal social de Casablanca pour réclamer la régularisation de leur situation. En première instance comme en appel, les juges leur donnent souvent raison.

Mais en 2016, la Cour de cassation remettra (partiellement) les pendules à l’heure. Sans trancher au fond, la plus haute juridiction du Royaume dit que le tribunal social est incompétent à examiner lesdites saisines. Les dossiers sont alors exportés à la juridiction administrative de Casablanca. Pour les mêmes résultats, puisque les retraités obtiendront de nouveau gain de cause. La SMT est alors condamnée à "régulariser les situations" des demandeurs.

Régulariser, mais comment ? L’exécution des décisions achoppera sur cette question décisive. Le tribunal a reconnu le droit des demandeurs, sans s’attarder sur les modalités de la régularisation (ce n’était pas l’objet de la demande, ni la vocation du juge).

C’est un nouveau chapitre du litige. Et pour le régler, les parties opteront pour la solution amiable. Dans un premier temps, les négociations directes se font entre les retraités regroupés en coordination, d’une part, et les représentants de la SMT, d’autre part. De grands cabinets d’avocats sont mobilisés pour peaufiner un contrat de conciliation. Mais les tractations échouent. Le président du tribunal administratif est alors sollicité pour une médiation. Le magistrat accepte. Le choix est payant. Il débouche sur la transaction signée le 2 novembre 2023.

L’accord est déjà en cours d’exécution

L’accord pose les "mécanismes et procédure" pour le "règlement définitif, amiable et irrévocable" du différend concernant les pensions.

Le document, dont Médias24 détient copie, répond aux points éludés dans les jugements de régularisation. Il étaye, notamment, les profils des retraités éligibles, les barèmes des sommes à verser ainsi que les modalités de ces versements.

Les retraités concernés sont ceux qui ont quitté la SMT au cours de ou après l’année 2003, et qui avaient accompli 21 ans de travail effectif au sein de la société (sans prise en considération du paiement des cotisations auprès du RCAR pour compléter les 21 ans).

Les prétendants devront produire une décision exécutoire (1re instance n’ayant pas fait l’objet d’appel, ou arrêt d’appel définitif) ayant reconnu leur droit à la régularisation. Un dossier d’exécution ouvert au greffe du tribunal administratif est également de mise.

Les bénéficiaires toucheront des sommes "forfaitaires" selon trois catégories. Les retraités ayant quitté la SMT entre 2003 et 2005 percevront 70% des sommes fixées par une attestation émise par le RCAR. Le taux descend à 60% pour les départs intervenus entre 2006 et 2012, puis à 50% pour ceux intervenus à partir de 2013. Les sommes seront versées sous forme de capital. L’objectif est, notamment, de compenser une partie de la réduction appliquée depuis vingt ans sur les pensions.

L’exécution de l’accord débutera à partir de cette semaine. Les dossiers seront réglés de manière "progressive", suivant un numéro de classement arrêté auprès du secrétariat-greffe du tribunal administratif. Le bénéficiaire devra produire l’attestation du RCAR. C’est sur la base de ce document que sera calculé le montant forfaitaire à débourser. La SMT déposera des chèques à la caisse de la même juridiction. S’ensuivra la procédure de paiement classique en la matière.

La transaction ne s’impose qu’à ceux qui y souscrivent

Après la révélation de l’accord dans ses colonnes, Médias24 a été saisie par une association représentant une partie des retraités, qui dit s’opposer au contenu de la transaction.

"Le problème réside dans le fait que la proposition de la SMT réserve un traitement très discriminatoire entre les retraités", estime l’association. Il est fait référence ici au taux d’indemnisation indexé à la date du départ anticipé. L’association, qui dit représenter une centaine de retraités, plaide pour l’application des 70% pour tous.

"Comment est-ce concevable que pour une même affaire jugée de la même manière selon les mêmes critères et les mêmes attendus, la SMT propose un traitement différencié et discriminatoire sans aucun critère rationnel sinon ses propres intérêts ?", s’interrogent les intéressés.

Du côté de la SMT, on affirme que la transaction a été signée avec les avocats représentant plus de 90% des plaignants. Et dans l’absolu, ce cadre amiable n’est obligatoire que pour les retraités qui y souscrivent. Entendez : pour les contestataires, les différentes voies légales restent ouvertes.

À suivre.

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