Affaire des 16 malades ayant subi des complications après une injection intra-oculaire: Pr Asmaa El Kettani répond aux questions de Médias24

L'enquête est toujours en cours concernant l'affaire des seize personnes ayant eu des complications à la suite d'injections intraoculaires à l'hôpital du 20 août de Casablanca. Les complications de ce traitement sont rarissimes, mais une série de 16 malades le même jour suggère un problème d'infection dont la cause est indéterminée pour le moment. Dans un échange avec Médias 24, Pr Asmaa El Kettani, chef du service d'ophtalmologie pédiatrique au sein dudit hôpital, nous livre sa version des faits.

Affaire des 16 malades ayant subi des complications après une injection intra-oculaire: Pr Asmaa El Kettani répond aux questions de Médias24

Le 15 octobre 2023 à 17h55

Modifié 16 octobre 2023 à 7h11

L'enquête est toujours en cours concernant l'affaire des seize personnes ayant eu des complications à la suite d'injections intraoculaires à l'hôpital du 20 août de Casablanca. Les complications de ce traitement sont rarissimes, mais une série de 16 malades le même jour suggère un problème d'infection dont la cause est indéterminée pour le moment. Dans un échange avec Médias 24, Pr Asmaa El Kettani, chef du service d'ophtalmologie pédiatrique au sein dudit hôpital, nous livre sa version des faits.

Médias24 : Comment se sont déroulées les choses dans le cadre de cette affaire? Quand est-ce que les injections ont été faites et quand est-ce que les premières complications sont apparues chez les patients ayant reçu ces injections ?

Pr Asmaa El Kettani : L’injection a été faite le 19 septembre pour les 16 patients. Au cours de la journée du 20 septembre, deux premiers patients sont arrivés durant la matinée, avec des signes pouvant évoquer une complication infectieuse de l'œil traité. Nous avons immédiatement convoqué en urgence les autres patients qui avaient reçu la même injection le 19 septembre également. Quatre d’entre eux sont arrivés dans la journée, tandis que les autres se sont présentés sur le reste de la semaine, et non pas dans la même journée. La majorité souffraient d'une rétinopathie diabétique. Les autres patients avaient soit une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), soit des occlusions veineuses, qui sont également une source de complications de la rétine, pouvant être traitées par cette injection.

Tous les patients avaient quasiment le même tableau, qui évoque en premier une infection intraoculaire. L’un d’entre eux avait un tableau plus atténué. On les a donc tous hospitalisés, et mis sous traitement intensif et de manière urgente, dans les heures qui ont suivis leur admission, conformément aux protocoles recommandés par la communauté scientifique internationale. On leur a administré des antibiotiques, comme ce que l’on fait dans n’importe quelle endophtalmie qui peut compliquer une chirurgie intraoculaire. Ils ont tous bien répondu au traitement. Sans cette prise en charge adaptée, l'évolution aurait pu être désastreuse vers la perte de l'œil.

Sur le plan de l'inflammation, les patients ont bien répondu au traitement. Mais la récupération visuelle est progressive 

Sur le plan de l'inflammation, les patients ont bien répondu au traitement. Mais la récupération visuelle est progressive et son rythme est variable d'un patient à l'autre. L’infection a lieu dans une partie intérieure de l’œil, que l’on appelle le corps vitré, qui se renouvelle très lentement. Ce corps vitré ne va donc pas s’éclaircir rapidement. Cela va demander des semaines, voire des mois, avant d’avoir la possibilité de voir plus net. Mais sur le plan infectieux, ils se sont tous améliorés. Il n’y a plus d’infection active, mais ils n’ont pas complètement encore retrouvé la vue qu’ils avaient avant.

Ces injections sont faites de manière régulière depuis plusieurs années, non pas seulement au niveau des services d’ophtalmologie de l’hôpital du 20 août, mais aussi dans d’autres hôpitaux et cliniques au Maroc et dans le monde entier. Cela se fait également ailleurs. Ce sont des centaines de milliers, voire des millions d’injections au cours de l’année dans le monde.

Sur les 16 patients, il y en a qui ont déjà reçu plus de 15 injections, et à chaque fois tout s’est bien passé

Parmi les indications de ces injections, une grande partie concerne la rétinopathie diabétique. Le diabète, est une maladie extrêmement fréquente, et ses complications peuvent toucher la rétine et faire baisser la vue. Celle-ci baisse de manière irréversible si l’on ne fait rien, mais quand on injecte ces médicaments et parfois en association à d’autres thérapeutiques qui entourent le diabète, que ce soit au niveau de l’œil ou sur le plan général (équilibre du diabète et de la tension notamment), nous pouvons obtenir une amélioration de l’acuité visuelle.

Comme il s'agit de maladies chroniques et que le médicament a un effet transitoire, les injections sont répétitives. Chaque patient reçoit en moyenne six injections par œil et par an, soit près d'une douzaine d'injections annuellement. On commence par une injection tous les mois, que l'on espace au fur et à mesure. Lorsqu’on a un bon résultat on s’arrête. Quand il y a une nouvelle récidive on réinjecte le produit.

La plupart des patients dans le monde, les nôtres en l’occurrence, ont eu plusieurs injections. Il y en a qui ont déjà reçu plus de 15 injections et à chaque fois tout s’est bien passé.

- Donc ce ne sont pas de nouveaux patients. Ce sont des habitués.

- Pour la plupart oui. Ce sont des personnes habituées à recevoir ces injections sans problème au niveau de l’hôpital du 20 août, et qui le font parfois tous les mois.

Ces injections se font depuis 2007 au niveau de l’hôpital du 20 août. Ce produit existe depuis une quinzaine d’années même ailleurs, et il a transformé le pronostic des patients, que ce soit pour le diabète ou la DMLA, qui est un vieillissement de la rétine.

Quand je dis que les patients répondent bien à ces injections, cela ne signifie pas qu’ils vont guérir, ni retrouver une vue tout à fait normale, mais plutôt qu’ils vont récupérer une partie de la vue, moyennant des injections répétitives parfois durant des années.

D’autre part, chaque geste qu’on fait chez un patient comporte un risque imprévisible. Nous avons toujours en tête le rapport bénéfice-risque qu'on évalue pour chaque patient. La question qu’on se pose à chaque fois est la suivante : Est-ce que quand je fais ce geste je fais courir un risque à mon patient ? et est-ce que ce risque est supérieur au bénéfice qu’il peut en tirer ? Si l’on juge que cette balance est en la faveur du bénéfice, on fait le geste, en s’entourant de toutes les précautions possibles. Mais on ne peut pas annuler le risque.

L'endophtalmie, infection redoutée des ophtalmologistes

La hantise des ophtalmologistes, à chaque fois qu’ils font un geste intraoculaire, c’est l’endophtalmie. Il s’agit d’une infection grave. Au cours de ces injections, toutes les précautions sont prises pour minimiser le risque, à savoir le port d’une tenue chirurgicale, dans un bloc opératoire, en procédant à une désinfection rigoureuse, et à la stérilisation du matériel. Malgré ces précautions, une contamination bactérienne est possible, quoiqu'exceptionnelle. Elle peut provoquer une endophtalmie. C’est a priori ce qui s’est passé chez ces patients.

Dès que les deux cas de suspicion d'endophtalmie se sont déclarés, nous avons tiré la sonnette d'alarme et nous avons vérifié l'état de santé de tous les patients qui sont passés par la même procédure.

L’infection est la supposition la plus plausible

- Pouvez-vous confirmer qu’il s’agit bien d’une infection ?

- L’infection est la supposition la plus plausible. L’infection intraoculaire est une complication connue, qui est déjà arrivée ailleurs et bien sûr, et qui est redoutée par les ophtalmologistes, qui nécessite une prise en charge très rapide.

Ces mêmes patients, si on les avait traités plusieurs jours après, n’auraient pas évolué de la même manière.

- Vous dites que c’est une infection très rare, et quand elle touche deux personnes qui ont été injectées par le même produit, il faut tirer la sonnette d’alarme. Dans cette affaire, il s’agit de 16 personnes. Comment pouvez-vous expliquer cette situation ?

- Comme d’habitude, toutes les précautions ont été mises en place. Dès la déclaration de cette complication, nous avons évoqué la survenue d’une contamination bactérienne au cours de la procédure d’injection du produit aux 16 patients. On n’a pas encore de preuve sur ce qui s'est passé, l’enquête va élucider tout cela.

L'injection a été faite par un médecin en respectant toutes les précautions nécessaires

- Qui a fait l’injection ? S’agit-il d’un médecin ou d’un personnel de santé ?

- L’injection a été faite, comme d’habitude, par un médecin, au niveau d’un local dédié aux injections au sein du bloc opératoire, avec une préparation du chirurgien et du patient comme pour n’importe quelle chirurgie à savoir : lavage chirurgical, le port de casaque et de gants stériles, de bavettes, de calot sur les cheveux, la désinfection du champ opératoire, la mise en place d’un champ stérile, et la stérilisation du matériel avec lequel on travaille. L’injection a été faite par des seringues à usage unique, comme ce qui se passe habituellement que ce soit dans notre bloc ou dans les blocs du monde entier.

Le traitement est présenté sous forme de flacon. Un flacon peut servir à plusieurs patients, près d’une vingtaine. C’est ce qui rend le traitement accessible d'un point de vue financier. Même ailleurs, c’est ce produit qui est utilisé de manière fractionnée.

- Lorsqu’il est ouvert, le flacon de ce produit doit-il être jeté dans la journée s’il n’est pas utilisé ?

- Dans notre pratique à l’hôpital, les patients programmés pour IVT le même jour se chargent d’amener le médicament. Le flacon reçu est utilisé dans la même journée.

Tout flacon est entamé dès réception le jour des IVT puis détruit le jour même. Le flacon ne doit pas être réutilisé même s’il reste un résidu du produit.

Toutes les personnes qui sont intervenues dans le circuit de l’injection de ces 16 patients ont été écoutées dans le cadre de l’enquête en cours pour clarifier les circonstances de la survenue de cette complication

Trois patients sont encore hospitalisés

- A aujourd’hui, à combien s’élève le nombre de patients qui se trouvent toujours à l’hôpital ?

- Tous les patients sont sortis, excepté trois qui sont encore hospitalisés, et qui ont encore besoin d’autres soins qui ne peuvent pas être faits en ambulatoire.

Toutefois, même si les patients sont sortis, cela ne veut pas dire qu’on ne les voit plus. Ils sont suivis en ambulatoire.

A ce jour aucun patient n'a perdu la vue, la majorité souffre d'une baisse importante de la vision 

- Y a-t-il eu une cécité totale ou partielle chez ces personnes ?

- A ce jour, aucun patient n'a perdu la vue, mais la majorité souffre d'une baisse importante de la vision, situation qui est en train de s'améliorer avec le temps. La majorité des patients vont mieux et ont quitté l'hôpital. On injecte toujours un seul œil pour tous les patients. On n’injecte jamais les deux yeux en même temps.

Il faut également savoir que ce sont des patients qui ont des problèmes ophtalmologiques à la base, et qui de ce fait ont besoin de ces injections. Leur vue est déjà faible. Ils ne partent pas d’un état de 10/10 de vue. Il y a ceux qui ont une pathologie unilatérale comme les occlusions vasculaires, qui ont donc un œil valide, et ceux qui ont des pathologies chroniques comme la DMLA ou le diabète, qui ont également une faible vision au niveau de l’autre œil, qui n’a pas reçu d’injection. Mais en tous les cas, ils ne sont pas aveugles.

- Quel est le traitement qui a été administré à ces personnes après les complications survenues ?

- Tous les patients ont reçu le même traitement qui consiste en des injections intra-vitréennes (IVT) d’antibiotiques à large spectre et d’anti-inflammatoires associées à des traitements par voie locale et par voie générale intraveineuse. C’est ce traitement qui atteint efficacement le corps vitré, un gel dépourvu de vaisseaux qui remplit l’œil et qui se renouvelle très lentement. Ce qui nous amène parfois à pratiquer une vitrectomie, pratiquée chez quatre de nos patients.

- Pour les trois patients qui sont encore hospitalisés, est-ce qu’on peut parler d’une atteinte sévère ou grave ?

- Ils répondent plus lentement au traitement, mais leur état évolue positivement.

- Est-ce qu’il y a déjà eu des cas similaires à l’hôpital du 20 août ?

- C'est la première fois que nous déplorons une série d'endophtalmies dans notre hôpital. A noter que des milliers d'interventions chirurgicales (y compris les IVT) sont pratiquées dans notre service depuis des décennies.

Une endophtalmie arrive de temps en temps que ce soit après injection intravitréenne, quel que soit le médicament utilisé (Avastin ou autre), ou après chirurgie. La bactérie responsable peut être portée par le patient lui-même.

Cela reste tout de même des cas isolés, moins d'un cas sur 10.000.

-Avez-vous été entendue par la police judiciaire ?

- J’ai reçu un courrier de la part de mon administration dans le cadre de cette enquête pour relater toutes les informations concernant ces patients. On n'a pas encore les résultats des enquêtes des commissions médicales, administrative et judiciaire, qui sont toujours en cours.

- Avastin dispose d’une autorisation de mise sur le marché pour le traitement de plusieurs types de cancers. Pourquoi est-il utilisé contre des maladies rétiniennes ?

- Toute demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un nouveau médicament est faite par le laboratoire qui veut commercialiser ce médicament. Pour cela, un dossier détaillé avec un cahier de charges précis comprenant entre autres les résultats des études cliniques, est déposé auprès des autorités compétentes.

Pour le cas de l'Avastin, malgré une multitude d'études scientifiques et cliniques montrant son efficacité dans certaines maladies de la rétine, le laboratoire n'a jamais jugé utile de faire une demande d'AMM dans ces indications.

L'utilisation de l'Avastin (ou un autre médicament) hors AMM n'est pas interdite, elle peut même faire l'objet de recommandation d'utilisation par la communauté scientifique internationale appuyée parfois par les pouvoirs publics

Pour l’Avastin, c’est par hasard que son l’efficacité dans la DMLA a été découverte pour la première fois chez un patient cancéreux traité par ce médicament.

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