Moudawana : pendant 20 ans, des jugements qui sont autant de pistes de réforme

JURISPRUDENCE. Vingt ans sous la Moudawana, ce sont deux décennies de jurisprudence où l'on a parfois tenté de remédier aux lacunes de ce texte novateur mais perfectible. Et, d'autres fois, trahi son esprit en appliquant sèchement son contenu ou en exploitant ses mutismes. Voici notre lecture non exhaustive de ces vingt années de pratique judiciaire.

Moudawana : pendant 20 ans, des jugements qui sont autant de pistes de réforme

Le 3 octobre 2023 à 16h49

Modifié 10 octobre 2023 à 16h31

JURISPRUDENCE. Vingt ans sous la Moudawana, ce sont deux décennies de jurisprudence où l'on a parfois tenté de remédier aux lacunes de ce texte novateur mais perfectible. Et, d'autres fois, trahi son esprit en appliquant sèchement son contenu ou en exploitant ses mutismes. Voici notre lecture non exhaustive de ces vingt années de pratique judiciaire.

Tutelle, enfants "naturels", mariage sans acte, garde et droit de la femme divorcée... Que les conclusions soient positives ou négatives, l'analyse de la jurisprudence marocaine en matière familiale permet d'esquisser des pistes de réforme sur des sujets parfois clivants.

La tutelle légale s'incline devant l’intérêt supérieur de l'enfant

Changer l’enfant d'école, lui ouvrir un compte bancaire, lui obtenir un passeport... Anodines, ces démarches ne le sont pas pour une mère divorcée. Même dévolutaire de la garde, elle doit systématiquement solliciter l'autorisation du père, érigé en tuteur légal par priorité.

Dans les faits, cette norme donne lieu à des imbroglios qui nuisent surtout à l'enfant. Et quand ses "intérêts supérieurs" sont en jeu, certains juges n'hésitent pas à adoucir, voire à écarter une règle stricte pour désamorcer des situations parfois urgentes.

Parmi les dossiers les plus récurrents, on cite les décisions reconnaissant à la mère le droit d'obtenir "un certificat de départ" pour permettre le transfert de l'enfant vers une nouvelle école, et ce, malgré le refus du père.

Il s'agit, pour la majeure partie des cas, d'ordonnances de référés enjoignant à l'établissement réfractaire de délivrer ledit document. Dans ce cas, les juges s'en remettent souvent à des principes constitutionnels tels que le "droit à la scolarité" de l'enfant.

La pratique fait ressortir des décisions radicales sur des dossiers plus délicats. En mars 2021, le tribunal de Midelt avait ainsi autorisé une justiciable à installer définitivement ses enfants à l’étranger, là aussi contre l'avis du père. Un jugement détonnant quand on sait la difficulté pour une mère divorcée à décrocher un voyage même temporaire.

Enfants nés hors mariage : le statut de paria est confirmé par la justice

 "La filiation illégitime ne produit aucun des effets de la filiation légitime vis-à-vis du père". C'est ce qui ressort de l'article 148 du code de la famille. Cela signifie qu'un enfant né hors mariage n'a aucun droit sur son géniteur. Et vice versa, ces derniers n'ont aucun devoir envers leurs progénitures.

Cette disposition est reprise sans nuance par la jurisprudence marocaine. La Cour de cassation va même jusqu’à considérer l’enfant "naturel" comme totalement "étranger" au père. Que le lien biologique soit avéré ou non par un test ADN.

Cette position hostile fait autorité parmi les juges. Légale, elle n’en puise pas moins sa substance dans une certaine interprétation de la religion musulmane. Et précisément dans une exégèse d’Ibn Hazm (XIe siècle).

Pourtant, les auteurs de la Moudawana ne partagent pas la même lecture littéraliste. En 2004, la publication du Code avait été accompagnée d’un "guide pratique" réclamé par le Roi lui-même. Adressé aux juges, il a évoqué le sujet des enfants nés hors mariage avec une reconnaissance (certes a minima), tout en responsabilisant le père biologique :

"Lorsque l’enfant est illégitime, le père n'assume aucun des effets de la filiation. Toutefois, rien n’empêche la possibilité de faire recours à l’application des règles générales relatives à l’indemnisation du préjudice occasionné par la personne qui était la cause d’une naissance en dehors du cadre permis par la loi."

En 2017, le tribunal de Tanger avait tenté de donner vie à cette recommandation. Un jugement historique qui sera annulé en appel, puis définitivement étouffé par la plus haute juridiction du Royaume.

En cas de divorce, la femme est indemnisée malgré sa condamnation pour adultère

"Une femme condamnée pour adultère n’est pas privée de ses droits en cas de divorce (reliquat du sadaq, la pension de la retraite de viduité et le don de consolation). Ces droits sont acquis, à charge pour le tribunal d’en fixer les montants en tenant compte de l’infraction et d’autres éléments d’interprétation juridique."

Inédit, ce postulat émane de la plus haute juridiction du Royaume. Dans un arrêt daté de juillet 2021, la Cour de cassation a débouté un mari qui contestait un jugement l’ayant astreint à indemniser son ex-épouse, alors qu’elle l’avait trompé trois mois seulement après le mariage. Elle avait même été condamnée à 4 mois de prison ferme pour ce motif. Or, pour la Cour de cassation, ce fait n’exempte pas l’époux de payer les droits de la divorcée.

Le même arrêt ressort une deuxième règle : le mari dédommagé dans le cadre du procès pour adultère ne peut pas demander un nouveau dédommagement, pour le même motif, dans le cadre de la procédure de divorce.

Mariage par Fatiha : la Justice a ouvert une brèche que le gouvernement croyait fermée

La Moudawana de 2004 avait consacré le "document" de l'acte de mariage comme unique "preuve valable" du lien conjugal. Face à cette disposition, le même texte a prévu une dérogation : les personnes n'ayant pas réussi, pour des raisons impérieuses, à dresser ce contrat pouvait y remédier via une action en reconnaissance de mariage, procédure à laquelle les autorités ont ouvert une période transitoire.

Cette période transitoire a été officiellement fermée en 2019. Une sorte de moratoire assorti d'une étude pour évaluer l'opportunité, ou non, de réactiver la dérogation.

Les faits ont démontré que le mariage sans acte (par Fatiha), plus qu'une pratique culturelle, était souvent exploité à des fin frauduleuses (forcer un mariage de mineur, détourner la procédure de polygamie, etc.). Avec la femme et l'enfant comme principales victimes. Cela explique, en partie, pourquoi l'Etat a choisi de ne pas rouvrir le champ aux actions en reconnaissance de mariage.

Ces réticences étatiques n'ont pas empêché la Justice d'autoriser plusieurs actions postérieures à la fermeture de la période transitoire. Prononcé en 2022 , un arrêt de la Cour de cassation estime même que le mariage par Fatiha reste valable en invoquant le rite malékite et l'effort jurisprudentiel (Ijtihad). Une lecture autorisée par l'article 400 de la Moudawana. Ce texte permet aux juges de revendiquer ces références "pour tout ce qui n’a pas été prévu" par le Code de la famille.

Garde de l’enfant : primauté des traités internationaux sur le droit interne

La Cour de cassation a "cassé" une décision rendue dans sur une affaire portant sur la garde d’un enfant. Motif, l’arrêt attaqué n’a pas tenu compte de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, à laquelle le Maroc a adhéré depuis 2010.

En annulant cette décision, la plus haute juridiction du Royaume réaffirme le principe selon lequel les conventions internationales "dument ratifiées" par le Maroc "priment sur le droit interne du pays". Ce principe trouve sa base dans la Constitution de 2011 (Préambule).

Datant de 1980, la Convention de La Haye s’intéresse au rapatriement d'enfants "illicitement déplacés ou retenus" dans un Etat partie, notamment par l'un des parents. L’objectif est de prémunir l’enfant des effets de "l'enlèvement", tout en maintenant ses liens avec "ses deux parents".

Divorce par procuration : rien ne le prévoit, rien ne l’interdit

Le Code de la famille ne prévoit pas "expressément" la possibilité d’initier un divorce par "procuration". Mais cela n’empêche pas d’y recourir, ce mécanisme étant "autorisé, sous condition, par le rite malékite auquel l’article 400 de la Moudawana fait référence". C’est ce que nous dit un arrêt rendu en septembre 2021 (dossier n° 2020/1/2/279).

La Cour de cassation statuait sur la demande d’un époux ayant initié une procédure de divorce, tout en faisant valoir l’impossibilité de se présenter au tribunal. L’intéressé, qui réside à l’étranger, faisait l’objet d’un mandat de recherche amorcé par sa conjointe.

Cette jurisprudence est venue répondre aux difficultés qui se posent dans la pratique, notamment pour les Marocains résidant à l’étranger, les marins qui travaillent en mer, ou encore les détenus…

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