Louis d’Hauterives, Nawal, deux desseins que le dessin unit

Portraits d'artistes. C’est une histoire que l’on croirait tout droit sortie d’un conte. Pourtant, les personnages sont on ne peut plus réels. Deux individus aux vies et parcours fondamentalement opposés, qu’une amitié improbable, profonde et indéfectible unit. L’une a connu l’enfer aux balbutiements de sa vie, l’autre a baigné dès sa tendre enfance dans le monde de l’art et de la culture. Tous deux partagent une passion commune, celle du pinceau.

Louis d’Hauterives, Nawal, deux desseins que le dessin unit

Le 26 août 2023 à 9h07

Modifié 26 août 2023 à 9h58

Portraits d'artistes. C’est une histoire que l’on croirait tout droit sortie d’un conte. Pourtant, les personnages sont on ne peut plus réels. Deux individus aux vies et parcours fondamentalement opposés, qu’une amitié improbable, profonde et indéfectible unit. L’une a connu l’enfer aux balbutiements de sa vie, l’autre a baigné dès sa tendre enfance dans le monde de l’art et de la culture. Tous deux partagent une passion commune, celle du pinceau.

Né à Bruxelles en 1965, Louis a grandi au sein d’une famille d’artistes. Son père n’est autre qu'Arnaud d’Hauterives, artiste-peintre de renom, et secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, décédé en 2018. Sa mère, Renée Delhay, était céramiste et peintre.

C’est à la villa Médicis à Rome, haut lieu de l’art, que les parents de Louis se sont rencontrés. “J’ai très tôt été baigné dans le monde de l’art. C’est un apprentissage qui n’est pas autodidacte, c'était le quotidien, les conversations”, raconte Louis d’Hauterives.

Louis d’Hauterives

Un artiste marocain de cœur

De son enfance, Louis se souvient de Aïcha, sa nourrice marocaine originaire d’Azrou. “C’est peut-être elle qui m’a inculqué les valeurs marocaines. J’étais peut-être déjà imprégné. Il n’y a pas de hasard, même pas du tout”, estime-il.

Quelques années plus tard, il entreprend un voyage qui le conduira dans plusieurs villes du Royaume, au cours duquel il décidera d'élire domicile à Essaouira, en 1995. “Essaouira était encore à cette époque un endroit peu connu, en fin de compte. C’était une ville un peu oubliée. Les gens venaient là pour se perdre, dans le sens positif du terme”, dit-il.

Au bout de dix années passées dans la cité des alizés, Louis décide de la quitter pour s’installer à Sidi Ifni. “La ville d’Essaouira que j’ai connue au début n’avait rien à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui. J’aimais bien ce côté envoûté, mystérieux… et Sidi Ifni m’a finalement relancé”, confie Louis.

C’est dans cet ancien port militaire espagnol que Louis d’Hauterives jettera les amarres. Il la chérira plusieurs années durant, entouré d’artistes locaux. Il montera par la suite un grand atelier sur les vestiges d’un ancien bâtiment colonial, situé dans le quartier Lebraber à Sidi Ifni.

Installé depuis peu à Agadir, même s’il n’a pas complètement rompu le cordon avec Sidi Ifni, il projette de redonner vie à un endroit emblématique de la capitale soussie. Son projet consiste à réaménager un bâtiment pour en faire une galerie d’art dédiée à la promotion de l’histoire et du patrimoine de la ville, et dans laquelle exposeront les artistes de la région. Plusieurs toiles sont en cours de réalisation pour préparer l’ouverture de l’endroit. “Il y a une réelle volonté artistique sur le court terme pour donner vie à ce projet”, note-t-il.

Des lieux, des inspirations

L’artiste nous donne rendez-vous chez lui, dans une villa somptueuse, située dans un quartier calme de la ville. Le lieu invite à l’éveil des sens. Chaque allée, chaque pièce, chaque recoin de ce bâtiment abrite des œuvres d’art.

Sculptures, pièces en céramique et tableaux habitent ce lieu vivant, où se succèdent, autour de la table du patio situé dans l’arrière-cour, des amis de Louis et Wafae, son épouse. Musiciens, peintres, comédiens, critiques ou simples amateurs d’art se retrouvent ici pour un moment de partage.

L’hôte nous propose une visite guidée de la maison. Le long du couloir sont accrochés des tableaux que Louis a réalisés quelques années auparavant. Chaque œuvre décrit un instant, un souvenir précis que l'œil du peintre a capturé et que l’imaginaire a restitué.

“Tous les tableaux que tu vois là sont un carnet de voyage sur le Maroc. Ici, c’est à Casablanca… là, c’est à Tata… là, on est en 2000, à Essaouira, chez un mâalem qui est aujourd’hui décédé, entouré de joueurs de crotales qui battaient le rythme à l’aide de cassettes. C’était intéressant de montrer l’ambiance à l’intérieur de leur maison… Ici, c’est une partie de football sur la plage de Sidi Kaouki, bien entendu, c’est satirique. Ici, c’est le jardin à Sidi Ifni”, commente Louis d’Hauterives.

Il faut dire que Louis est un amoureux des paysages marocains qu’il connaît parfaitement. Mais ceux qui ont le plus marqué son parcours d’artiste se situent indéniablement à Essaouira et Sidi Ifni.

Ces deux villes ont également imprégné l'œuvre de Nawal Kaddah, une artiste-peintre native de la ville de Safi.

Une artiste tourmentée

Son enfance, elle n’en garde que peu de souvenirs joyeux. Abandonnée très tôt, livrée à elle-même et privée de son innocence, Nawal a dû batailler pour sa survie. Quand on lui pose la question sur cette période de sa vie, elle détourne le regard et se replie dans un mutisme assourdissant.

À défaut de connaître les bancs de l’école, Nawal a été acculée, dès l’âge de huit ans, au travail domestique chez la famille d’un musicien réputé de la scène chaâbi à Marrakech. À l’âge de douze ans, Nawal fugue en espérant améliorer sa condition, en vain. Pendant trois années, elle errera dans les abysses de la rue, de la délinquance, jusqu’au jour où elle rencontrera un Allemand, de vingt ans son aîné, qu’elle suivra en Allemagne et épousera cinq ans plus tard.

Nawal

C’est là que Nawal a commencé à peindre. “J’ai visité un jour un grand château dans lequel étaient accrochés des tableaux. Je me suis demandé si j’étais capable de les reproduire. Dès mon retour à la maison, j’ai pris un pinceau, et j’ai commencé à peindre”, raconte Nawal. Quelque temps plus tard, Nawal participera à un concours de peinture destiné aux personnes souffrant de toxicomanie. Le jury lui décernera un prix.

Mais c’est à Essaouira qu’elle aura un début de reconnaissance. “Quand j’avais 25 ou 26 ans, j’ai exposé au restaurant Taros. Il s’agissait de pièces de carrelage que j’achetais à un dirham pièce, que je peignais et revendais à 30 dirhams l’unité. Mon ancien époux n’aimait pas que je puisse gagner de l’argent, il préférait que je dépende de lui financièrement. Nous nous sommes séparés peu de temps après”, se souvient Nawal.

C’est à la même époque et au même endroit que les chemins de Louis et Nawal se sont croisés. Débutera alors une amitié qui résistera, contre vents et marées, à l’épreuve du temps.

Des influences, des œuvres

Deux ans après cette première rencontre à Essaouira, Nawal a fini par rejoindre son ami à Sidi Ifni. Encouragée par Louis et soutenue par un couple d’amis, Benoît et Dominique, elle s’installe à Sidi Ifni et ouvre une galerie dans laquelle elle expose et vend ses créations.

En fin connaisseur, Louis apprécie la subtilité des créations de la jeune artiste. De l'œuvre de sa protégée, il dit : “J’ai toujours considéré que Nawal était la successeure de l’artiste marocaine très connue Chaïbia. Ce sont des artistes qui ne sont malheureusement pas très soutenues au Maroc. Mais, pour moi, Nawal est une artiste très importante.”

Son œuvre, qui s’inspire d’un vécu imprégné de mysticisme et de noirceur, intéresse de nombreux collectionneurs d’arts. “Le public averti adore son travail. Mais il peut être mal interprété par certaines personnes qui ne voient pas l’âme de son travail. Ça leur échappe. C’est presque haram. Car elle touche à des sujets qui font peur. C’est vrai que, dans ses dessins, il y a des choses dures. Les tableaux qu’elle peint, que je connais très bien, sont parfois difficiles à regarder. Il s’en dégage quelque chose de sombre, de noir, de quasiment dérangeant.”

Galerie de Nawal.

Nawal réussit à joindre le savoir-faire à la poésie de l’imaginaire. En effet, ses créations révèlent une technicité hors pair ; elle maîtrise l’émaillage, une technique traditionnelle qu’utilisent les artisans potiers, à laquelle elle a recours dans ses tableaux.

De prime abord, les néophytes pourraient penser que les dessins de Nawal relèvent de la peinture naïve. Or, selon Louis, il s’agit d’un travail plus élaboré, plus profond : “C’est un travail qui entre dans l’expressionnisme, pas du tout dans le naïf. Je dirais même avec une influence de l’expressionnisme allemand. Car il y a eu aussi ce séjour en Allemagne qui a été déterminant.”

La reconnaissance dont jouit Nawal dans les milieux avertis de l’art lui permettent d’être autonome, de vivre de ses créations auxquelles elle dédie la majeure partie de son temps. “J’arrive à vendre suffisamment de tableaux en fin d’année, beaucoup moins pendant l’été”, confie Nawal.

Sidi Ifni est une destination très prisée pendant l’hiver, où elle connaît une forte affluence. “À partir du mois d’octobre, les gens viennent du monde entier. Il y a un public averti, des gens brillants, des intellectuels”, témoigne Louis d’Hauterives.

Pour l’heure, Nawal enchaîne les journées de travail dans son atelier. Elle prépare une série de tableaux qui seront exposés dans la nouvelle galerie gadirie, et une autre série destinée à une exposition collective, prévue en mars 2024 en France, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.

Composition réalisée par Louis à partir de tableaux de Nawal.
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