Mâalem Saïd Boulhimas, de la zaouia Sidna Bilal au Cabaret sauvage

Durant ce mois d’août, Médias24 part à la rencontre d’artistes marocains qui ont eu ou continuent de jouer un rôle important dans le rayonnement de l’art. Cette première escale nous conduit à Essaouira, à la rencontre d’un maître talentueux qui a dédié sa vie à l’art gnaoua.

Mâalem Saïd Boulhimas, de la zaouia Sidna Bilal au Cabaret sauvage

Le 15 août 2023 à 15h11

Modifié 15 août 2023 à 17h09

Durant ce mois d’août, Médias24 part à la rencontre d’artistes marocains qui ont eu ou continuent de jouer un rôle important dans le rayonnement de l’art. Cette première escale nous conduit à Essaouira, à la rencontre d’un maître talentueux qui a dédié sa vie à l’art gnaoua.

Né à Essaouira en 1980, d’un père rifain et d’une mère souirie, le mâalem Saïd Boulhimas a passé les jeunes années de sa vie derrière les remparts de la ville des vents, bercé par les chants soufis gnaoua des mâalems de la zaouia Sidna Bilal à Essaouira.

Ces mâalems, dont le charisme et l’aura imposent une estime qui frôle la vénération, ont longtemps façonné l’imaginaire de Saïd Boulhimas.

L’art gnaoua au berceau

“Dès l’âge de 5 ans, ma mère m’emmenait chez notre voisine qui organisait régulièrement des lilas gnaoua. Malgré mon très jeune âge, je veillais jusque tard pour pouvoir apprendre les paroles et les chants des grands mâalems qui s’y succédaient”, se souvient Saïd.

Dans la culture gnaoua, les lilas forment le rituel central autour duquel se pratiquent la transmission du savoir ancestral, les incantations et la guérison. Ce cérémonial, guidé par un mâalem, est rigoureusement codifié. Les couleurs, les encens, les chants et les danses se succèdent selon un ordre établi (comme nous le verrons plus loin dans cet article) et se prolongent généralement jusqu’à l’aube.

Le cœur chavirant entre l’école où il avait de bons résultats et sa passion pour les gnaoua, Saïd a finalement tranché. Il quittera l’école après le collège pour accompagner le mâalem Seddik Laarch dans son atelier de lutherie où il apprendra à la fois les secrets de fabrication des instruments traditionnels gnaoua (tbel, guembri...), ainsi que les techniques de base de jeu.

À la même période, la quête d'apprentissage conduira Saïd Boulhimas à croiser le chemin de la famille Guinia. De cette rencontre est née la vocation du jeune mâalem qui orchestrera sa toute première lila gnaoua… à l’aube de ses 16 ans !

Peu après, Saïd fait la rencontre de l’artiste Mohamed Jbara, avec qui il entreprend une tournée dans plusieurs villes au Maroc. Il développe son jeu au guembri en s’initiant à la fusion, et parfait son apprentissage théorique de la musique. “C’est avec Jbara que j’ai pu apprendre le solfège au guembri” se remémore le mâalem Boulhimas. Une initiation qui lui ouvrira les portes du succès mondial.

Un rayonnement à l’international

La rencontre entre Saïd Boulhimas et l'artiste multi-instrumentiste Loy Ehrlich, à l’époque directeur artistique du festival d’Essaouira, a marqué un tournant dans la carrière du mâalem souiri.

Loy Ehrlich, en grand amoureux de la ville d’Essaouira et passionné de musique gnaoua, est allé jusqu’à inventer un instrument, situé entre la basse et le guembri, qu’il a baptisé gumbass.

C’est sans doute ce même élan d’inventivité et de générosité qui l’a poussé à créer, dès 2007, à l’occasion du 10e anniversaire du festival d’Essaouira, une formation musicale qui regroupe des artistes de tous bords. Un groupe que Loy a baptisé “Band of Gnawa”. Et les noms qui y figurent sont pour le moins prestigieux. En effet, parmi ses membres, on retrouve Louis Bertignac, cofondateur du célèbre groupe de punk rock français des années 1970 et 1980, Téléphone.

La nouvelle formation s’est produite sur différentes scènes, d’Essaouira au Cabaret sauvage à Paris. Il s’agissait à cette époque de la toute première expérience internationale de Saïd Boulhimas, à laquelle ont succédé plusieurs dates en Espagne, au Mali et en Mauritanie, aux côtés du mâalem Abdellah Ghania.

Le retour aux sources

C’est donc riche de son parcours et de ses expériences que le mâalem Saïd Boulhimas décide, après ses retrouvailles avec Mustapha, un ami d’enfance désormais propriétaire d’un restaurant adjacent à Bab Tres Portes, de se charger de l’animation musicale du lieu.

Depuis, cet endroit, qui porte le nom évocateur “Les remparts”, voit défiler une clientèle marocaine et étrangère que l’amour de la musique gnaoua réunit.

C’est d’ailleurs l’une des toutes premières adresses à Essaouira ayant abrité des soirées gnaoua régulièrement, en dehors des dates du festival. “J’ai ouvert ce restaurant en 2014, sur recommandation d’un ami sénégalais. Au départ, il y avait une soirée gnaoua hebdomadaire, jusqu’à ce que je rencontre Saïd une année plus tard. Il a proposé de m’accompagner dans cette aventure. Depuis, il y a quotidiennement des soirées gnaoua au restaurant”, confie Mustapha.

Le restaurant Les Remparts est également un lieu où se transmet la musique gnaoua. En effet, chaque soir, de jeunes musiciens accompagnent le mâalem au qraqeb (crotales traditionnels). “Depuis l’ouverture du restaurant, plusieurs jeunes apprentis gnaoua sont venus pour apprendre les bases du jeu du guembri, en se produisant le soir aux côtés du mâalem Saïd Boulhimas. Certains d’entre eux font aujourd’hui de la scène ou bien jouent dans d’autres restaurants”, indique Mustapha.

Cette transmission maître-élève rappelle quelque peu le mode d’apprentissage d’antan, même s’il est désormais possible d’apprendre à jouer en regardant les nombreuses vidéos d’initiation qu’on trouve sur internet. Ce mode d'enseignement, fondé sur l’apprentissage direct, a longtemps souffert des stéréotypes qui entachaient jusqu’à très récemment l’art gnaoua, que beaucoup associaient à la mendicité.

Saïd Boulhimas s'en souvient. “Les grands mâalems gnaoua n’aimaient pas voir jouer du guembri en dehors des endroits fermés. Quand feu mâalem Abdeslam El Belghiti nous voyait jouer dans la rue, il nous faisait un scandale !”

À cette époque, la plupart des lilas étaient organisées chez l'habitant ou dans l’enceinte de la zaouia Sidna Bilal au moment du moussem. Sur ce point, il est important de noter que cette zaouia n’en est pas réellement une. Car à la différence des zaouias traditionnelles, construites autour de mausolées de saints, celle-ci a été édifiée en hommage au compagnon du prophète Bilal Ibn Rabah. De fait, aucune sépulture n’y repose.

La renaissance de l’art gnaoua

Longtemps ostracisé et peu reconnu, l’art gnaoua a réussi, en l’espace d’un quart de siècle, à sortir des sentiers battus. Plusieurs maîtres de cérémonies gnaoua reconnus, parmi lesquels le regretté mâalem Mahmoud Guinia ou encore Hamid El Kasri, ont su donner un second souffle à un art qui n’était réservé jusque-là qu’aux fidèles et adeptes des zaouias ou à une élite de néophytes, de chercheurs en sciences sociales et d’historiens.

Ainsi plusieurs rencontres artistiques ont façonné et modernisé cet art ancestral, suscitant l’intérêt de plusieurs grands artistes de la scène jazz internationale.

Dès 1991, les premières ébauches de fusion entre jazz et gnaoua ont vu le jour. On note à ce propos la collaboration remarquable entre l’artiste marocain Hassan Hakmoun et les jazzmen Adam Rudolph et Don Cherry autour du projet “Gift of the Gnawa”.

Peu après, en 1994, le saxophoniste Pharoah Sanders fait la rencontre du mâalem Mahmoud Guinia avec lequel il a réalisé l’un des albums les plus importants de l’histoire de la fusion gnaoua. L’album porte le nom évocateur de The Trance of Seven Colors (la transe des sept couleurs) faisant référence aux différentes phases d'une lila - une veillée religieuse et mystique à laquelle ses adeptes prêtent des vertus thérapeutiques.

Les lilas menacées

Si le Festival gnaoua et musiques du monde d’Essaouira a réussi à promouvoir la musique gnaoua en lui permettant de rayonner sur la scène internationale, il a également relégué les traditions au second plan. Saïd Boulhimas remarque d’ailleurs que “les lilas sont de plus en plus rares à Essaouira. Même le moussem annuel de la zaouia Sidna Bilal n’a pas eu lieu cette année”.

D’ailleurs, en l’absence de lila, beaucoup de trouh (chants) sont tombés dans l’oubli. “Il y a des trouh que j’entendais étant petit, mais qui ont été oubliés après le décès des mâalems qui les jouaient ou des adeptes qui dansaient dessus”, note le mâalem Saïd Boulhimas.

Traditionnellement, ces veillées suivent un rituel codifié. Elles commencent à la tombée de la nuit par une lecture de la Fatiha et d’autres sourates du Coran. S’ensuit le rituel de la aâda. Il s’agit de l’ouverture de la cérémonie introduite par le tbel (percussion) et les qraqeb (crotales). La negcha prend ensuite place, les musiciens entament une série de danses devant le mâalem sur des chants évoquant le prophète et les saints.

Cette phase est suivie du kouyou (ou ouled Bambara) qui rend hommage aux esclaves, aux saints et au prophète. Elle précède la partie sérieuse dite ftouh rahba qui introduit la phase de transe ou des m’louk.

Chaque cérémonie de lila comporte sept mlouk ; chaque melk est marqué par une couleur qui rend hommage à un saint ou un esprit, et est censé guérir les adeptes et visiteurs du mal qui les habite. À chacune des phases correspond un rythme, un chant et un encens particuliers. Elles sont ponctuées par des fumigations de benjoin (jaoui) que la moqaddema de la veillée administre aux danseurs et danseuses en transe.

Depuis longtemps, les danses de guérison étaient réservées aux femmes qui, une fois entrées en transe, se libéraient de leur mal. Aujourd’hui, les hommes aussi y prennent part.

La reconnaissance internationale de la musique gnaoua est désormais établie. La technicité du jeu, la qualité de la production et l’usage d'instruments traditionnels dans la fusion laissent augurer une longue vie à l’art gnaoua. Toutefois, l’héritage ancestral est menacé par le succès commercial. Et nombre de chants, dont certains étaient interprétés en amazighe, qui faisaient la notoriété des mâalem gnaoua ont emprunté le chemin de l’oubli. À l’instar de la ville d’Essaouira, ce patrimoine a, à son tour, besoin d’être restauré.

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

CFG Bank: Comptes sociaux et consolidés au 31 Décembre 2023

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.