Fact-checking : la Norvège a-t-elle désormais les premières réserves mondiales de phosphate devant le Maroc?

La supposée information a fait le buzz. Selon un "article" européen massivement partagé, la Norvège détiendrait désormais 71 milliards de tonnes de phosphate, devant le Maroc et ses 50 milliards de tonnes. De quoi s'agit-il ?

Fact-checking : la Norvège a-t-elle désormais les premières réserves mondiales de phosphate devant le Maroc?

Le 3 juillet 2023 à 18h46

Modifié le 4 juillet 2023 à 8h15

La supposée information a fait le buzz. Selon un "article" européen massivement partagé, la Norvège détiendrait désormais 71 milliards de tonnes de phosphate, devant le Maroc et ses 50 milliards de tonnes. De quoi s'agit-il ?

Récemment, des articles de presse sont revenus sur l'annonce du groupe minier Norge Mining, portant sur la découverte de 70 milliards de tonnes de phosphate en Norvège. Mais que sait-on vraiment de ce gisement ? Les réserves sont-elles certifiées ? S'agit-il bien de phosphate ? Est-il opérationnel et commercialisable ?

Des médias internationaux se penchent sur Norge Mining, une société minière anglo-norvégienne concernant une découverte de phosphate sur le territoire norvégien. Un "article" du support paneuropéen Euractiv, datant du 29 juin 2023, a remis le sujet au goût du jour.

Il convient de rappeler que ce gisement a pour la première fois été évoqué en 2018 par la société minière "sur la base des informations fournies par la Norwegian Geological Survey", rappelle Euractiv.

Ces réserves ont été présentées comme les plus importantes du monde, avec 70 milliards de tonnes. Un volume colossal, surtout quand on sait que les réserves prouvées de phosphate dans le monde atteignaient 72 milliards de tonnes à fin 2022. C’est comme si le monde doublait ses réserves éprouvées en phosphate, à travers une seule découverte !

Mais que savons-nous de ce gisement sur le territoire norvégien ? Fact-checking.

Un article à lire avec précaution

L'article d'Euractiv se présente avec un titre qui donne l'impression que l'Union européenne vient de faire une déclaration ou de publier un communiqué officiel au sujet du gisement norvégien. C'est ce que l'on pense spontanément en lisant ce titre : "L’UE salue la découverte d’un énorme gisement de phosphate en Norvège". Mais ce n'est pas le cas.

Le texte explique :

Dans une déclaration envoyée par courriel à Euractiv, la Commission européenne a salué la confirmation de l’existence de l’énorme gisement norvégien de phosphorite. "Cette découverte est en effet une excellente nouvelle, qui contribuerait aux objectifs de la proposition de la Commission concernant la réglementation sur les matières premières critiques", a déclaré un porte-parole de l’exécutif européen.

En fait, le porte-parole européen a été saisi par mail et il a fait une réponse de principe, où il ne s'est pas mouillé.

Le reste du texte est une prise de parole de Michael Wurmser, fondateur de Norge Mining, société qui revendique cette découverte ; ainsi que des faits connus et d'autres confus, pour ne pas dire faux, à l'instar de l'affirmation selon laquelle "les gisements de phosphorite les plus importants au monde (environ 50 milliards de tonnes) sont situés dans la région du Sahara occidental, au Maroc". On retiendra que le Sahara dit occidental est bien situé au Maroc, ce qui est un bon point. Pour le reste, les gisements des provinces sahariennes ne représentent qu'entre 1,6 et 2% de l'ensemble des réserves marocaines de phosphate.

Enfin, cet article est publié au moment où la proposition de réglementation sur les matières premières critiques est actuellement examinée par le Parlement européen et les États membres de l’UE en vue d’une adoption finale. Norge Mining, et c'est de bonne guerre, aimerait que le phosphate soit classé comme matière première stratégique, ce qui accorderait d'intéressants avantages à la société.

Un gisement non officialisé et réparti sur plusieurs métaux

Autre chose à clarifier dans cette annonce, c’est que ce gisement annoncé de 70 milliards de tonnes n’est pas officialisé sur le site de United States Geological Survey (USGS). Cela signifie qu’il s'agit d'une estimation de la société exploitante et non pas de réserves certifiées par USGS qui répertorie les réserves et productions officielles de métaux dans le monde. Concernant le dernier rapport de l’instance sur le phosphate à fin 2022, on note que les réserves mondiales se chiffrent à 72 milliards de tonnes, dont 50 milliards de tonnes au Maroc. Rien à signaler concernant les réserves norvégiennes. De fait, entre la première annonce de leur découverte en 2018 et fin 2022, rien n’a été officiellement répertorié comme réserves reconnues et certifiées.

L’une des autres informations clés est le fait que ce gisement annoncé de 70 milliards de tonnes ne comporte pas que du phosphate, mais bien trois minerais au total. Le 8 juin dernier, The Economist a relayé l’information selon laquelle Norge Mining annonçait 70 milliards de tonnes de gisement de trois minerais que sont le phosphate, le titane et le vanadium, et non pas de phosphate seul. Cependant, les parts respectives de chaque minerai dans ce gisement ne sont pas indiquées.

Le même média relate les dires du dirigeant de la société minière, affirmant que les ressources annoncées permettraient d’assurer la demande mondiale pendant cinquante ans.

Il convient également de rappeler, comme le signalait Euractiv en citant le fondateur du groupe minier, que le gisement se situe au moins à 400 mètres de profondeur, ce qui signifie un coût élevé d’extraction. Différentes sources évoquent une bande entre 1.500 et 4.500 mètres de profondeur. Il va sans dire que l'exploitation d'un gisement souterrain signifie des coûts d'extraction beaucoup plus élevés que les gisements à ciel ouvert comme c'est le cas au Maroc. Or, ce n'est pas la taille des réserves qui est l'atout maître dans ce marché, mais le prix de revient de la tonne de roche. Au Maroc, les transformations réalisées par Mostafa Terrab ont permis une forte baisse du prix de revient, permettant justement d'agir sur le marché. En cas de hausse de la demande et/ou des prix, les premiers exclus du marché sont les opérateurs dont les coûts son très élevés.

Des difficultés d’obtention du permis d’exploitation

Avoir des réserves est une chose, les exploiter en est une autre. Dans son article relayé sur le site de Norge Mining, The Economist reprend des propos du fondateur de la société minière, Michael Wurmser. Ce dernier mettait en avant l’aspect écologique de ce nouveau gisement par rapport aux gisements existants de par le monde qui recèlent de la roche sédimentaire contenant des polluants.

L’acteur anglo-norvégien compte capturer et stocker le carbone lors de la mise en place de ses opérations. Mais comme l'indique le média britannique en citant Michael Wurmser, "obtenir les autorisations environnementales sera une corvée, mais la mine est une grande priorité pour le gouvernement norvégien". De fait, le groupe n’est pas dans une phase d’exploitation opérationnelle du gisement et, pour des raisons environnementales, il reste à voir si cela se concrétisera.

En conclusion, il n'y a rien de nouveau.

Au Parlement, Mostafa Terrab a raconté l'incroyable transformation d'OCP

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