Les droits des femmes au Maroc, entre contradictions et résistances (Asmae Lamrabet)

La chercheuse Asma Lamrabet a pris part à une rencontre organisée par la Fondation Abou Bakr El Kadiri pour débattre du statut de la femme dans notre société.

Les droits des femmes au Maroc, entre contradictions et résistances (Asmae Lamrabet)

Le 18 avril 2023 à 14h03

Modifié 18 avril 2023 à 14h07

La chercheuse Asma Lamrabet a pris part à une rencontre organisée par la Fondation Abou Bakr El Kadiri pour débattre du statut de la femme dans notre société.

Dans cette rencontre (vidéo ci-dessous), Asmae Lamrabet aborde des points tels que les progrès réalisés au Maroc en matière de droits des femmes, mais aussi les défis et les contradictions qui subsistent, notamment les résistances à l'égalité entre les sexes et les obstacles à la mise en œuvre des lois et des réformes. Elle a souligné l'importance d'une lecture éthique de l'islam pour mettre en lumière les valeurs universelles et la justice, et a abordé la question de l'Ijtihad et de son impact sur le statut des femmes dans l'islam.

En préambule aux échanges, Asma Lamrabet a rappelé et souligné qu’elle est musulmane, mais qu’elle revendique le droit de critiquer la tradition d'une manière affectueuse ou "amoureuse".

Evoquant les progrès réalisés à l'instar du Code de la famille de 2004, fruit d’un long processus de lutte des femmes dans les années 1970 et 1980, la chercheuse a salué le rôle d’arbitre qu’a joué le Roi Mohammed VI pour son adoption. "Le Roi a donné une dynamique extraordinaire, et sans lui, les choses se seraient passées autrement."

L’éducation des mentalités est nécessaire

Selon l'oratrice, les avancées que l’on a connues sont parfois impensables dans d’autres pays musulmans, hormis la Tunisie. Asma Lamrabet cite notamment l’égalité dans la co-responsabilité de la famille entre l’homme et la femme, le divorce égalitaire, l’interdiction des mariages des mineurs. Elle relève toutefois l'existence de contradictions, et cite l'exemple de la sentence prononcée contre les violeurs de la fillette de Tiflet.

"Les lois sont là. Les peines sont entre 10 et 20 ans pour ce genre de crimes, mais le Maroc a fait l’impasse sur l’éducation des mentalités. En effet, certaines résistent à des lois qui ont été réformées en 2004 et qu’on n'arrive pas à rendre effectives", rappelle-t-elle.

"Il existe des décalages entre les lois et la Constitution de 2011 qui stipule qu’il y a égalité entre hommes et femmes dans tous les domaines, l'on constate par exemple que la femme n’a toujours pas droit à la tutelle juridique". Asma Lamrabet évoque notamment le fait que la femme n’ait plus droit à la garde de ses enfants dès qu’elle se remarie, contrairement à l’homme qui a entièrement le droit de se remarier.

"La Constitution de 2011 n’a pas pu transcender les mentalités et se heurte à une résistance qui devient très très forte".

 

"La majorité des Marocains voit l’égalité d’un œil suspect"

Elle reconnaît que "l’article 19 de la Constitution de 2011, qui stipule l’égalité, la conditionne par les constantes que sont l’unité territoriale, le choix démocratique, la monarchie et la religion musulmane modérée, sauf que chacun peut qualifier sa lecture de l’islam modérée tout en étant rigoriste. L’égalité se retrouve donc prise en otage entre le choix démocratique, les valeurs universelles de l’égalité telles qu’elles sont connues, les conventions internationales signées et ratifiées par le Maroc d'une part et d'autre part la conception de chacun concernant l’islam modéré".

L'oratrice considère que l’on vit cette dualité sous forme de contradictions, car la majorité des Marocains voit l’égalité d’un œil suspect et estime qu’il s’agit d’une valeur 'intruse' par rapport au référentiel musulman.

Interpellée sur la clôture de l'Ijtihad ce qui a impacté le statut de la femme depuis les premiers siècles de l’islam, Asma Lamrabet  estime, au contraire, que l’islam de l'époque était beaucoup plus libéral que de nos jours. Elle a ainsi donné l’exemple de Tabari qui avait autorisé la femme à assumer Al Imama al koubra (diriger les prières) ou à être juge.

"Quelques siècles plus tard, il y a eu une hégémonie de la lecture juridico-théologique, sauf que les ahkam (commandements ou règles) ne représentent que 3% des 6.200 versets que contient le Coran. Cette lecture a pris le dessus sur la lecture dite éthique", fait-elle observer.

Elle ajoute que l’on n'évoque jamais la justice lorsqu’on parle de l’islam, alors qu’il s’agit d’un élément central, surtout pour les droits de la femme, car tout ce qui est discrimination est contraire à l’islam, parce qu’il est contraire à Al Adl (la justice) qui est imposé par Dieu.

La chercheuse souligne l’importance de la lecture éthique car elle met en relief les valeurs universelles. Elle cite en ce sens le réformiste iranien Abdolkarim Soroush : "Le grand défi des femmes et des hommes réformistes aujourd’hui, c’est comment concilier entre l’éternel, qui est le message spirituel, et le temporel. Il faut faire la différence entre le cœur de la religion et la connaissance, c’est-à-dire l’interprétation religieuse."

Asmae Lamrabet s’interroge sur les raisons pour lesquelles certains obligent aujourd’hui à garder la compréhension des individus du VIIIe ou IVe siècle et refusent de procéder à l'Ijtihad au XXIe siècle, alors que les exégètes d’autrefois ont fait leur Ijtihad (effort de compréhension et d'interprétation du Coran) à partir de leur contexte et de leur propre réalité.

"Les étudiants en charia sont enfermés dans une lecture passéiste et déconnectée de la réalité"

D’autre part, Asma Lamrabet indique que l’égalité homme-femme est un idéal auquel aspirent toutes les sociétés quel que soit leur degré d’évolution. "Les femmes ont été invisibilisées partout durant toute l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas un point propre à l’islam. Le Coran est même très avant-gardiste sur le statut de la femme en comparaison avec les textes sacrés des autres religions", souligne-t-elle.

La militante féministe cite l’exemple de l’avortement. "Les juristes et les théologiens de l’islam, du VIIIe jusqu’au XIIe siècle, n’ont jamais établi de consensus sur l’avortement. Il y a eu une pluralité d’interprétations, certaines même beaucoup plus libérales que celles qu’on entend aujourd’hui. L’imam Malik interdisait l’avortement, Abou Hanifa le permettait jusqu’au 120e jour, et Chafai jusqu’au 40e jour."

Elle admet "qu’on a tous échoué sur la question de l’égalité, en laissant le terrain à un courant religieux des années 1970 et 1980 qui avait miné la société".

Interpellée sur la possibilité d’entamer un futur débat public sur le statut des femmes, Asma Lamrabet a rétorqué que les ouléma n’étaient pas prêts à avoir ce type de débat. "Même les étudiants en charia sont enfermés dans une lecture passéiste et déconnectée de la réalité", relève-t-elle.

Elle insiste sur la nécessité d’instaurer un terrain de confiance car nos sociétés musulmanes sont polarisées. "Nous avons, d’un côté, les théologiens érigés en gardiens du temple qui ont peur de perdre leur pouvoir et qui pensent que l’islam va s’écrouler si on les remet en cause et, d’un autre côté, une élite intellectuelle qui refuse d’entamer ce genre de débats en arguant qu’ils ne sont pas spécialisés, sauf que la majorité des lois qu’on doit réformer aujourd’hui est d’inspiration religieuse. La religion est l’affaire de tous". Selon elle, le débat est possible bien que difficile. "Même quand on a intégré des femmes dans les conseils des ouléma, on ne leur donnait jamais la parole."

Concernant l’éducation, Asma Lamrabet souligne qu’il faut inculquer aux enfants, dès le primaire, que les valeurs universelles ne sont pas incompatibles avec les valeurs éthiques de leur référentiel religieux. "C’est comme ça qu’on aura de futures générations qui ne sont pas schizophrènes comme aujourd’hui, et qui ne vivent pas une dichotomie entre les pratiques culturelles et une éthique absente", fait-elle observer.

Interpellée sur la question de l’héritage, la chercheuse a tenu à rappeler la réalité de la Jahiliya (l’Arabie pré-islamique), où seuls les hommes capables de défendre la tribu pouvaient hériter. Les femmes de la noblesse héritaient parfois d’une demi-part de l’homme, alors que d’autres femmes pouvaient faire partie de l’héritage. "L’islam a, dans ce sens, représenté une grande évolution par rapport à l’époque où il est apparu."

L'oratrice note également que l’égalité entre l’homme et la femme est parfois présente dans le système de l'héritage musulman. En effet, lors du décès d’un enfant (un fils ou une fille), son père et sa mère héritent de la même part. Quand un défunt n’a pas d’enfant, son frère et sa sœur héritent d'une part égale. Concernant le Taâsib (l’héritage par agnation), qui est activé lorsqu'une épouse perd son époux et qu’elle n’a que des filles, et qui prévoit que tous les oncles et cousins de la famille du père devenaient eux aussi héritiers, elle souligne qu’aucun verset du Coran ne mentionne cette pratique. Seuls quelques hadiths ont été forgés pour la légaliser, et il est inacceptable, selon elle, qu’une telle loi existe de nos jours.

"La question de la demi-part, qui était peut être valide à l’époque de l’apparition de l’islam, est devenu obsolète, car aujourd’hui 20% des familles du Maroc sont portées par des femmes, et il y a énormément de sœurs dans notre société qui prennent en charge toute la famille. On perd donc ici l’esprit de justice qui est au cœur de l’islam", conclut-elle.

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