Marchés financiers : “En dépit des crises, de grandes opportunités se présentent” (Nezha Hayat)

Nezha Hayat, présidente de l'Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC).
| Le 31/10/2022 à 9:38
Dans le sillage de la première conférence au Maroc de l’Organisation internationale des commissions de valeurs, le 20 octobre dernier à Marrakech, la présidente de l’AMMC est revenue pour Médias24 sur les principaux challenges qui pèsent sur les marchés financiers en ces temps complexes. Interview.

Le 20 octobre dernier s’est tenue à Marrakech une conférence internationale organisée par l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), en marge de la 47e réunion annuelle de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV). L’événement a réuni différents économistes et experts des marchés financiers internationaux pour évoquer les challenges de l’industrie, tels que la pauvreté, l’inflation, la perte de pouvoir d’achat des citoyens et le défi climatique.

L’occasion de sonder Nezha Hayat, présidente de l’AMMC, sur ce premier événement de l’OICV au Maroc, mais aussi de cerner les grands défis des marchés financiers dans le contexte actuel, et de voir comment ces derniers peuvent participer à l’accompagnement d’une économie réelle, fortement empreinte d’incertitude. Avec le changement climatique et intergénérationnel, plus que jamais ressenti par le monde civil comme le monde des affaires, la question de l’avenir du capitalisme et du fonctionnement du marché tel qu’il est aujourd’hui se pose également. Interview.

Médias24 : Que signifie pour la sphère financière marocaine l’organisation de l’OICV pour la première fois au Maroc ? 

Nezha Hayat : L’organisation d’un tel évènement au Maroc traduit la reconnaissance des efforts entrepris par notre pays pour le développement de son marché des capitaux, et de l’implication active de l’AMMC dans les travaux de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV/IOSCO), aussi bien au niveau de son conseil d’administration que de son Comité régional Afrique Moyen-Orient (AMERC), que nous présidons depuis 2020.

Elle représente également un signal en faveur du développement du marché des capitaux marocains, qui occupe la deuxième place sur le continent, avec une capitalisation boursière de 570 milliards de dirhams, et un actif sous gestion collective de près 600 milliards de dirhams.

Notre marché connaît aussi une diversification continue des instruments financiers qui y sont négociés. Parmi les instruments financiers qui sont venus enrichir notre marché, je citerais les OPCI, les certificats de sukuk, les obligations vertes, sociales et durables, les obligations visant à soutenir l’autonomisation des femmes et l’égalité hommes-femmes, dites “gender bonds”, les obligations sécurisées et, tout récemment, les municipality bonds.

Cette tendance à la diversification est amenée à se poursuivre pour permettre au marché des capitaux de répondre à tous types de besoins de financement des opérateurs. Je citerai, à titre d’exemple, la mise en place d’un marché à terme d’instruments financiers, le lancement imminent du crowdfunding, l’élargissement des OPCVM à de nouvelles catégories et le démarrage de l’activité des conseillers en investissement financier, qui pourront jouer un rôle important dans l’accompagnement des entreprises, notamment les PME, et dans la levée de fonds sur le marché.

- Le monde traverse une période économique sombre. Actuellement, quelles sont les actions qu’un régulateur comme l’AMMC peut entreprendre pour avertir et prévenir les émetteurs et investisseurs de la situation et des risques encourus ?

- Les régulateurs des marchés des capitaux, à l’instar de l’AMMC, doivent mettre en place des dispositifs qui leur permettent de détecter les signes avant-coureurs d’une crise, ou tout du moins d’identifier les risques émergents, dans l’objectif de déployer les réponses adéquates le plus rapidement possible, en particulier en alertant les acteurs du marché et en les accompagnant.

Ainsi, et outre la surveillance d’un certain nombre d’indicateurs aussi bien au niveau local qu’international, l’AMMC s’appuie sur sa participation active aux différents Comités régionaux et techniques de l’OICV, où l’identification des risques et de leurs évolutions sont une thématique permanente. L’implication dans les travaux de ces instances permet à l’AMMC de suivre les principales tendances sur les marchés des capitaux mondiaux et de bénéficier des expériences des autres régulateurs, mais aussi de mettre en avant les spécificités de notre pays et de notre région afin qu’elles soient prises en compte dans l’élaboration des principes et standards de régulation des marchés des capitaux.

Le renforcement de la coordination étroite avec les autres régulateurs du secteur financier nous permet de surveiller de près les risques émanant des différents compartiments du secteur

Parallèlement, nous avons instauré une dynamique de dialogue constructif et permanent avec l’ensemble des acteurs et parties prenantes du marché des capitaux marocain. Cela permet, d’une part, d’échanger le plus en amont possible sur les tendances ou pratiques inhabituelles et, d’autre part, de consolider leurs différentes perspectives pour construire une vision globale des tendances sur le marché national et de coordonner les approches et mesures à implémenter.

Enfin, le renforcement de la coordination étroite avec les autres régulateurs du secteur financier nous permet de surveiller de près les risques émanant des différents compartiments du secteur et les effets de contagion qu’ils peuvent induire, afin de mettre en place des réponses concertées et intégrées.

Toutes ces actions ont pour objectif un bon fonctionnement du marché des capitaux et la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers, qui est l’une des missions principales de l’AMMC.

- Comment faire pour mieux anticiper les crises cycliques et mettre en place des réglementations visant à protéger les émetteurs et les épargnants ? Les récentes crises (Covid, conflit russo-ukrainien) ont-elles changé votre manière de travailler et d’anticiper les chocs ?

- En tant que régulateur du marché des capitaux, nous devons faire preuve de vigilance et fournir une veille active pour être en mesure de déceler les risques émergents et de préparer des réponses adéquates le plus en amont possible. C’est dans ce cadre, et au même titre que plusieurs autres régulateurs, que l’AMMC déploie depuis quelques années une approche de régulation par les risques pour superviser les acteurs sous son contrôle.

De même, dans un contexte marqué par l’incertitude et dans l’objectif de favoriser l’innovation qui permet souvent de transformer les menaces en opportunités, nous avons décidé de baser notre approche de régulation sur le concept d’agilité, c’est-à-dire notre capacité à réagir rapidement et efficacement aux changements brusques ou inattendus dans notre environnement.

C’est à ce titre, par exemple, que nous avons contribué, auprès du ministère de l’Économie et des finances, à l’adoption de textes flexibles qui peuvent être amendés rapidement lorsque c’est nécessaire. Ainsi, les récentes lois relatives au marché des capitaux intègrent désormais les grands principes de régulation, tandis que les modalités techniques et évolutives sont déléguées aux textes réglementaires qui peuvent être modifiés beaucoup plus rapidement.

Nous avons aussi travaillé en étroite collaboration avec notre écosystème pour traverser la crise sanitaire. Nous avons en effet veillé à ce que tous les intervenants et infrastructures du marché mettent en place des plans de continuité d’activité efficaces pour assurer un fonctionnement normal du marché.

Nous avons également accompagné les émetteurs pour continuer à faire preuve de transparence en procédant aux différentes publications dans les délais habituels, en dépit de la dispense réglementaire introduite dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Grâce à tous ces efforts, entre autres, notre marché a fait preuve de résilience face à ces crises successives. Il propose aujourd’hui une large panoplie de solutions répondant aux différents besoins et objectifs de relance économique.

- Les problématiques sont ce qu’elles sont dans les pays développés, mais diffèrent dans les pays émergents. Comment nos marchés peuvent-ils apprendre des erreurs des pays développés pour mieux accompagner l’économie réelle ?

- Les marchés émergents doivent s’inspirer de l’expérience des marchés développés afin d’accélérer leur développement. D’ailleurs, les normes et standards en matière de régulation des marchés, tels qu’établis par l’OICV, sont le fruit de l’expérience de l’ensemble de ses membres, qui couvrent 95% de la finance mondiale.

Il faut cependant garder à l’esprit que les marchés développés ont connu des dérives en raison de la sophistication de certains instruments financiers, et surtout de la déconnection de ces derniers de l’économie réelle. Or, le recours massif à des produits financiers complexes, qui peuvent en partie masquer la nature véritable des risques qui leur sont liés, peut ébranler la stabilité financière.

Je rappelle que le Nouveau Modèle de développement du Maroc fait du marché des capitaux un levier de diversification des mécanismes de financement de l’économie.

C’est pourquoi, tout en s’inspirant des marchés développés, les marchés émergents ne doivent pas perdre de vue l’objectif ultime du marché des capitaux : le financement de l’économie réelle à travers l’investissement productif. Je rappelle que le Nouveau Modèle de développement du Maroc fait du marché des capitaux un levier de diversification des mécanismes de financement de l’économie.

Ainsi, au Maroc, nous introduisons sur notre marché des instruments financiers qui répondent à cet objectif, tout en veillant à ce que les risques associés à chaque instrument soient clairement identifiés et communiqués aux investisseurs potentiels. Nous travaillons ainsi avec le ministère de l’Économie et des finances sur un cadre qui favorise le développement du marché par la diversification des instruments financiers pour répondre à divers besoins de financement.

Par ailleurs, dans le cadre du développement de solutions innovantes, concrètes et adaptées aux différents besoins de financement, nous œuvrons aussi, notamment avec la Bourse de Casablanca, à la conception et à la mise en place de solutions permettant de déverrouiller l’accès au financement, via le marché des capitaux, à certaines catégories d’acteurs majeurs de l’environnement socio-économique.

C’est à ce titre que nous avons, aux côtés de certains des principaux acteurs du marché, mis en place une offre dédiée aux PME afin de leur faciliter l’accès au financement, surtout via le marché alternatif de la Bourse de Casablanca. Cette offre basée sur les besoins exprimés par les PME repose sur trois axes principaux : une réduction des coûts d’accès au marché, un traitement optimisé des dossiers avec un guichet unique auprès de l’AMMC et un programme d’accompagnement adapté.

- Avec les contraintes environnementales et l’impact générationnel indéniable qui en découlera, pensez-vous que, d’ici une dizaine d’années, le capitalisme marocain perdurera tel qu’il est aujourd’hui ?

- Nous assistons depuis quelques années à un changement de paradigme sur les plans économique et financier, avec l’intégration de plus en plus forte des enjeux de développement durable dans les politiques publiques et activités économiques. La promotion de la finance durable s’impose aujourd’hui comme une priorité au niveau international, tant elle s’avère indispensable à l’atteinte des objectifs globaux de développement durable. Cette thématique a d’ailleurs été au centre des débats pendant la réunion annuelle de l’OICV à Marrakech.

Nous avons également développé le volet réglementaire en introduisant des règles encadrant les financements durables sur le marché des capitaux

Notre économie se dirige donc inéluctablement vers une transition verte et durable. Nous avons d’ailleurs intégré la promotion du développement de la finance durable dans nos deux plans stratégiques, et mis en place des initiatives structurantes permettant au marché des capitaux d’accompagner cette transition.

Ainsi, à titre d’exemple, l’AMMC a lancé le Marrakech Pledge lors de la COP22, organisée à Marrakech en 2016. Cette initiative africaine unique appelle les bourses et régulateurs africains à un partenariat continental pour la promotion des marchés verts et durables en Afrique. Elle regroupe aujourd’hui près de 30 signataires, représentant 35 pays, dont 6 viennent de nous rejoindre le 19 octobre dernier à l’occasion de la réunion annuelle de l’OICV.

Nous avons également œuvré à la mise en place progressive d’un cadre favorisant la structuration et la levée de financements destinés à des activités alignées avec les objectifs de développement durable, ainsi que pour l’intégration des aspects de durabilité dans les activités d’investissement, à travers la publication de plusieurs guides, des actions de sensibilisation et des formations.

Nous avons également développé le volet réglementaire en introduisant des règles encadrant les financements durables sur le marché des capitaux, ainsi que des obligations de transparence sur les facteurs ESG pour toutes les sociétés faisant un appel public à l’épargne.

Cela dit, la transition vers une économie durable ne doit pas se limiter aux réponses immédiates aux problématiques climatiques et environnementales. Il s’agit aussi d’accompagner les nouvelles générations afin de favoriser l’éclosion d’entrepreneurs sensibles aux questions de développement durable au sens large, en l’occurrence en créant un environnement favorable à l’innovation.

Je pense que nous assistons à des transformations structurelles de notre économie, et qu’en dépit des crises, de grandes opportunités se présentent, notamment en termes de développement des technologies et de leurs applications dans le secteur financier

Là aussi, je pense que notre pays s’est résolument inscrit dans cette dynamique, et plusieurs outils ont été mis en place dans cet objectif.

Des fonds de private equity sous forme d’organismes de placement collectif en capital (OPCC) ont été créés pour le financement des start-up et des entreprises innovantes ; de même qu’un dispositif réglementaire complet régissant le crowdfunding a été élaboré afin d’encadrer le lancement imminent de cette activité qui permettra d’accompagner, de manière plus simple et plus rapide, le financement de projets via des plateformes internet.

Je pense que nous assistons à des transformations structurelles de notre économie, et qu’en dépit des crises, de grandes opportunités se présentent, notamment en termes de développement des technologies et de leurs applications dans le secteur financier. En tant que régulateur du marché des capitaux, nous accompagnons ces évolutions tout en veillant à adresser les risques inhérents et à améliorer l’attractivité et l’efficience de notre marché, afin qu’il puisse contribuer significativement et durablement au financement de l’économie.

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