Le Maroc et la diversification décomplexée des partenaires stratégiques

Dans un contexte géopolitique mondial agité, où les États sont poussés à choisir leur camp, Rabat parvient à naviguer entre les écueils, mettant en pratique son nouveau dogme diplomatique de diversification des partenaires internationaux. Un message qui montre sans ambiguïté que le Royaume n’est plus la chasse gardée de qui que ce soit.

Le Maroc et la diversification décomplexée des partenaires stratégiques

Le 17 octobre 2022 à 17h45

Modifié 17 octobre 2022 à 19h37

Dans un contexte géopolitique mondial agité, où les États sont poussés à choisir leur camp, Rabat parvient à naviguer entre les écueils, mettant en pratique son nouveau dogme diplomatique de diversification des partenaires internationaux. Un message qui montre sans ambiguïté que le Royaume n’est plus la chasse gardée de qui que ce soit.

C’est une véritable prouesse diplomatique et stratégique que réalise le Maroc ces dernières années. Au moment où le monde se divise en deux camps, comme du temps de la guerre froide, entre un camp occidental mené par les États-Unis et un deuxième camp mené par la Chine et la Russie de Vladimir Poutine, le Royaume apparaît comme l’un des rares pays africains à pouvoir dealer avec les deux. Sans s’aligner complètement sur leurs thèses, sans favoriser un camp contre l’autre, gardant un équilibre raisonné, avec comme seuls ligne et objectif : la défense de ses intérêts stratégiques.

Ami traditionnel de l’Europe occidentale, la France et l’Espagne notamment, qui sont ses deux partenaires historiques en termes d’échanges commerciaux, humains, culturels et d’IDE, ainsi que dans la réalisation de grands projets, Rabat a su, en seulement quelques années, se redéployer sur la carte mondiale comme un pays ouvert à toutes les sensibilités, du moment que les intérêts convergent.

Aujourd’hui, au fil de l’actualité et des annonces qui se multiplient, on voit le Maroc passer des États-Unis, avec qui il vient de renouveler son partenariat stratégique sur de grands projets de défense, de coopération militaire ; à Israël, une relation jusqu’alors taboue mais qui aboutit, depuis la signature des accords d’Abraham en décembre 2020, sur des partenariats stratégiques en matière de défense, d’industrie d’armement, de coopération technologique, industrielle, touristique, agricole, culturelle… Le tout en dealant (en même temps) avec l’ensemble des pays arabes (ou presque), et avec la Chine, puissance avec laquelle un grand partenariat industriel a été scellé via le projet Tanger Tech, cette méga-zone industrielle nouvelle génération en cours d’achèvement, où les industriels de l’Empire du milieu installeront une base arrière dans l’espace méditerranéen pour cibler aussi bien le marché européen que le marché africain.

La Russie ne perçoit pas le Maroc comme un adversaire

Et ce n’est pas tout : en pleine guerre ukrainienne, où la Russie est présentée par l’Occident comme LE pays "toxique" avec lequel il faut couper les ponts (au risque de subir les foudres des Américains et des Européens), le Maroc continue de commercer avec Moscou, lui fournissant, comme d’habitude, fruits et légumes, secteur où les deux pays échangent depuis de longues années. Et fait qui a surpris plus d’un : l’annonce, mercredi dernier, par des médias russes, dont l’agence TASS, de la conclusion entre Rabat et Moscou d’un accord de coopération nucléaire à des fins civiles qui doit déboucher, entre autres, sur la construction d’une centrale nucléaire dans la région d’Agadir.

Une information qui est tombée au moment même où le Maroc votait aux Nations unies contre l’annexion par la Russie de quatre territoires ukrainiens ! Comprenez : le Maroc, par principe opposé à tout projet d’annexion dans le monde, maintient sa ligne diplomatique, malgré ce (grand geste) du Kremlin pour la réalisation des ambitions marocaines dans le nucléaire civil.

Une nouvelle à prendre avec des pincettes toutefois ; le Maroc ayant été surpris, selon le journal espagnol El Confidencial, par cette annonce russe, qui n’est autre, rapporte-t-il, que la ratification d’un accord signé en 2017 entre Rabat et Moscou. La publication, qui cite des sources diplomatiques, avance la thèse d’une énième manœuvre diplomatique russe. "La réactivation de ce mémorandum est une tentative du Kremlin d’essayer de montrer que, malgré la guerre, il est capable de continuer à développer sa coopération, même avec des pays comme le Maroc, considérés comme plus proches de l’Occident", peut-on lire dans El Confidencial, qui estime toutefois que le scénario d’une coopération russe avec le Maroc dans le domaine nucléaire serait impossible à concrétiser dans les circonstances actuelles.

Ceci est la lecture d’un journal espagnol. Cette version se tient, si l’on en suit la logique, mais la symbolique de l'approbation par la Russie de cet accord négocié en 2017 avec les Marocains reste forte : le Royaume, malgré son tropisme occidental, n’est pas vu par la Russie comme un adversaire, un "aligné". Et au Maroc, les élites se délectent de cela. Comme le signale El Confidencial, les autorités ne prendront certainement pas leurs distances avec cette annonce de Moscou (aucune réaction officielle n’a été faite à ce jour), la Russie jouant un rôle crucial au sein du Conseil de sécurité dans la résolution de l’affaire du Sahara, surtout à l’approche du vote, à la fin de ce mois d’octobre, d’une nouvelle résolution pour le renouvellement pour une année de la mission de la Minurso. L’année dernière, l’ambassadeur de Russie à l’ONU s’était abstenu... Que fera-t-il cette année ? Difficile de le savoir, mais son vote sera très attendu et donnera de nouvelles clés de lecture sur l’équilibre géopolitique créé par le Maroc dans ce contexte de division mondiale et de retour des alignements étatiques…

Grands projets : quand le Maroc fait jouer la concurrence

Autre signal très scruté par les Marocains : les projets de lignes à grande vitesse, dont la première ligne (Casablanca-Tanger) avait été accordée sans appel d’offres à la France. Ici, il n’y a pas lieu de spéculer comme nous le dit un haut responsable patronal, contacté par Médias24.

"Ce projet concentre tous les regards. Il montrera une fois pour toutes la nouvelle direction prise par le Maroc dans ses relations internationales, surtout dans leur volet économique. Je ne pense pas qu’il y ait une volonté d’écarter la France, qui a un grand savoir-faire dans le domaine, mais le Maroc va faire jouer la concurrence. Les entreprises françaises peuvent de toute évidence gagner l’appel d’offres. Mais elles auront une rude concurrence. Que le meilleur gagne…", décrypte notre source, selon laquelle Rabat est clairement sorti du schéma de "chasse gardée de la France" dans les grands projets d’infrastructures, d’équipements et autres…

Pour notre source, ce raisonnement s’applique déjà dans de grands projets, comme le dessalement d’eau de mer ou les énergies renouvelables, où le pays va lancer des investissements massifs sur les prochaines années. "Avant, à chaque fois que le Maroc avait un grand projet à réaliser, on regardait systématiquement ce qui se faisait en France, on prenait contact avec des entreprises françaises car il y avait une certaine facilité dans le contact, du fait de l’histoire qui lie les deux pays. Mais depuis quelques années, il y a un changement de mindset, y compris dans l’administration. Nos responsables ne voient plus systématiquement du côté de la France, mais tentent de chercher de nouveaux partenaires, de s’ouvrir à de nouvelles technologies, à une nouvelle manière de faire. Mais sans extorsion dans le marché, car c’est le jeu de la concurrence qui décide à la fin."

"Un procédé irréprochable", commente notre source, en comparaison avec les politiques menées par plusieurs pays africains, qui nouent de nouvelles alliances au détriment d’autres, plus anciennes. Sans y mettre la forme.

Un nouveau dogme posé par le Roi à Riyad en avril 2016

Et il faut dire que cette diversification décomplexée et rationnelle que mène actuellement le Maroc, qui n’est pas sans rappeler l’époque des non-alignés, ne tombe pas de nulle part. Il s’agit d’un dogme diplomatique nouveau, formulé par le Roi à plusieurs reprises dans ses discours, mais dont le fondement a été posé à Riyad le 20 avril 2016, à l’occasion du sommet Maroc-Pays du Golfe.

Après une visite en Inde en octobre 2015, où le Roi avait participé pour la première fois au sommet Inde-Afrique qui s’est tenu à New Delhi, puis une tournée réalisée début 2016 en Europe de l’Est - République tchèque, Hongrie, mais surtout Russie, où Rabat et Moscou avaient scellé un partenariat stratégique dans plusieurs domaines -, le Roi avait exprimé devant les princes et rois du Golfe un discours qualifié de "révolutionnaire" et qui, six ans plus tard, n’a pas pris une ride…

Ces morceaux choisis du discours royal sont à ce titre édifiants et montrent comment toutes les dynamiques géopolitiques actuelles étaient à l’œuvre depuis plusieurs années déjà :

"Nous respectons la souveraineté des Etats et respectons leurs choix et leurs orientations pour établir et développer leurs relations avec les partenaires qu’ils veulent. Nous ne sommes pas ici pour demander, les uns aux autres, des comptes sur nos choix politiques et économiques."

"Il y a cependant de nouvelles alliances qui risquent de conduire à des divisions et à une redistribution des cartes dans la région. Ce sont, en réalité, des tentatives visant à susciter la discorde et à créer un nouveau désordre n’épargnant aucun pays, avec des retombées dangereuses sur la région, voire sur l’état du monde."

"Pour sa part, tout en restant attaché à la préservation de ses relations stratégiques, le Maroc n’en cherche pas moins, ces derniers mois, à diversifier ses partenariats, tant au niveau géopolitique qu’au plan économique."

"Et c’est dans ce cadre que s’inscrit notre visite réussie en Russie, le mois dernier, visite marquée par le développement de nos relations hissées au niveau de partenariat stratégique approfondi et par la signature d’accords structurants dans de nombreux domaines vitaux."

"Nous nous acheminons également vers le lancement de partenariats stratégiques avec l’Inde et la République populaire de Chine, où nous nous rendrons en visite officielle bientôt, si Dieu le veut."

"Le Maroc est libre dans ses décisions et ses choix, et n’est la chasse gardée d’aucun pays. Il restera fidèle à ses engagements à l’égard de ses partenaires, qui ne devraient y voir aucune atteinte à leurs intérêts."

"C’est dire que la tenue de ce Sommet n’est dirigée contre personne en particulier, surtout parmi nos alliés. C’est une initiative naturelle et logique de la part d’Etats qui défendent leurs intérêts, comme le font tous les Etats…"

Ces mots prononcés par le souverain devant ses homologues des pays du Golfe sonnaient à l’époque comme une sorte de grand virage dans les relations diplomatiques du Maroc, confirmé quelques jours plus tard par la visite du souverain, le 10 mai 2016, en Chine, où il a scellé un partenariat stratégique global avec le président Xi Jinping. Mais surtout par le grand retour au sein de l’Union africaine en 2017, où le Maroc se positionne depuis comme un acteur de référence, aussi bien dans le développement Sud-Sud que dans les relations triangulaires entre l’Afrique et le reste du monde.

Une doctrine nouvelle qui n’est pas restée au stade théorique, le monde et les Marocains ayant constaté ses retombées réelles lors de la pandémie de Covid-19, durant laquelle cette diversification des partenaires avait permis au Royaume de gérer au mieux la crise, les pénuries, s’affichant comme l’un des grands gagnants de la guerre des vaccins qui faisait rage à l’époque. Une mise en application qui se poursuit malgré les bouleversements géopolitiques dans le monde, sans complexes, en toute rationalité et sans grand bruit…

Certains amis traditionnels, comme l’Espagne et l’Allemagne, ont eu du mal à l’accepter au départ, mais ont fini par comprendre cette nouvelle "personnalité" que se construit le Maroc, décidant de l’accompagner, de faire avec… D’autres restent toujours dans l’expectative ou essaient de contrecarrer la dynamique. Mais le pragmatisme, devenu le mot d’ordre de la diplomatie du pays, finira certainement par l’emporter. Car finalement, ce ne sont que les intérêts qui priment dans les relations internationales. S’ils sont convergents, c’est encore mieux.

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