Analyse des nouveaux enjeux et tendances de fonds du marché de l'emploi

L'attraction et la fidélisation des talents sont des enjeux majeurs pour les chefs d'entreprises. Des tendances de fond du marché de l'emploi sont en train de s'accélérer, bouleversant le lien entre l'entreprise et ses salariés.

Analyse des nouveaux enjeux et tendances de fonds du marché de l'emploi

Le 16 octobre 2022 à 9h08

Modifié 16 octobre 2022 à 9h09

L'attraction et la fidélisation des talents sont des enjeux majeurs pour les chefs d'entreprises. Des tendances de fond du marché de l'emploi sont en train de s'accélérer, bouleversant le lien entre l'entreprise et ses salariés.

La disponibilité des talents devient un enjeu majeur pour les entreprises et l’économie en général. C’est une question qui connaît des bouleversements énormes, dont la crise du Covid a été un accélérateur, mais qui s’appuie sur des tendances de fond.

Ces changements structurels ont été débattus lors de l’édition 2022 du colloque international de l’Amicale Ponts Maroc, organisée jeudi 13 octobre à Rabat.

Si ces changements se ressentent à l’échelle internationale, au Maroc, ils peuvent prendre plus d’importance encore, amplifiés par les faiblesses du système éducatif, les fortes tentations à l’expatriation et, parfois, la rigidité des entreprises marocaines à s’adapter à ces tendances.

La compétition pour l’attraction des talents se mondialise

Si les entreprises marocaines se plaignent de la difficulté à recruter des talents, la situation empire avec la concurrence des entreprises étrangères. Celles-ci n’hésitent plus à recruter sans frontière de nationalité ou de géographie.

« Dans notre école, chaque fois qu’un élève sort, il a trois offres étrangères, à Londres, Dubaï ou Sydney, contre une offre marocaine », a révélé Ghita Lahlou, directrice de l’Ecole centrale Casablanca et vice-présidente de la CGEM. « On n’est pas compétitifs pour garder les talents, c’est un fait. La seule solution possible, c’est d’en former beaucoup, parce qu’inexorablement, ils vont partir », a-t-elle ajouté.

« Quand on a rencontré le MEDEF (Mouvement des entreprises de France, ndlr), on s’est plaint de ce débauchage intensif sur place, surtout pour les talents IT. Ils nous ont répondu qu’ils vivaient en France la même chose vis-à-vis d’autres pays comme les Etats-Unis, l’Australie, etc. C’est le nouveau monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. »

Othman El Ferdaous, vice-président d’ABA Technology, parle quant à lui de stress cognitif, qui doit faire appel à une politique de souveraineté cognitive. Il rappelle que « 56% des étudiants marocains en France transforment leurs cartes de séjour en passeport français. Après, ils ne sont plus obligés de retourner au Maroc ».

Mais l’ex-ministre de la Culture, de la jeunesse et des sports refuse de voir le verre à moitié vide. Pour lui, si les profils marocains sont demandés à l’étranger, c’est qu’ils sont compétents. Au lieu d’exporter ces cerveaux en tant que matière brute, c’est aux entreprises marocaines de trouver la solution de les valoriser pour ces mêmes entreprises étrangères qui les recrutent.

Selon une étude conduite par le Boston Consulting Group (BCG), le Maroc figure parmi les rares pays au monde où la tentation pour l’expatriation a augmenté. Les chiffres indiquent que 85% des talents marocains sont ouverts à une expérience à l’international ou prêts à travailler avec une entreprise étrangère en étant basés au Maroc, alors que la moyenne internationale est de 50%, d'après Zineb Sqalli, Managing Director et Partner chez BCG Casablanca.

Les nouvelles générations changent d'emploi plus souvent

Ce phénomène de fuite des cerveaux est renforcé par la tendance des nouvelles générations à changer plus facilement d’employeur ou carrément de carrière. « Les talents de la génération Z (celle née après 1997) ont deux fois plus de chances de quitter leur emploi que la génération précédente. Cette tendance est là pour durer et va s’accélérer », a-t-elle ajouté.

Aux Etats-Unis, cette tendance a été amplifiée par le mouvement du « great resignation » (« grande démission ») : près de 50 millions de travailleurs américains ont quitté le marché du travail en une année, ce qui correspond à un actif sur trois. Ce chiffre est trois fois plus important que le taux d’attrition naturel pendant les dix années précédentes, explique Zineb Sqalli.

En Europe, le mouvement a été moins important ; l’augmentation ayant été de 10% seulement. Au Maroc, il n’y a pas à ce jour d’étude qui mesure une éventuelle hausse du turn-over dans les entreprises, liée à ce mouvement. Néanmoins, tous les intervenants présents se sont accordés à dire que comme ailleurs dans le monde, les jeunes talents marocains changent de travail beaucoup plus rapidement que leurs parents.

Cette tension sur le marché du travail a poussé les entreprises, notamment celles qui étaient très sélectives sur la renommée des écoles et universités, à élargir leur bassin de recrutement. C’est ce qu’a fait le BCG avec des résultats ayant dépassé ses espérances, rapporte Zineb Sqalli, au point de regretter de ne pas l’avoir fait plus tôt.

Les talents exigent plus de flexibilité au travail

Une sorte de consensus mondial est en train de s’installer, incluant le Maroc. Ainsi, les études indiquent que seulement 10% des employés déclarent préférer le présentiel uniquement comme mode de travail.

Ils sont 30% à préférer le télétravail uniquement, mais ils sont 60% à préférer une forme hybride avec deux à trois jours en télétravail, signale Zineb Sqalli. Elle ajoute que 20% des offres d’emplois disponibles actuellement sur LinkedIn sont sans aucune contrainte de lieu, alors qu’avant le Covid, elles plafonnaient à 2%.

Il ne s’agit pas seulement de flexibilité en termes de lieu de travail, mais aussi en termes de temps. Les collaborateurs exigent plus de libertés concernant leurs horaires.

Le travail indépendant, ou freelance, gagne également du terrain et en séduit plus d’un. Ces tendances poussent les entreprises à sortir des sentiers battus et à concevoir différemment le lien établi avec leurs collaborateurs.

La transformation des entreprises crée une pénurie de talents digitaux

Avec la crise du Covid, la transformation digitale des entreprises s’est accélérée. Or, d’après Zineb Sqalli, celle-ci requiert 10% d’algorithme, 20% de technologie au sens large et 70% de talents digitaux. C’est ce qui fait que la tension sur le recrutement et la rétention de ces talents se fait de plus en plus sentir.

« Les talents digitaux depuis quelques années sont une ressource rare. C’est une tendance qui va se confirmer et s’installer. On a estimé qu’à l’horizon 2030, neuf entreprises sur dix allaient avoir une pénurie de talents digitaux », a-t-elle signalé.

« Le taux d’attrition des talents digitaux a doublé, il était déjà extrêmement élevé. Le turn-over historique est de 20%, aujourd’hui il est à 50%. »

Les talents restent sensibles à la rémunération mais également aux valeurs de l’entreprise

Dans l’étude menée par le BCG, la rémunération est revenue comme un facteur important chez les personnes interrogées. Cela l’a toujours été, mais c’est d’autant plus vrai dans un contexte inflationniste, caractérisé par la pénurie de talents.

Les enjeux autour de la rémunération sont plus importants que jamais. Les entreprises ne peuvent plus ignorer le mouvement du marché. Elles se doivent de « re-recruter leurs employés », dans le sens de mettre à niveau les conditions salariales, dans l’optique de les fidéliser.

Mais la rémunération ne fait pas tout. Les collaborateurs sont plus que jamais en quête de sens dans leur vie et leurs actions. Ils doivent se retrouver dans les valeurs de l’entreprise. C’est l’avis de Abdellatif Zaghnoun, nouveau directeur de l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’Etat et de suivi de la performance des EEP, et directeur général sortant de la CDG.

Il explique comment au sein de la CDG, qui est un groupe multimétier et multiculture, les différentes branches et filiales du groupe ont pu être mises en synergie grâce à la valorisation de la fibre patriote chez les collaborateurs. « Les talents de la CDG expriment le fait qu’ils ont une grande chance de participer à une mission d’intérêt général. »

Le projet One CDG, qui s’est construit autour de dix engagements en rapport avec la synergie, la communication, la gouvernance, la digitalisation et le capital humain, illustre cette nouvelle orientation.

Privilégier l’expertise à la direction, et l’intelligence collective à l’intelligence individuelle

« L’une des principales problématiques pour les entreprises aujourd’hui, c’est comment orienter les talents vers l’expertise plutôt que le management. Il faut travailler sur la motivation et la valorisation de l’expertise, parce que nous avons perdu de très bons experts pour de très mauvais directeurs », prévient Mohamed Horani, PDG du groupe HPS.

Lex Paulson, directeur de l’école de l’intelligence collective à l’UM6P, a quant a lui insisté sur l’importance d’inculquer les principes de l’intelligence collective aux nouvelles générations d'étudiants de l’enseignement supérieur. Pour lui, la richesse de toute organisation réside dans la capacité à travailler ensemble.

Ce genre de soft skills n’est pas à prendre à la légère. Selon Lex Paulson, « il n’y a rien de soft dans les soft skills. L’humain est une machine beaucoup plus complexe que n'importe quel algorithme ».

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