Mehdi Tazi : voici pourquoi l’inflation inquiète les hommes d’affaires

L’inflation est souvent abordée comme un phénomène qui frappe le pouvoir d’achat des ménages, mais on omet souvent de préciser qu’il impacte aussi l’entrepreneur. Mehdi Tazi, vice-président du patronat, estime que l’inflation est pourtant l’un des gros facteurs de risque qui pèse sur les entreprises en cette année 2022. 

Photo : MAP

Mehdi Tazi : voici pourquoi l’inflation inquiète les hommes d’affaires

Le 6 février 2022 à 11h13

Modifié 8 février 2022 à 16h03

L’inflation est souvent abordée comme un phénomène qui frappe le pouvoir d’achat des ménages, mais on omet souvent de préciser qu’il impacte aussi l’entrepreneur. Mehdi Tazi, vice-président du patronat, estime que l’inflation est pourtant l’un des gros facteurs de risque qui pèse sur les entreprises en cette année 2022. 

Dans la théorie économique et monétaire, on dit que l’inflation est un phénomène souvent souhaité, voulu, par les entreprises. L’évolution des prix que l’inflation engendre incite fortement les hommes d’affaires à investir, en raison de l’espérance de profit qui augmente à mesure que l’inflation grimpe. C’est connu : l’inflation agit sur le coût réel de l’endettement et améliore par conséquent la rentabilité financière des entreprises.

« En période d’inflation, les entreprises sont d’autant plus incitées à recourir au financement externe que leurs taux de profit internes sont supérieurs au taux d’intérêt des capitaux empruntés. Une telle situation élève la rentabilité de leurs fonds propres, effet de levier oblige. Les entreprises se trouvent stimulées par les perspectives de gains et incitées à investir. L’inflation devient un moteur de l’investissement et peut induire une croissance de la production et de l’emploi », expliquait il y a quelques semaines un éminent économiste consulté par Médias24 sur les bienfaits cachés de l’inflation sur l’économie.

Si ce raisonnement se tient du point de vue scientifique et théorique, la réalité est beaucoup plus nuancée. Voire différente. Comme le montre le discours du patronat marocain, qui identifie l’inflation comme un « gros facteur de risque » et « d’inquiétude », selon le vice-président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Mehdi Tazi. Une inquiétude qu’il a clairement exprimée lors de son intervention devant le Chef du gouvernement, mercredi 2 février.

« Le PIB a retrouvé des niveaux de croissance élevés. Nous nous en félicitons. Mais nous identifions deux grosses inquiétudes pour 2022, dont la forte tension inflationniste. Aux États-Unis, l’inflation a atteint 7%. Dans la zone euro, elle est de 5%. Au Maroc, nous l’avons contenue pour l’instant à 1,8% grâce à plusieurs facteurs (…) Mais c’est un risque extrêmement important pour nous. Si cette tendance perdure sur le long terme, ce ne sera tenable ni pour le budget de l’État, ni pour les entreprises. Nous voyons ce risque arriver et cela nous inquiète », a-t-il lancé, en filigrane, au Chef du gouvernement et aux ministres qui l’accompagnaient.

Il faut l’avouer : l’inflation est souvent traitée, par les responsables politiques comme par les médias, du point de vue du consommateur et de son impact sur le pouvoir d’achat des ménages. Mais presque jamais du point de vue de l’entreprise, qui est également un acheteur - et même un gros acheteur.

Mehdi Tazi a mis le doigt sur un sujet peu discuté, et dont les conséquences et les impacts sont souvent résumés à des opinions théoriques ou au simple raisonnement du jeu à somme à nulle, qui dit que l’entreprise n’est pas concernée par l’inflation du moment qu’elle répercute le coût de ses intrants sur le prix du produit final. Mais les choses semblent bien plus complexes que cela.

1,8% d’inflation, un taux à relativiser selon Mehdi Tazi

Pour mieux comprendre les choses, et les motifs d’inquiétudes des patrons, nous avons contacté Mehdi Tazi pour lui donner l’occasion de mieux développer son raisonnement et nous expliquer pourquoi il place l’inflation, avec la problématique de la liquidité, en première position des gros risques qui pèsent sur les entreprises en 2022. D’autant que le Maroc ne connaît (en apparence) aucune surchauffe des prix, le taux de l’inflation étant contenu à 1,8%, un niveau inférieur au taux ciblé par la Banque centrale (2%). Un chiffre que Mehdi Tazi ne conteste pas, mais relativise.

« Si on a pu contenir l’inflation à 1,8%, c’est grâce à trois facteurs essentiels : les subventions accordées par l’État, comme par exemple au sucre, à la farine et au gaz butane; les entreprises qui ne répercutent pas encore totalement la hausse des intrants sur les produits finaux, comme dans les aliments pour bétail ou les produits agroalimentaires; ainsi que le changement d’habitude de consommation des Marocains qui ont montré encore une fois une grande capacité d’adaptation. Un consommateur qui achetait du couscous de blé se redirige désormais vers une semoule à base d’orge ou de maïs, qui aurait connu des hausses de prix moins importantes. L’État, les entreprises et les consommateurs jouent pour l’instant un effet d’amortisseur, mais cela ne peut durer indéfiniment…  », cite-t-il à titre d’exemple.

Mais en quoi l’inflation est-elle un sujet d’inquiétude pour les patrons si l’on évolue dans un marché libre où l’entreprise fixe ses prix en se basant sur ses coûts de revient et ce, quel que soit le coût des intrants ? Mehdi Tazi nous explique ici que les choses ne sont pas si simples que cela.

« Certaines entreprises impactent la hausse des prix, certes. Mais cela n'est pas toujours possible, en particulier pour les produits de grande consommation. Dans l’industrie du chocolat par exemple, le prix de la graisse végétale qui est un intrant essentiel a connu une hausse de l'ordre de 400%, mais cette hausse ne peut être impactée par les industriels, au risque de perdre leur clientèle et leurs parts de marché », cite-t-il à titre d’exemple.

Autre illustration de ce que Mehdi Tazi appelle les effets dévastateurs de l’inflation : ce qui se passe dans le secteur du BTP.

«  Tous les matériaux de construction ont connu des hausses importantes de prix. L’acier, le verre et l'aluminium ont connu des hausses de 15% à 30%. Certaines entreprises ont pu répercuter ces hausses sur la prestation finale. Mais pas toutes, car certaines firmes avaient déjà des marchés obtenus et négociés avant cette montée des prix, et sont dans l’incapacité de répercuter la hausse des coûts des intrants. Elles travaillent donc à perte ou avec des marges insuffisantes. Il y a de manière générale des contraintes de marché qui font que l’on ne peut pas répercuter systématiquement la hausse des coûts des matières premières sur les prix finaux… », ajoute Mehdi Tazi.

Les profits « indécents » des teneurs du marché mondial de la logistique

Cette surchauffe des prix des intrants qui impacte tous les secteurs de l’économie est due, explique Mehdi Tazi, au déséquilibre entre l’offre et la demande, mais essentiellement à l’explosion du coût du fret maritime.

« Cette inflation est due à des facteurs exogènes, liés essentiellement au déséquilibre de la logistique mondiale. La matière ne se déplace plus ou se déplace moins. Le coût d’un container 40 pieds entre la Chine et le Maroc est passé de 2.000 dollars à 20.000 dollars. Et encore faut-il le trouver. Celui qui avait l’habitude d’en prendre 30 n’en trouve que 10 actuellement, avec des prix qui ont été multiplié par 10. Cela crée des déséquilibres entre offre et demande qui génèrent de l’inflation, contenue en partie par l’Etat, les entreprises et les consommateurs. Chacun a absorbé un bout pour amortir le phénomène. Mais on ne peut pas contenir cette tendance indéfiniment… »

Le meilleur indicateur, souligne le vice-président de la CGEM, pour illustrer l’ampleur de ce désordre logistique, sont les gains réalisés par les market makers du marché, les cinq grands acteurs du marché de la logistique mondiale.

« Les gains des 5 premiers logisticiens mondiaux qui font bouger la matière, en 2021, sont supérieurs à la somme des gains réalisés sur les 30 dernières années. C’est un bon indicateur de cette crise de la logistique. Et c’est indécent. Il y a certes une rareté des containers à cause des déséquilibres produits par la crise du Covid, mais il y a probablement aussi de la spéculation », nous dit-il.

« Ce sont des phénomènes exogènes sur lesquels nous n'avons pas la main. Nous subissons, comme le reste du monde. Chacun contribue dans un acte de solidarité à ce que notre économie, et par conséquent chacun d'entre nous, s’en sorte. Il faut faire face aux défis qui nous attendent car nous en avons les capacités, c’est le message que nous voulons passer », ajoute le VP général du patronat. Surtout, dit-il, que cela intervient dans un contexte pour le moins tendu», ajoute le vice-président de la CGEM.

« Nous vivons un déficit d’eau qui a des conséquences. Il va falloir importer du blé et de l’orge en grosses quantités, et l’acheter quand les prix seront au plus haut, dans un contexte où les tensions entre l’Ukraine et la Russie, les plus gros exportateurs de blé dans le monde, sont au plus haut. On sort d’une crise mondiale inédite, on est dans une crise inflationniste inédite, et on fait face à une sécheresse dure, la plus dure depuis 1989. Ce sont de gros défis qui nous attendent, mais notre économie est résiliente, notre pays, nos concitoyens et nos entreprises sont solidaires. Nous sommes confiants dans notre capacité à sortir grandis de cette crise », conclut Mehdi Tazi.

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

RCI Finance Maroc: Communiqué de Presse

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.