Le sevrage des usagers de drogues dures compliqué par les restrictions de déplacement

L’insuffisante répartition géographique des centres d’addictologie et le manque de personnel qualifié dans ces structures contraignent les consommateurs de drogues injectables du nord du Maroc à se déplacer vers Salé et Casablanca pour recevoir leur traitement. Or les restrictions liées à la crise sanitaire compliquent leurs déplacements d’une région à une autre.

Le sevrage des usagers de drogues dures compliqué par les restrictions de déplacement

Le 21 janvier 2021 à 14h38

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

L’insuffisante répartition géographique des centres d’addictologie et le manque de personnel qualifié dans ces structures contraignent les consommateurs de drogues injectables du nord du Maroc à se déplacer vers Salé et Casablanca pour recevoir leur traitement. Or les restrictions liées à la crise sanitaire compliquent leurs déplacements d’une région à une autre.

Les restrictions imposées dans le cadre de la crise sanitaire compliquent la prise en charge et le suivi des personnes souffrant de dépendance aux opiacés, notamment l’héroïne, la morphine et la codéine. C’est ce qui inquiète Maria Sabir, médecin psychiatre et addictologue au service d’addictologie de l’hôpital psychiatrique universitaire Arrazi, à Salé, et vice-présidente de l’Association marocaine d’addictologie (AMA).

"Depuis l’apparition du Covid-19, les déplacements entre régions sont devenus plus compliqués, parce qu’il faut désormais obtenir une autorisation de déplacement, mais aussi parce que tous les usagers de drogues injectables n’ont pas les moyens financiers de se déplacer d’une région à une autre. A titre d’exemple, nous avons des patients qui habitent à Ksar El Kébir et Chefchaouen et qui se déplacent une fois par semaine, voire deux fois par mois, au centre d’addictologie de l’hôpital Arrazi pour récupérer leurs doses de méthadone. Ce sont d’anciens patients qui suivent notre programme depuis plus d’une année. Ils se trouvent parfois dans l’impossibilité de se déplacer et cela décale leurs prises", explique Maria Sabir.

Le traitement à la méthadone, prescrit depuis juin 2010 au Maroc, est destiné aux personnes dépendantes aux opiacés. C’est ce qu’on appelle un traitement de substitution : "La méthadone se fixe dans le cerveau au même endroit que les opiacés que prennent habituellement les patients, et leur permet d’arrêter leur consommation sans ressentir les signes de manque, qui sont difficiles à vivre et douloureux, et l’envie de consommer – ce qu’on appelle le craving." Ce médicament est pris par voie orale, sous forme de sirop, une fois par jour durant la première année du traitement. La délivrance du traitement peut ensuite être hebdomadaire ou bimensuelle. "La prise par voie orale permet de réduire les comportements à risques liés à l’injection, notamment la contamination au VIH et à l’hépatite C, et donc de protéger l’usager. Ce médicament peut également être prescrit chez les femmes enceintes qui prennent régulièrement des drogues opioïdes, afin de protéger le fœtus. C’est un traitement au long cours, généralement sur plusieurs années", précise Maria Sabir.

Difficile de cerner le nombre réel d’usagers d’opiacés au Maroc, les études de prévalence étant à ce jour relativement peu nombreuses, indique Maria Sabir. "Tout ce que l’on sait, c’est que les habitants des villes du nord du pays sont les plus exposés à l’héroïne et aux divers opiacés. En effet, du fait de sa position géographique, le Maroc est une voie de transit clé pour certains trafics de drogues, comme le cannabis, l’héroïne, la cocaïne et les drogues de synthèse."

Pour Imane Kendili, psychiatre et addictologue contactée par Médias24, les chiffres relatifs aux usagers d’opiacés seraient de toute façon sous-estimés, "car tous les consommateurs ne se présentent pas dans des centres". Et d’ajouter : "Il y en a plein qui consomment mais qu’on ne voit jamais dans ces structures. Il y a des ghettos entiers d’usagers de drogues injectables dans le nord du Maroc, notamment dans les montagnes, parfois composés d’adolescents."

Des centres insuffisamment pourvus en ressources humaines

Les usagers officiellement diagnostiqués peuvent se rendre dans les sept centres d’addictologie du Maroc qui délivrent de la méthadone : le centre d’addictologie du CHU Ibn Rochd à Casablanca, celui de l’hôpital psychiatrique universitaire Arrazi à Salé, trois centres à Tanger (Hasnouna, Bir Chifa et Hay Jadid), un centre à Tétouan et un autre à Nador.

Mais voilà, comme l’explique Maria Sabir, depuis l’apparition de la crise sanitaire, la prise quotidienne de ce traitement est conditionnée par les aléas générés par les restrictions des déplacements entre les régions. Dans le nord du Maroc, plusieurs patients sont contraints de se rendre à Salé et Casablanca dans l’espoir de se voir administrer leur dose de méthadone, car les centres de Tanger, Tétouan et Nador manquent considérablement de ressources humaines. "Il ne s’agit pas d’une pénurie de méthadone, mais de personnel", indique Mohammed El Khammas, médecin chargé du programme de réduction des risques auprès des personnes usagères de drogues injectables à l’Association marocaine de lutte contre le sida (ALCS), contacté par Médias24.

"Ces centres doivent être composés de ressources multidisciplinaires, entre psychiatres, psychologues et médecins addictologues. L’addictologie est une spécialité rare au Maroc, et de surcroît non reconnue en tant que spécialité médicale. Ce manque de reconnaissance ne motive pas les médecins addictologues. Beaucoup quittent ce domaine pour travailler en tant que médecin généraliste, avec une patientèle plus stable psychologiquement", ajoute Mohammed El Khammas. A Tétouan par exemple, le centre d’addictologie est "quasiment vide", d’autant que tous les usagers ne viennent pas uniquement des seules villes de Tanger, Tétouan et Nador, mais de toutes les autres petites villes aux alentours. "Les transports et les déplacements nécessitent de l’argent, et les usagers n’en ont pas ou très peu", déplore Mohammed El Khammas.

Joint par Médias24, Hicham El Mernissi, coordinateur à Tétouan du projet de l’ALCS de réduction des risques auprès des usagers de drogues injectables, explique en effet que les centres d’addictologie du nord sont confrontés à un important turn-over des médecins, conjugué à un manque criant de psychiatres, d’addictologues et, plus généralement, de personnel soignant formé à la gestion des addictions. "Le personnel n’est pas suffisamment qualifié dans les domaines clés : il y a par exemple très peu d’infirmiers formés en addictologie et en psychiatrie", souligne cet assistant social. Il pointe également un problème de répartition géographique de ces structures : "Le centre de Tétouan prend en charge les usagers de toute la province, notamment les villes de Fnideq et Martil. Or la demande dépasse largement ses capacités et ses ressources humaines." Rien que dans ce centre, la liste d’attente dépasse les 1.000 pesonnes.

Une prise non régulée de méthadone peut à nouveau créer une dépendance

Une attente très longue qui pousse donc certains usagers à se rendre à Salé ou Casablanca. "Les centres d'addictologie de Salé et de Casablanca, soumis à une pression moins forte, ont la possibilité d'accueillir ces patients et les incluent dans leur programme. Ce sont des patients qui changent de lieu d’habitation pendant au moins une année du fait de la prescription quotidienne de thadone durant la première année du traitement", explique Maria Sabir.

Problème : la "paperasserie administrative", selon Mohammed El Khammas, en vigueur depuis la mise en place des restrictions des déplacements entre régions, complique énormément leurs déplacements. "Certains n’ont même pas de carte d’identité et d’autres sont recherchés par la police pour des délits anciens. Ils ont peur d’être arrêtés s’ils se rendent auprès des autorités locales pour obtenir une dérogation, aussi parce qu’ils savent que leur consommation est légalement répréhensible. Même avec une ordonnance, la délivrance des dérogations varie en fonction des responsables et des zones. Certains acceptent, d’autres pas. Ce sont autant de composantes multifactorielles qui rendent très difficile l’accès aux soins des usagers de drogues injectables, plus encore en cette période."

Conséquence : le risque de rechute est très important et, surtout, ces difficultés favorisent l’essor du marché noir. Car la méthadone se vend aussi sous le manteau, par des dealers. Elle peut alors elle-même devenir une drogue, explique Imane Kendili : "Lorsque sa consommation n’est pas régulée, la méthadone peut être détournée de son usage : certains usagers peuvent en consommer plus que de raison et en refaire une drogue. C’est pour cela que, durant la première année du traitement, les doses leur sont administrées au jour le jour par un personnel soignant qui connaît précisément le dosage quotidien, et pas sur plusieurs jours. C’est un produit prescrit et qui doit être pris tous les jours dans une structure hospitalière ou un centre dédié, justement pour éviter les dérives."

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