Crise du Covid: “Nous n'avons pas changé de dogmes économiques” (Banque mondiale)

Les recommandations faites par la Banque mondiale en ces temps de crise tranchent avec les principes de l’orthodoxie budgétaire et financière dont l’institution s’est érigée en gardienne du temple. Pour ses responsables et économistes, ceci n’est pas un changement de dogme économique, mais juste une manière classique de répondre à cette situation de crise. Eclaircissements.

Crise du Covid: “Nous n'avons pas changé de dogmes économiques” (Banque mondiale)

Le 18 janvier 2021 à 19h17

Modifié 11 avril 2021 à 2h49

Les recommandations faites par la Banque mondiale en ces temps de crise tranchent avec les principes de l’orthodoxie budgétaire et financière dont l’institution s’est érigée en gardienne du temple. Pour ses responsables et économistes, ceci n’est pas un changement de dogme économique, mais juste une manière classique de répondre à cette situation de crise. Eclaircissements.

La Banque mondiale et le FMI ont-ils pris un virage à gauche ? C‘est la question que plusieurs observateurs de l’économie mondiale se posent en ces temps de crise. Depuis le déclenchement de la pandémie du Covid-19, les rapports et sorties médiatiques des responsables des deux institutions de Bretton Woods ont cassé avec le discours classique qu’elles portaient jusque-là.

Pour faire face à la crise, les deux institutions, porte drapeau du néolibéralisme mondial, ont recommandé à tous les Etats des recettes inattendues : activer la dépense publique pour soutenir les ménages et les entreprises, lâcher le déficit budgétaire, profiter du contexte de taux bas pour s’endetter quitte à dépasser le plafond des 60% du PIB, investir massivement dans la santé et dans l’éducation, la protection sociale… Tout le contraire de ce qu’elles prêchent depuis de longues années.  

Ces mêmes recommandations ont été émises à l’adresse du Maroc, qui était au début de la crise traversée par un grand débat sur ces différents sujets, entre courant conservateur qui alertait sur le danger d’une politique contracyclique et courant gauchiste qui défendait une politique budgétaire et monétaire expansionniste, militant pour une sortie des dogmes néolibéraux du passé…

Contre toute attente, les institutions de Bretton Woods se sont rangées du côté du second courant, encourageant l’Etat à dépenser plus, à ne pas être très regardant sur la norme du 3% de déficit budgétaire et à recourir autant qu’il se peut à l’endettement pour financer sa politique anti-crise.

Quand le FMI et la Banque mondiale saluent l’explosion du déficit budgétaire !

Face à l’ampleur de la crise et du double choc sur l’offre et la demande, l’Etat n’avait d’autres choix que d’aller dans cette voie, le choix d’une austérité budgétaire (qui était posé un certain moment) s’avérant très risqué économiquement et politiquement. Résultat : le Maroc a fini l’année 2020 sur un déficit budgétaire de 7,6% et son endettement a explosé à 79% du PIB. Le tout sur fond d’une récession historique de plus de 6% (selon les estimations des différentes instructions).

Dans leurs rapports d’évaluation de la politique marocaine sur 2020, la Banque mondiale et le FMI ont salué ces résultats. Un fait inédit. En 2019, le FMI avait sermonné, en des termes assez sévères, le Maroc pour avoir laissé son déficit filer à plus de 4%. Et voilà qu’il le félicite aujourd’hui pour un déficit monstre, qui dépasse la norme d’or des 3% de 4,6 points.

Idem pour la Banque mondiale, qui estime que la réponse marocaine a été "ambitieuse", saluant les efforts de l’Etat dans la gestion de la crise. Les deux institutions ont par ailleurs encouragé l’Etat marocain à poursuivre cette politique expansionniste en 2021 pour limiter les effets de la crise, en recommandant même aux pouvoirs publics d’investir massivement dans les secteurs sociaux, comme la santé et l’éducation.

La crise du Covid a-t-elle changé les certitudes économiques d’hier ? Assiste-t-on à un virage dans les dogmes néolibéraux portés par la Banque mondiale et le FMI ? Les pays qui aspirent à l’émergence économique, comme le Maroc, peuvent-ils enfin se libérer des contraintes imposées par ces institutions pour colmater les grandes brèches ouvertes dans les secteurs publics de l’éducation et de la santé qui ont souffert depuis les années 1980 de ces politiques néolibérales ?

Nous avons posé ces questions aux responsables de la Banque mondiale à l’occasion de la table ronde organisée jeudi dernier au sujet du rapport d’évaluation de la situation économique du Maroc.

La Banque mondiale réfute tout changement de dogme

Leur réponse peut se résumer en deux phrases : les politiques expansionnistes sont certes recommandées en temps de crise, mais il n’a jamais été question de changement de dogme. La messe est dite.

"Je ne pense pas qu’il y ait un changement de dogme. En 2008, il y a eu plus de discussions autour de ça, car la crise avait touché le fondement de l’analyse économique. La crise du Covid est certes mondiale, mais elle est en revanche facile à comprendre. On a eu par le passé des crises similaires et la réponse a été claire à travers des mesures de relance classiques qui remontent au moins à Keynes", nous répond Eric le Borgne, économiste principal pour le Maroc chez la Banque mondiale.

Un discours appuyé par le responsable Maghreb de la Banque mondiale, Jesko S. Hentschel, qui nie également tout changement de dogme économique de son institution, arguant que l’ampleur de la crise a nécessité la conduite de politiques différentes, mais que les fondements ne changent pas.

"Nous vivons une crise globale qui touche tous les pays du monde et en même temps. Cette situation fait que les politiques macroéconomiques doivent nécessairement être contracycliques, afin de donner une marge aux Etats pour soutenir les ménages et le secteur privé. C’est pour cela qu’on voit dans les rapports internationaux ces recommandations sur les politiques expansives. Mais ces politiques ne doivent pas toutefois déboucher sur des crises de la dette. La Banque mondiale, tout en recommandant aux Etats de conduire des politiques contracycliques continue d’ailleurs d’alerter sur les risques d’apparition d’une nouvelle crise de la dette, notamment dans les pays les plus vulnérables", nous explique-t-il.

Le Maroc, pour lui, fait figure de bon élève sur ce registre-là et n’est pas considéré comme un pays à risque, malgré la politique expansionniste qu’il a mis en place en fournissant l’un des plus grands efforts budgétaires de la région pour contrer la crise, avec un plan de relance de 11% du PIB.

"La dette du Maroc est certes montée à 77% du PIB. Mais cela s’est fait de manière viable. On prévoit d’ailleurs une baisse de ce ratio dans le futur. Nous considérons malgré la montée du déficit budgétaire et de l’endettement que le Maroc a une politique macroéconomique stable. Et on l’a vu lors de la dernière sortie du pays sur les marchés internationaux de la dette avec l’énorme émission de 3 milliards de dollars. Ce qui est pour nous un signe de confiance", ajoute le directeur Maghreb de la Banque mondiale.

Si la Banque mondiale ferme les yeux, voire encourage le relâchement des indicateurs de stabilité macro-économique, elle surveille toutefois de très près la soutenabilité des dettes publiques nées de la crise et que nécessitent justement les politiques contracycliques qu’elle recommande.

"La Banque mondiale a tiré la sonnette d’alarme sur la quatrième vague de crise de la dette avant même la crise du Covid. Cette crise est venue toutefois accélérer la crise de l’endettement de certains pays, notamment en Afrique. La problématique que l’on doit gérer aujourd’hui, c’est comment éviter à ces pays qui ont fait de bonnes politiques en période de crise de tomber dans des situations d’insolvabilité et puissent rembourser leur dette. La Banque mondiale a fait justement une initiative avec le FMI au début de la crise en accordant un moratoire sur le paiement de la dette de plusieurs pays, ce qui les a aidés pendant la période de crise à gérer les problèmes de liquidité. Maintenant, avec le contexte de taux bas dans le monde, la soutenabilité de la dette est relativement assurée. Mais si les taux augmentent, plusieurs pays auront du mal à payer leur dette", précise Eric le Borgne.

"Le discours sur un modèle plus social n’est pas nouveau"

Quant aux recommandations assez "socialistes", invitant les pays à revenu moyen, comme le Maroc, d’investir massivement dans le capital humain et dans des secteurs sociaux comme l’éducation, la santé ou la protection sociale, le directeur Maghreb de la Banque mondiale nous dit qu’il n’y a ici aucun changement de dogme, ni de discours.

Le directeur des opérations pour le Maghreb à la Banque mondiale nous dit que le développement humain faisait partie des axes des politiques de développement promues par l’institution avant même la crise. Il nous cite en cela le cas du Maroc où plusieurs rapports de l’institution ont fait un focus sur ce sujet, bien avant la crise du Covid-19.

"Je ne pense pas qu’il y ait un changement des grands axes dans les politiques de développement de la Banque mondiale. On parlait du développement humain avant la crise, et on disait chaque année, depuis deux ou trois ans, que le capital humain était un des principaux leviers de développement pour le Maroc », nous répond-il.

"Le potentiel de productivité d’un nouveau-né dans le Maroc d’aujourd’hui est d’à peine 50%. C’est une grosse perte pour le pays. D’où la réforme lancée par l’Etat pour améliorer la qualité du système de l’éducation. Le développement humain constitue un des principaux facteurs de développement pour le Maroc. Et c’est quelque chose dont on a parlé avant la crise du Covid. On avait d’ailleurs recommandé dans l’un de nos rapports un changement de modèle, pour passer d’un modèle axé sur l’investissement de manière intensive dans les infrastructures dont le rendement n’est pas très élevé, vers un modèle plus social axé sur le capital humain", insiste-t-il.

Mais cet investissement massif dans les secteurs sociaux et le capital humain ne doit pas se faire au détriment des sacro-saints équilibres macroéconomiques, puisqu’il doit passer selon le Banque mondiale, comme pour le FMI, par une réforme profonde de l’Etat et de son mode d'intervention, ainsi que par l’amélioration de la qualité de l’investissement public et sa réorientation vers les nouvelles priorités d’aujourd’hui.

Un discours qui cadre avec celui des autorités marocaines, qui ont pris conscience des failles de l’actuel modèle de développement et tentent aujourd’hui de rectifier le tir en érigeant le capital humain comme priorité dans le développement du pays. Le tout, en assurant à leurs partenaires financiers un retour à la normale en matière d’équilibre macroéconomique dès 2023, avec une inflexion de la courbe de la dette et du déficit budgétaire.

La crise du Covid-19, que certains économistes voyaient comme l’occasion pour se libérer une fois pour toute de l’orthodoxie budgétaire et financière, ne sera finalement qu’une parenthèse, qui doit vite se refermer… 

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