Métallurgie : 25.000 emplois seront perdus en 2020 (Tarik Aitri)

Cela représente 25% de l'ensemble des emplois dans le secteur. Selon Tarik Aitri, président de la FIMME, 15.000 travailleurs ont déjà perdu leurs postes depuis le confinement, auxquels s'ajouteront 10.000 autres, d’ici la fin de l’année. En cause : la baisse drastique de l'activité et les nombreuses faillites attendues dans cette filière qui travaille actuellement à 30% de sa capacité.

Métallurgie : 25.000 emplois seront perdus en 2020 (Tarik Aitri)

Le 5 octobre 2020 à 18h02

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

Cela représente 25% de l'ensemble des emplois dans le secteur. Selon Tarik Aitri, président de la FIMME, 15.000 travailleurs ont déjà perdu leurs postes depuis le confinement, auxquels s'ajouteront 10.000 autres, d’ici la fin de l’année. En cause : la baisse drastique de l'activité et les nombreuses faillites attendues dans cette filière qui travaille actuellement à 30% de sa capacité.

Le secteur de la métallurgie, des industries mécaniques et électromécaniques était en difficulté bien avant la Covid, à cause de l'essoufflement du marché local et de la forte concurrence étrangère. Des mastodontes du secteur comme DLM ou Stroc Industrie sont engagés dans des procédures de sauvegarde judiciaire bien avant la pandémie.

La crise sanitaire et ses conséquences sur l'économie est venue frapper de plein fouet un secteur déjà fragile. Et la situation actuelle est qualifiée de « catastrophique » par tous les professionnels du secteur sondés par Médias24.

Le secteur tourne à 30% de ses capacités

Ce secteur qui est représenté par la FIMME dépend fortement de la commande publique, des chantiers d’infrastructures et des projets d’investissement de grands donneurs d’ordre publics et privés.

Avec la suspension de pratiquement tous les chantiers dans le pays pendant le confinement, le secteur était également à l’arrêt. Mais espérait une reprise après la levée du confinement. Un espoir qui s'est avéré vain.

« Les chantiers sont toujours à l’arrêt, notamment ceux des grands donneurs d’ordre. Le taux moyen d'utilisation des capacités du secteur tourne actuellement à 30 voire à 40% au grand maximum », nous dit Chafiq Essakalli, un des membres de la fédération du secteur des IMME qui représente plus de 1.600 firmes.

« Les chantiers ont été fermés à partir de fin mars. Notre carnet de commande est donc bien fourni par les commandes passées en 2019 ou en début d’année, mais on ne livre pas aujourd’hui. Donc on ne facture pas. Or, nous avons toujours des charges à payer, des fournisseurs, des salaires… », explique Tarik Aitri, président de la FIMME.

M. Aitri, ainsi que d’autres professionnels du secteur comme Hamid Souiri, l’ex-président de la fédération, nous disent qu’il y a un petit frémissement en ce mois de septembre. Mais on reste loin de la reprise.

« Ce n’est qu’un petit frémissement, et qui n’est pas lié à mon avis à une demande nouvelle. La petite reprise qu’on constate sur ce mois vient principalement des secteurs du BTP et de l’agriculture pour tout ce qui est tubes d’irrigation, acier et autres matières premières. Comme ces deux secteurs n’ont pas réellement décollé, je pense qu’il s’agit d’une simple reconstitution des stocks qui ont été épuisés durant le confinement », nuance M. Aitri.

Pour lui, comme pour les autres membres de la fédération, le retard à l'allumage que connaît le secteur vient du retard pris dans la réouverture des grands chantiers ou de l'arrêt de certains chantiers pilotés par de grands donneurs d’ordres.

Au moins 100 faillites seront déclarées d’ici fin 2020

Les dégâts ont été jusque-là énormes : plus de 15.000 emplois ont été déjà perdus dans l’ensemble des filières du secteur, nous apprend le président de la Fédération. 

« C’est 15% de l’ensemble des emplois dans le secteur (100.000 emplois avant la crise). Et il ne s’agit pour l’instant que des CDD. Je pense que ce chiffre passera à 25.000 d’ici fin 2020, car on commencera bientôt à toucher aux CDI, avec les faillites qui vont s’annoncer », signale le président de la FIMME.

M. Aitri estime qu’au moins 100 entreprises du secteur vont déclarer faillite d’ici la fin de l’année. Sans parler des gros acteurs du secteur qui étaient déjà en difficulté avant la crise, et que la Covid est venue enfoncer davantage. C’est le cas de DLM ou de Stroc Industrie, deux gros acteurs du secteur actuellement en sauvegarde judiciaire, qui risquent de ne pas se relever après cette crise du Covid.

Et le mal ne vient pas que de la commande étatique ou celle d’établissements publics. Mais aussi du privé, estiment nos sources.

« Tous les donneurs d’ordre, publics et privés, ne font que décaler leurs projets. Pour notre industrie, je pense qu’on entre à peine en crise. Le pic n’est pas encore atteint et on craint le pire pour 2021 », estime M. Aitri.

« La commande publique, oui, mais avec ces conditions »

Pour sauver le secteur de la catastrophe, les professionnels du secteur ne demandent qu’une chose : une reprise des chantiers et de la commande publique. Mais avec des conditions.

« La commande publique, c’est bien. Mais encore faut-il qu’elle profite aux opérateurs nationaux », estime M. Essakalli.

Pour lui, le critère de préférence nationale que veut activer le gouvernement n’est pas suffisant.

« Les 20% de majoration que veut appliquer l’Etat aux offres étrangères, c’est rien. Quand un Chinois veut vous faire du dumping, il peut descendre jusqu’à 70%. Le problème n’est pas dans les prix, mais dans la rédaction des cahiers des charges qui rend les marchés inaccessibles pour les opérateurs marocains, notamment les PME ».

Principal problème pointé du doigt aussi bien par M. Essakalli que par le président de la fédération : « les références ».

« Les cahiers des charges exigent par exemple des références pour des projets qui n’ont jamais été réalisés au Maroc. C’est comme pour les projets des centrales solaires de Ouarzazate. On lance un appel d'offres, avec un cahier des charges pour la composante métallurgique où on exige des références sur des projets similaires. Comment un industriel marocain peut avoir des références sur le solaire alors que c’est une industrie qu’on commence à peine à développer. C’est ce genre de critères qui vous disqualifie automatiquement », explique M. Essakalli.

Pour M. Aitri, ce problème de préférence nationale dans la commande ne concerne pas que l’Etat ou les établissements publics, mais aussi les donneurs d’ordre privé.

Tarik Aitri cite l’exemple des investissements conduits par les pétroliers dans le domaine du stockage.

« 60% des dépôts de stockage construits jusque-là par les pétroliers marocains ont été réalisés par des étrangers, alors que les industriels marocains sont capables de faire le même travail et à des prix plus compétitifs. Je ne veux pas donner de noms, mais plusieurs pétroliers mettent dans leurs cahiers des charges des références dans des projets similaires, avec des normes américaines par exemple. Chose qu’aucune entreprise marocaine ne peut avoir bien sûr. On se retrouve finalement avec des étrangers, belges ou italiens qui viennent construire des dépôts à des prix chers, en ramenant un staff étranger et en important toute la matière première… C’est illogique ».

M. Aitri cite toutefois le contre-exemple de Petromin. « Pour son dépôt de stockage, Petromin n’a mis aucune exigence de référence draconienne. C’était le dernier pétrolier à lancer son projet de dépôt à Jorf Lsafar. Il a été gagné par une entreprise marocaine qui l’a réalisé en six mois, contre un an et demi pour les autres compagnies qui ont choisi des étrangers. Et Petromin a été, du coup, une des rares compagnies pétrolières à profiter de la baisse des prix du pétrole car son dépôt était prêt à temps », raconte M. Aitri.

Pour l’ensemble des professionnels de cette industrie, la commande publique ne doit pas être traitée simplement sous l'angle de la quantité, de son volume, ou de la préférence nationale en termes de prix. « Il faut revoir tout le process des marchés publics, de la rédaction des cahiers des charges à l’obtention des marchés. », propose Hamid Souiri.

Et le privé doit aussi avoir ce souci de préférence nationale quand il lance des marchés. « Nous sommes dans un même bateau. Il faut que les gens le comprennent. On ne peut pas continuer à accorder des projets à des étrangers quand des Marocains peuvent les faire. Surtout dans des filières industrielles qui emploient des centaines de milliers de personnes, qui créent de la valeur, des revenus, de la consommation…. Activer la préférence nationale, c’est créer un cercle vertueux dans toute l'économie », explique Tarik Aitri.

Selon lui, ce ne sont pas des lois ou des décrets qui vont résoudre ce problème : « Les Turcs consomment turc sans qu’il n’y ait besoin de lois qui les oblige à le faire. Idem pour les Allemands. C’est une question de mentalité, de culture. Je parle avec plusieurs patrons marocains qui me disent préférer travailler avec des Européens plutôt qu’avec des Marocains, pour une question de cofinance disent-ils. Ce discours doit cesser, surtout en ces temps de crise ».

Les professionnels sondés par Médias 24 reconnaissent toutefois que les pouvoirs publics ont pris conscience de cet enjeu. Et expriment leur satisfaction notamment par rapport à la nouvelle politique d’import-substitution annoncée par Moulay Hafid Elalamy.

Mais ils estiment en même temps, que cette politique ne peut être durable pour un pays qui doit rester ouvert aux marchés internationaux.

« Nous sommes dans un petit marché de 35 millions d’habitants. Jusqu’à quand peut-on survivre avec du protectionnisme, à moins que le revenu moyen double, que la consommation des ménages double, et qu’on ait des croissances extraordinaires… Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. On est obligé de commercer avec le reste du monde. De plus, l’import-substitution est une goutte d’eau par rapport à ce qui existe aujourd’hui. La priorité pour nous actuellement, c’est de ne pas aller capter ce qui s’importe déjà, mais de sauver ce qui existe », signale Tarik Aitri.

« Damane Relance est inadapté pour l’industrie des IMME »

Or, selon nos sources, les mesures de sauvetage édictées par les pouvoirs publics n’ont pas bénéficié à tous les industriels du secteur. Surtout les crédits garantis par l’Etat, comme Damane Relance.

Les professionnels pointent du doigt d’abord l'efficacité de ce produit, puis les critères qui ont été mis par la CGG pour que les entreprises puissent en bénéficier.

Selon eux, ce produit est inadapté aux industriels des IMME : « Ce produit a été conçu à un moment où les pouvoirs publics pensaient que ca pouvait aider les entreprises pour une période courte. Or, la crise va durer plus longtemps que prévu. Ensuite, Damane Relance couvre à peine 1,5 mois de chiffre d’affaites. Or, dans nos industries, on a des cycles de production longs. Ce crédit peut aider, mais il est insuffisant pour couvrir le BFR d’un industriel », explique M. Aitri.

Rares sont les entreprises du secteur qui sont arrivées à le décrocher, selon lui. Et ce, à cause d’une condition que met la CCG, celle du ratio Endettement/EBE qui ne doit pas dépasser 7.

« C’est un ratio qui ne correspond pas à la réalité du secteur industriel. Nos entreprises, et ca c’est une réalité, sont sous-capitalisées et surendettées. Dans notre secteur, ce ratio est en moyenne de 10. Donc, pratiquement toutes les entreprises du secteur n’ont pas pu obtenir ce crédit », confie M. Aitri.

Pour lever cette contrainte, la FIMME compte proposer au gouvernement pour le PLF 2021 la possibilité de réévaluer les actifs des industriels, avec à la clé une neutralité fiscale sur ces valorisations.

« Il y a des industriels qui ont des terrains achetés dans les années 1980 à 10 millions de dirhams par exemple, mais qui valent aujourd’hui 400 MDH. Or, ils sont toujours comptabilisés dans leurs bilans à leur valeur initiale, ce qui fausse les ratios d’endettement. Nous proposerons au gouvernement donc la possibilité de réévaluer nos actifs fonciers et immobiliers tout en appliquant une neutralité fiscale sur ces opérations, car elles vont générer des plus-values comptables qui seront soumises à l’IS », nous apprend M. Aitri.

Une proposition qui vise selon le président de la fédération du secteur à nettoyer le bilan des industriels, revaloriser leur bilan et alléger leur ratio d’endettement pour qu’ils puissent accéder aux financements bancaires et aux produits de relance lancés par l’Etat.

« Nous demanderons aussi la possibilité d’effacer des encours clients dont on est sûr qu’ils ne seront jamais réglés. C’est le cas de clients en Irak ou en Libye que nous avons servis mais qui ne vont jamais nous payer. Ces créances restent toujours dans nos bilans et les alourdissent. Il faut que les autorités nous permettent de faire une grande opération de nettoyage de nos bilans pour qu'on puisse repartir sur des bases saines », explique-t-il.

En attendant que ces propositions soient soumises au gouvernement, et surtout acceptées, les opérateurs des IMME disent vivre dans une situation d'asphyxie, où le seul moyen pour survivre est d'alléger leurs charges salariales, en attendant des jours meilleurs.

« Nous avons une main-d’œuvre qualifiée. Et c’est vraiment dommage de la lâcher. En même temps, on peut rapidement reprendre les personnes qui partent si les chantiers sont relancés. Le problème, c’est que nous n’avons aucune visibilité sur l’avenir. Ce qui rend les choses encore plus compliquées », estime M. Hamid Souiri, qui dit avoir vécu plusieurs crises durant son parcours d’industriel, mais qu’il n’a jamais vu une crise d’une telle ampleur… « Je suis industriel de père en fils. C’est la seule chose que je sais faire. J’ai vécu les crises des années 1980, celle de 2008. Mais cette crise du Covid est unique. On évolue dans l'incertitude totale et on ne sait absolument pas comment les choses vont évoluer…», conclut-il.

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