L’épidémie de Covid risque d’échapper à tout contrôle, la santé publique dépassée ?

Il est à craindre que le système de santé soit déjà dépassé et n’arrive plus à faire face à la situation épidémiologique dans certaines régions comme Casablanca-Settat et Marrakech-Safi.

L’épidémie de Covid risque d’échapper à tout contrôle, la santé publique dépassée ?

Le 7 septembre 2020 à 14h31

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

Il est à craindre que le système de santé soit déjà dépassé et n’arrive plus à faire face à la situation épidémiologique dans certaines régions comme Casablanca-Settat et Marrakech-Safi.

Commençons par des témoignages que nous avons tous vérifiés :

1- Vendredi 4 septembre, un citoyen de Casablanca se réveille avec une migraine et des douleurs ophtalmiques. Il se rend chez un généraliste qui lui dit de ne pas s’inquiéter et lui prescrit 4 médicaments dont un antibiotique. Il l’adresse aussi à un ophtalmo qui le rassure : "vous n’avez rien". Ce dimanche 6 septembre, il se réveille en ayant perdu le goût et l’odorat. Il veut faire un test, mais il ne sait pas où. Il se rend aux chapiteaux de tests installés derrière l’hôpital Moulay Youssef : les équipes ne travaillent pas le dimanche. Il se rend à l’hôpital Moulay Youssef où on lui demande de revenir lundi au même chapiteau pour effectuer un prélèvement. Cela signifie que dans le meilleur des cas, il aura le résultat mercredi et pourra éventuellement commencer le traitement. Trois jours de perdus pendant lesquels son cas peut s'aggraver tandis qu'il peut contaminer d'autres personnes.

Mais ce patient est quelqu’un d’averti. Il a lu la circulaire 70 DELM signée du ministre de la Santé et qui le classe, lui, dans les cas probables car il a perdu le goût et l’odorat. Pour un cas probable, on commence le traitement immédiatement, tout en effectuant le test et sans attendre le résultat.
Il en parle au médecin qui lui affirme ne pas être au courant de cette circulaire et qui refuse donc de lui donner un traitement.

La circulaire est datée du 2 septembre, la scène a lieu le 6 septembre.

La circulaire elle-même avait tardé à être diffusée puisque selon une source sûre, la décision d’adopter cette nouvelle définition de cas et ce nouveau protocole de prise en charge, a été prise par le comité technique et scientifique qui s’était réuni plus d’une semaine auparavant.

Bref, voici un malade qui aurait dû commencer son traitement ce dimanche et qui attendra au moins trois jours supplémentaires.

2- Une société à Casablanca ayant un effectif important. Un de ses ouvriers contracte le Covid-19, le constat est effectué dans une autre ville. La société décide de tester de nouveau tous ses salariés. Au bout de trois jours, ne recevant ni résultat ni message, elle prend les devants et contacte le laboratoire privé qui a effectué les tests. Parmi ses nombreux employés, seuls 9 ont contracté le Covid. Mais ces 9 cas, ainsi que le chef d’entreprise, restent les bras ballants à attendre. Personne ne les contacte alors qu’il s’agit d’une maladie à déclaration obligatoire.

Où est la recherche des cas contacts ? Le chef d’entreprise fait contacter la délégation régionale de la santé et demande aux salariés concernés de s’isoler chez eux après s’être signalés aux autorités locales, moqaddem ou caid. Ce n’est qu’au bout de plusieurs jours que ces cas sont pris en main et leurs contacts dépistés. Certains seront suivis à domicile. D’autres sont hospitalisés à … El Jadida. C’est dire que la capacité d’hospitalisation semble saturée dans la grande métropole.

3- Un patient se présente dans un cabinet de généraliste. Il annonce des symptômes fortement évocateurs de Covid : syndrome grippal avec perte d’odorat et de goût.

Le médecin hésite. Il n’a jamais été contacté par la Santé publique. On ne lui a jamais indiqué de conduite à tenir. Il décide d’adresser le patient à l’hôpital dont relève son domicile. Là, le médecin lui prescrit un antibiotique et du doliprane et lui demande de revenir une semaine plus tard.

Au bout de trois jours, très inquiet, il se rend dans le privé où il se fait tester à ses frais. Le résultat est positif. Avec cette attestation de positivité entre les mains, il ne sait quoi faire. Revenir chez le même médecin ? Contacter les autorités locales ? Car il est de notoriété que les numéros du SAMU trop sollicités ne répondent pas.

 Des personnes dans le doute, livrées à elles-mêmes

Ce ne sont là que trois exemples mais il y en a des dizaines ou des centaines similaires. Ils sont riches en enseignements. Ils montrent que des personnes (cas possibles ou cas probables) sont livrées à elles-mêmes ; que le circuit de transmission des décisions officielles dans la lutte anti-Covid est trop lourd et lent ; que les médecins de libre pratique et les pharmaciens ne sont pas mobilisés (alors qu’ils ne demandent qu’à s’impliquer) ; que le parcours du patient possible ou probable est nébuleux et confus…

Le ministère n’a pas prévu l’explosion de cas actifs

Si l’on rebobine les informations disponibles, on constate que le ministère de la Santé n’a pas anticipé la forte hausse de cas de Covid-19 qui a succédé au déconfinement.

Fin juin, au moment de la sortie progressive du confinement, le Maroc était en moyenne nationale à un RT de 0,7. Le ministère anticipait une hausse jusqu’à un taux de 0,9, donc on resterait en dessous de 1 ce qui aurait été remarquable.

Le devoir d’un ministère aussi sensible, dans une période aussi grave, consiste à prévoir tous les scénarios. Cela n’a pas été le cas.

Le 22 juin 2020, le ministre de la Santé livrait quelques données au Parlement :

- "Le nombre de cas actifs au moment du déconfinement doit être inférieur à 3 pour 100.000 habitants". Dimanche 6 septembre, nous étions à une prévalence de 43,4 pour 100.000 habitants, 15 fois plus !! On se rapproche à grande vitesse du taux fatidique et dangereux de 50 cas actifs pour 100.000 habitants.

- "La capacité totale allouée [à l’époque] au traitement des cas de coronavirus par l’isolement s'élève à 13.456 lits". Ce nombre de lits est désormais inférieur au nombre de cas actifs (15.759, le dimanche 6 septembre). C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le ministère a fini par instaurer le suivi à domicile des cas asymptomatiques (décision du 5 aout) ; puis des cas symptomatiques bénins (circulaire du 2 septembre).

- "642 lits sont mobilisés pour le traitement des cas critiques dans les unités de soins intensifs", a également annoncé le ministre le 22 juin. Le 27 mars, le gouvernement affirmait qu’on disposait de 1.640 lits de réanimation et que l’on s’acheminait vers 3.000 lits en quelques semaines. Nous avions compris par la suite que les lits ne sont pas uniquement une question de matériel (lits, respirateurs, oxygène, etc.) mais que les ressources humaines sont l’élément le plus important. Selon des sources médicales sûres, le Maroc dispose de 200 réanimateurs dans le public et de 120 dans le privé. Ce qui est conforme aux 642 lits mais ne couvre pas les 3.000 promis. Il était tout simplement impossible d'augmenter significativement le nombre de lits de réa.

- Au cours de cette même intervention au Parlement, le ministre a promis de "maintenir les services mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR 141), pour la prise en charge pré-hospitalière des cas de covid-19". Tout le monde sait aujourd’hui qu’ils ne répondent que rarement en raison de la saturation des lignes.

A eux seuls, ces quelques éléments montrent que le ministère n’a pas correctement anticipé l’évolution de la situation épidémiologique.

Probablement de nombreux cas dans la nature

Mais il n’y a pas que cela : le nombre de décès et de malades en réanimation ne correspond pas au nombre de cas actifs déclarés mais à bien plus. Ce n’est pas un simple avis de Médias24, c’est le verdict quasi unanime d’éminents praticiens marocains qui suivent l’évolution au jour le jour.

De plus, fin août, 23% des malades qui arrivaient au CHU Ibn Rochd étaient épuisés, agonisants et décédaient à l’accueil, au bout de quelques minutes ou quelques heures au maximum. Il s’agit de malades souvent apparus de nulle part, n’ayant pas été identifiés, ni testés, ni pris en charge. Et qui, en détresse respiratoire, arrivaient aux urgences.

Jusqu’au samedi 5 septembre, le nombre de tests culminait à 22.000 par jour avec un taux de positivité élevé, parfois supérieur à 7%.

Il était clair, depuis plus d’un mois, que le système mis en place n’était plus adapté aux objectifs qui étaient le diagnostic précoce, le testing, le contrôle des cas contacts, et le traitement au plus vite.

Le 2 septembre, le ministre de la Santé a annoncé dans une circulaire, que les cas “probables“ doivent désormais commencer le traitement avant même le test. Dimanche 6 septembre, les hôpitaux à Casablanca n’étaient pas au courant de cette circulaire, ou en tous les cas ne l’appliquaient pas.

 Les cas asymptomatiques ont bon dos

Dimanche 6 septembre dans la soirée, le ministre Khalid Ait Taleb a donné une déclaration aux chaînes de télévision et à la MAP, affirmant “que le nombre de cas asymptomatiques est égal au nombre des cas symptomatiques“ et que “cela explique qu'il y a une forte propagation du virus aujourd’hui“. Est-ce que pendant la période mars-juin 2020, il n'y avait pas de cas asymptomatiques au Maroc ?

La vraie explication, le ministre la connaît ainsi que tout le corps médical qui est en première ligne et qu’il n’a cessé de répéter : le processus est lent. La détection n’est pas précoce mais tardive. Il s’écoule au minimum 7 jours entre l’apparition des premiers symptômes et le résultat d’un test. Et encore deux jours supplémentaires au minimum pour commencer un traitement. Ces délais sont trop longs. Ces délais permettent au virus de se multiplier. C’est la raison essentielle de l’explosion épidémiologique. A titre d'exemple, les résultats des tests sont livrés en moins de 24 heures au Sénégal.

Vendredi 4 septembre, à l’occasion d’un webinaire des sociétés savantes spécialisées dans la santé de l’enfant, le directeur général du CHU le Pr Hicham Afif a rappelé “qu’il est impératif que les malades arrivent à des stades précoces. Ils arrivent à un stade tardif, jusqu’à 15 jours de retard. Le citoyen doit entrer dans le système de soins dès les premiers symptômes ? La première phase a réussi grâce à la précocité“.

Ce lundi 7 septembre, a lieu la rentrée scolaire laquelle, en dehors des quartiers ou agglomérations fermées, se déroule en présentiel. Le ministère n’a toujours pas diffusé de note au sujet de la conduite à tenir en cas d’apparition de cas Covid dans une école.

En résumé, un circuit long et laborieux qui permet au virus de se multiplier et aux contaminations d’exploser ; un parcours santé qui n’est pas adapté à la situation et qui se prive du concours de milliers de praticiens (médecins et pharmaciens) ; un SAMU qui ne répond pas ; des patients livrés à eux-mêmes. Voici les vraies raisons de la situation épidémiologique. Les mesures à prendre sont connues. Le seront-elles ? L’avenir seul le dira.

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