Les opérateurs du BTP appellent à un plan massif d'investissement dans les infrastructures

M.M. | Le 9/6/2020 à 18:27

C’est une sorte de plan Marshall que revendiquent les opérateurs du secteur pour redynamiser les chantiers de construction et de travaux publics, avec comme condition centrale l'application de la préférence nationale dans l'octroi des marchés. Ils proposent également la création d'une banque de développement pour financer les entreprises en difficulté, que les banques commerciales rechignent à servir.

Le BTP fait partie des secteurs qui ont été les plus touchés par la crise du Covid-19. Si tous les chantiers n’ont pas été à l’arrêt, la majorité des entreprises ont souffert de l’état d’urgence sanitaire et des mesures de confinement de la population. Avec un impact très lourd sur leur activité, leur trésorerie et leurs équilibres.

L’Etat d'urgence a créé un grand désordre dans les chantiers

Selon une source du secteur, représenté par la FNBTP, même s’il n’y avait aucune consigne administrative pour l’arrêt des chantiers, l’état d’urgence sanitaire et le confinement ont créé un « grand désordre » dans les chantiers, dont beaucoup ont été arrêtés d’office. En cause : l'absence de la main d’œuvre et l’indisponibilité de la matière première.

« Dès les premières annonces de l’état d’urgence sanitaire, il y a eu un exode massif des ouvriers qui ont abandonné les chantiers. Ceux qui ont choisi de continuer à travailler trouvaient en revanche de très grosses difficultés pour se déplacer, notamment entre les villes. Cela concerne aussi bien les ouvriers que le personnel encadrant. Cette situation a créé un désordre général et beaucoup d'entreprises ont décidé ainsi de stopper les chantiers en l’absence de conditions pouvant assurer un travail normal, ou du moins assurer le minimum», explique notre source.

Et ce n’est pas tout : même quand des entreprises arrivaient à mobiliser leur personnel, elles s’exposaient selon notre source, à des sanctions administratives, car toutes les entreprises ne pouvaient assurer les conditions  pour le respect des règles sanitaires édictées par les autorités. Il donne l’exemple des masques, dont il y avait une grosse pénurie durant les premières semaines de la déclaration de l’état d’urgence.

Autre source de désordre : l’impossibilité de se fournir en matière première, équipements et autres matériaux nécessaires à la conduite d’un chantier, et ce à cause de la fermeture de plusieurs usines de matières premières.

Et les rares entreprises de matériaux de construction qui continuaient de rouler, ou disposaient de stocks à écouler, « imposaient de paiements d’avance, suite aux incidents de paiements… », note notre source.

Sans ouvriers et personnel encadrant, ni la possibilité de se fournir en matières premières, difficile de poursuivre un chantier.

Grosse chute de l'activité et effet boule de neige sur toute la chaîne

Résultat des courses : l’activité a chuté de plus de 75% pour le Bâtiment et de plus 60% pour les Travaux Publics, selon les données de la FNBTP. Et il ne s’agit là que des chiffres des mois de février et de mars 2020, comparé à ceux de la même période de 2019.

Cet arrêt de l'activité dû aux désordres créés par la pandémie a produit des conséquences désastreuses sur toute la chaîne.

La FNBTP en cite trois :

-« L’incapacité de régler les fournisseurs et les sous-traitants, ce qui accentue les dettes des entreprises et porte un coup dur à la confiance entre les entreprises, leurs fournisseurs et leurs sous-traitants » ;

-« L’impossibilité de respecter les délais d'exécution contractuels, ni de supporter les pénalités de retard » ;

-« Un nombre important d'entreprises se sont retrouvées dans l’incapacité d’assurer même le règlement des salaires de leurs employés, ce qui a créer des tensions sociales ingérables » ;

Sur ces différents points, le gouvernement, à travers le CVE, a dès les premières semaines de l’Etat d’urgence annoncé des mesures pour atténuer l’impact aussi bien sur les salariés que sur les finances des entreprises. Et ce à travers la mise en place de l’indemnisation CNSS du chômage partiel, l’instauration d’un crédit garanti (Damane Oxygène) pour assurer les charges vitales des entreprises, et l'annulation des pénalités en cas de retard sur les marchés.

Les mesures ont été bonnes sur le papier, nous dit notre source, mais la réalité sur le terrain a été tout autre, déplore-t-il.

Selon la FNBTP, beaucoup de salariés du secteur n’ont pas pu bénéficier des indemnités de chômage, car comme expliqué plus haut, ils n’étaient pas réellement considérés en chômage partiel, puisque les chantiers ne devaient pas en principe se mettre à l’arrêt. « Il y avait par exemple des salariés qui ne se sont pas déclarés en chômage, mais s'y sont retrouvés de fait car incapables de rejoindre leur lieu de travail, ou car l’entreprise ne pouvait leur assurer des conditions saines de travail », explique notre source.

Les entreprises du secteur ont ainsi, selon la FNBTP, trouvé beaucoup de difficultés avec les salariés qui n’ont pas pu bénéficier de ce filet de sauvetage accordé par l’Etat et financé par le Fonds anti-Coivd.

Ces « problèmes d’interprétation», comme les qualifient les opérateurs de la Fédération du BTP ont porté également sur les critères d’obtention des produits de financement mis en place par l’Etat pour soutenir les activités à l’arrêt.

En plus des difficultés historiques des entreprises de BTP d'accéder au financement bancaire --le secteur étant considéré à haut risque, car souffrant d’une situation de surendettement avec une trésorerie largement déficitaire--, les entreprises du secteur n’ont pas pu toutes bénéficier de Damane Oxygène, selon nos sources. En cause : « il y avait un problème d'interprétation et de définition de ce qu’est une entreprise en difficulté. Les banques se basaient sur les pertes en chiffre d’affaires, ce qui ne correspondait pas à la nature de notre activité, car les entreprises du BTP encaissent des décomptes mensuels, qui ne sont généralement arrêtés que 45 jours au mieux par les maitres d’ouvrage. Donc l’impact de la baisse du chiffre d’affaires ne se voit pas directement sur nos comptes… », explique-t-on.

Dans sa première formule, Damane Oxygène excluait en plus les entreprises qui faisaient plus de 500 MDH de chiffre d’affaires. Ce qui a déclassé de nombreuses entreprises du secteur. La décision a été ensuite corrigée, mais « de manière tardive », estime-t-on à la FNBTP.

Nos sources nous parlent aussi de grosses tensions avec les donneurs d'ordres, aussi bien publics que privés. Ce qui a posé énormément de problèmes.

Le 14 avril, le CVE a invité tous les établissements publics et maîtres d’ouvrages à considérer les retards dans l'exécution des marchés comme relevant d’un « cas de force majeure ». Ce qui impliquait pour une entreprise de BTP de ne pas assumer les pénalités de retard dues aux retards de livraison.

Mais malgré cela, nous confie une de nos sources, les maîtres d’ouvrages faisaient une pression énorme sur les entrepreneurs pour respecter les délais et n’acceptaient pas systématiquement le cas de force majeure : « C’était difficile à gérer. Surtout qu’on est dans une relation client-fournisseur, et qu’on ne peut pas entrer dans des conflits. Le secteur public a été à vrai dire plus compréhensif, mais pour un maître d’ouvrage privé, qui a lui aussi ses contraintes, accepter le cas de force majeure, et donc d’être livré en retard, ne passait pas facilement. Ca a mis une pression énorme sur les opérateurs et créé des tensions qui ont détérioré les relations de beaucoup d’entreprises avec leurs clients… ».

Accélérer la commande publique, mais avec des conditions…

Pour remédier à ces difficultés nées de l’Etat d’urgence sanitaire, la FNBTP propose ainsi de « déclarer un moratoire sur les pénalités de retard sur toute la période de l’état d’urgence sanitaire et appliquer le cas de force majeure pour tous les marchés à l’arrêt avec prise en compte des impacts des mesures sanitaires sur l'exécution des marchés ».

Idem pour résoudre le « malentendu » sur le chômage partiel. Ici, les opérateurs du secteur demandent « à faire bénéficier de l'indemnité COVID 19 tous les salariés en chômage forcé, quel que soit l’effectif de l’entreprise qui les déclare et ce pour les durées effectives de ce chômage, comprises entre le 15 mars et le 30 juin ». Ils demandent également à « trouver une solution pour les salariés qui n’ont pu rejoindre leur lieu de travail à cause de l’état d’urgence sanitaire ».

Des mesures qui doivent s’accompagner, en urgence, avec « la mise en place d'un mécanisme souple et adéquat pour faciliter les déplacements intra et inter-villes nécessaires pour les entreprises et la marche des chantiers », recommandent-ils.

Ceci pour parer à l’urgence du moment. Quant à la relance post-confinement, la FNBTP propose une sorte de plan Marshall ciblant le BTP, avec l’ouverture des vannes du crédit bancaire pour financer la relance. Des propositions qui s’accompagnent de quelques conditions pour que l’effort de relance puisse réellement avoir un impact sur l’économie nationale.

La FNBTP invite ainsi l’Etat à lancer « un programme ambitieux d’investissement prioritaire dans les infrastructures et le BTP en général ». L’intensification de la commande publique sera, selon les opérateurs du secteur, un des principaux leviers de la relance et du rattrapage des pertes subies pendant la durée du confinement. Mais cette commande publique doit, selon eux, être mieux ciblée pour bénéficier aux opérateurs locaux. D’où cette proposition d’instaurer « la préférence nationale systématique de 15% » pour tous les marchés publics, y compris ceux des Collectivités Territoriales et des établissements et entreprises publiques.

Une mesure que prévoit en principe la réglementation actuelle des marchés, mais qui n’est pas souvent appliquée. Ou qui est « détournée », selon une source du secteur, par « l’établissement de cahiers des charges taillés sur mesures pour des entreprises étrangères et qui excluent de fait les opérateurs nationaux ».

Sans parler directement de ce phénomène de « discrimination en aval » que subissent les opérateurs locaux, la FNBTP appelle ainsi les pouvoirs publics à « lever les obstacles à la participation des entreprises nationales à tout appel d’offres lancé au Maroc ». Et demande également un soutien étatique et un accompagnement pour que les entreprises du BTP puissent s’exporter et obtenir des marchés à l’international, notamment en Afrique Subsaharienne.

Ces mécanismes ne sont pas nouveaux. Certains d’entre eux font partie, rappelle une de nos sources, du contrat programme du BTP et de l'ingénierie acté avec les pouvoirs publics en septembre 2018 et qui insiste sur cette question  « de l’adéquation de la commande publique avec la maximisation de la valeur ajoutée locale ».

Parmi les mesures comprises dans ce contrat-programme et que la FNBTP invite l’Etat à appliquer : « l'octroi systématique des avances de démarrage de 15 à 20%, selon les cas pour tous les marchés publics ».

Les opérateurs pointent également du doigt le phénomène de la « casse des prix » devenu monnaie courante dans la course aux marchés publics. Une sorte de « dumping » utilisé par des opérateurs puissants pour exclure les acteurs locaux ou ceux de taille moyenne de l’accès à la commande publique. Pour combattre de phénomène, la FNBTP propose ainsi de réviser cette règle classique du « moins disant » dans l'octroi des marchés.

Créer une banque de développement pour soutenir les entreprises en difficulté

Pour accompagner cette relance par la commande publique, les opérateurs du secteur veulent également agir sur le financement, aussi bien de leur trésorerie, que de leur fonds de roulement. Et ce à travers une participation plus active du secteur bancaire mais aussi de l’Etat et des donneurs d’ordre publics.

Pour soulager la trésorerie des entreprises, la FNBTP propose ainsi à l’Etat et aux maîtres d’ouvrages de revoir le système des délais de paiement, en adoptant « un décompte par mois, avec une transmission du décompte dans un délai de 10 jours fin de mois ». Ce qui permettra de raccourcir les délais de paiements et soulager la trésorerie des entreprises.

Le financement de la trésorerie passe également par le crédit bancaire. Là aussi, les opérateurs appellent le secteur bancaire à plus de souplesse. Ils demandent par exemple « le report sans condition des échéances de remboursement des crédits bancaires » ainsi que « la facilitation de l’accès à Damane Oxygène à toutes les entreprises quel que que soit leur chiffre d’affaires ».

Mais pour le financement long à proprement parler, la FNBTP exige un accès plus facile et plus large à des crédits à moyen terme, avec une durée de 5 à 7 ans et une période de grâce de 2 ans. Ce qui correspond au produit « Damane Relance » conçu par le CVE, avec la garantie de la CCG. Un produit qui répond effectivement à la demande du secteur, mais pas totalement, nous dit-on. Car la FNBTP estime que ce produit ne doit pas se limiter à 10% du chiffre d’affaires, comme annoncé par le CVE, mais aller bien au delà de cette barrière. ..

Ils proposent au-delà de tout cela la création d’une banque de développement « capable de soutenir les entreprises en difficulté ». « Car les banques commerciales n’ont pas cette vocation », selon une source de la Fédération.

« Le secteur compte des entreprises qui emploient plus d’un million de personnes, qui ont des charges très importantes et autour desquels gravite tout un écosystème (fournisseurs, sous-traitants fabricants de matériaux). Elles ont besoin d’être soutenues car ce sont elles qui sont en mesure de piloter une reprise plus édifiante », explique notre source.

Selon les chiffres de la FNBTP, le secteur compte aujourd’hui près de 6.000 entreprises qualifiées et classées. Il emploie, selon les chiffres de fin 2018, plus de 1,2 million de personnes. Avec un chiffre d’affaires annuel de 59,6 milliards de dirhams, il contribue en termes de valeur ajoutée à 6% du PIB national, et sa part dans la formation brute du capital fixe dépasse les 43% pour une enveloppe d’investissement annuel de plus de 152 milliards de dirhams.  

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