Matériaux de construction : les opérateurs veulent bloquer les importations jusqu’en 2021

M.M. | Le 3/6/2020 à 17:33

C’est l’une des mesures phares proposées par la Fédération des matériaux de construction, qui englobe plus d’une dizaine de filières de poids : ciment, métallurgie, céramique, béton... Un secteur qui pèse 6,6% du PIB et qui a été une des principales victimes des ALE signés par le Royaume.

Le secteur des matériaux de construction fait partie des grandes victimes de la crise du Covid-19. Avec l’arrêt presque total des chantiers de construction et de travaux publics, les opérateurs du secteur ont perdu, selon une enquête de la CGEM, plus de 40% de leur chiffre d’affaires. L’impact sur les emplois a été également brutal : près de la moitié des effectifs a été mise au chômage, selon la même enquête.

« On n’est pas dans la même situation que le tourisme, qui est quasiment à l’arrêt. Mais certaines filières ont perdu jusqu’à 70% de leur chiffre d’affaires », précise David Toledano, président de la Fédération marocaine des matériaux de construction (FMC).

Ciment, acier, béton… Un secteur qui pèse lourd

Le secteur compte plus de 700 entreprises industrielles qui pèsent lourd dans l’économie marocaine. M. Toledano estime le chiffre d’affaires du secteur à plus de 45 milliards de dirhams, avec à la clé plus de 200 000 emplois directs. Sa contribution à la valeur ajoutée est également importante : 14 milliards de dirhams, soit 6,6% du PIB.

« Nous représentons une dizaine de filières : ciment, béton, acier, métallurgie, carrelage, céramique, briques… La relance de l’économie ne peut se faire sans un soutien de ce tissu industriel local », explique David Toledano.

Avec les pertes en chiffre  d’affaires et emplois accusés par le secteur, et le rôle qu’il peut jouer comme locomotive de relance, la Fédération a été fortement impliquée dans la conception du plan de relance économique proposée par la CGEM au gouvernement.

« Nous avons travaillé en coordination avec la Fédération du BTP et de l’ingénierie. Car nos métiers vont ensemble. Comme on dit, quand le bâtiment va, tout va… Nous représentons tous plus d’un million d’emplois », explique le président de la FCM.

Le plan de relance proposé donc par la FCM contient plusieurs mesures, d’ordre financier, fiscal, administratif, budgétaire… Comme l’accélération de la commande publique, la réactivation des chantiers étatiques et des projets de construction, le financement des entreprises à des taux bas, la simplification des procédures administratives, le soutien aux acquéreurs de logements… Ces mesures sont exposées point par point ci-dessous.

Mais les plus frappantes et les plus audacieuses relèvent de l’épineuse question de la protection de l’industrie locale face à la concurrence étrangère. Un sujet qui était au centre des débats au sein de la filière il y a des années déjà et que la crise du Covid-19 remet au goût du jour. Et le rend même encore plus légitime qu’avant.

Du protectionnisme pur et dur pour relancer le secteur

« Notre secteur a été une des grandes victimes des accords de libre-échange et de l’ouverture des vannes des importations. Nous sommes une industrie locale qui produit tous les besoins du pays en matériaux de construction. Nous pouvons assurer une autonomie totale au pays pour ce type de produits et matériaux. Si on veut relancer cette industrie, il est temps de corriger certaines choses. Nous sommes et resterons un pays ouvert aux échanges, mais il s’agit aujourd’hui de la survie de toute une industrie et de la sauvegarde des emplois », souligne David Toledano.

La FMC propose ainsi, comme formulé dans le plan de relance soumis à l’Exécutif, de suspendre les importations, en 2020 et 2021, de tous les produits fabriqués localement. Exit donc la céramique ou le marbre européen, si les producteurs locaux assurent la production de ces matériaux, la FMC estime qu’il faut en bloquer les importations, le temps que le secteur se relève. Idem pour les autres produits fabriqués par la filière : carreaux, acier, tubes…

« Nous pensons que c’est une demande légitime. Tous les pays du monde sont en train de suivre cette politique, de privilégier et protéger leur tissu industriel local. Nous pensons ainsi que certains accords de libre-échange doivent être renégociés voire suspendus dans cette conjoncture », commente Toledano.

Des sanctions pour les opérateurs qui continuent d’importer

La FMC ne s’est pas arrêtée là. En plus du blocage des importations, elle propose d’activer la préférence nationale dans les marchés publics et, surtout, de rendre obligatoire l’utilisation du « made in Morocco » dans les marchés publics et les secteurs qui vont bénéficier du soutien de l’Etat dans le sillage de cette crise. Avec à la clé, des contrôles stricts et des sanctions en cas de non respect de cet engagement.

La Fédération touche ici un point nodal : le ciblage de la commande publique et son orientation. Ce n’est un secret pour personne, beaucoup de marchés publics accordés à des entreprises marocaines ou étrangères sont arrosés par les importations. C’est d’ailleurs l’un des principaux paradoxes de l’économie marocaine, qui fournit un énorme effort d’investissement public mais sans réel impact sur la croissance et l’emploi. A tel point que la commande publique est devenue, comme le soulignait le CESE dans l‘un de ses rapports (rapport sur la commande publique, 2013), une des principales causes du creusement du déficit commercial du pays. La demande de la FMC sur le contrôle de l’utilisation des produits marocains dans les marchés publics est ainsi logique, voire légitime.

Divergences avec les promoteurs immobiliers

Mais cette proposition risque de faire grincer beaucoup de dents, notamment les promoteurs immobiliers, qui sont également ciblés par cette mesure restrictive proposée par la FMC. On le sait, les logements dans le moyen et haut standing, les villas, les hôtels… sont fournis essentiellement en matériaux étrangers, considérés comme plus nobles. Et qui peuvent des fois êtres moins chers que ceux produits localement.

La mesure proposée par la FMC ne concerne, comme formulé dans leur plan, que les entreprises qui bénéficieront du soutien étatique. Autant dire tous les promoteurs qui, eux également, ont fait des propositions de soutien public pour relancer leur activité…

David Toledano nous confie d’ailleurs qu’il y a à ce sujet une divergence d’intérêt avec les promoteurs et leur fédération, la FNPI, qui n’a pas été impliquée, comme la FNBTP ou la FMCI (métiers de l’ingénierie), dans la conception de ce plan sectoriel de relance. Et cela malgré les liens étroits et les intérêts communs qui lient les secteurs des matériaux de construction et celui du logement.

« Nous n’avons pas beaucoup de contact avec la FNPI. Leurs dirigeants veulent garder une certaine liberté d’action. Il y a certaines divergences notamment sur la question de la consommation du produit local. Nous essayons aujourd’hui d’imposer la production des produits locaux alors que les promoteurs veulent avoir la liberté de choisir entre acheter local ou importer », explique M. Toledano.

La question pour l’heure n’est pas tranchée. Et tout dépendra des arbitrages des pouvoirs publics. Un compromis devra être trouvé sur le bon dosage de protectionnisme à mettre en place, pour à la fois protéger le tissu industriel local, sans pour autant priver les acteurs de l’économie de la liberté d’arbitrage dans leur politique d’achat, en fonction des critères de prix et de qualité.

>>>Voici l’ensemble des mesures proposées par la FMC pour la relance des filières industrielles du secteur :

Redémarrage des chantiers

● Renforcer la commande publique par le maintien des grands projets d’investissement BTP et l’accélération de leur ouverture Relancer le secteur immobilier

●Estimer les stocks existants dans le logement social

● Encourager le développement du logement destiné à la classe moyenne (demande importante et ancienne)

● Régionaliser le logement social

● Alléger et fluidifier les procédures administratives

● Instauration des encouragements pour l’acquisition de biens immobiliers

● Faciliter le financement pour les primo-acquéreurs

● Appliquer des mesures fiscales et de financement

Marchés publics

● Systématiser la préférence nationale dans les appels d’offres, en appliquant le taux maximal prévu par l’actuelle réglementation des marchés publics

● Actualiser et systématiser l’application des Cahiers des Prescriptions Communes (CPC) pour le second œuvre des projets lancés par le secteur public

●Allotir le second œuvre pour permettre aux entreprises nationales spécialisées de réaliser directement les travaux

● Accélérer le lancement des appels d’offres travaux de BTP déjà programmés et lancement de nouveaux chantiers d’envergure dans le cadre de la Loi de Finances rectificative, tout en assurant la couverture équilibrée des Régions du Royaume

● Réaménager le code des marchés publics : interdiction formelle d’adjuger les marchés à moins de 25 % de la valeur estimative du marché

● Suspendre les importations, en 2020 et 2021, de tous les produits fabriqués localement

● Rendre obligatoire, avec contrôle et sanction, l’utilisation des matériaux de construction fabriqués localement dans les marchés publics et les secteurs bénéficiaires du soutien de l’État, entre autres, la promotion immobilière

Mesures pour stimuler l’offre

● Redémarrer les plateformes logistiques (revendeurs, distributeurs…)

● Faciliter les déplacements des personnes missionnées à travers le territoire national

●Renforcer le contrôle normatif et qualitatif des produits utilisés dans le bâti

● Suspendre les Accords de Libre-échange défavorables au Maroc

● Lutter contre l’informel comme priorité nationale

● Baisser les coûts de l’énergie (hydrocarbures, gaz et électricité)

Fiscalité

● Déductibilité du montant de la contribution au fonds Covid-19 : prévoir une option pour déduire la totalité de la contribution sur l’impôt de l’exercice 2020

● Baisser les droits d’enregistrement et les frais de la Conservation foncière en faveur des acquéreurs des logements

● Exonérer de la TVA les intérêts bancaires des crédits destinés aux logements sociaux

● Supprimer les taxes parafiscales (TSC) Financement

Financement

● Octroyer des lignes de crédit de fonctionnement, aux industriels, pour alléger leur trésorerie avec une facilitation de l’accès au crédit « Damane Oxygène »

● Reporter les échéances, dans les meilleures conditions, sur l’ensemble des crédits d’investissement

● Mettre en place des produits de lease-back adaptés aux opérateurs de la filière ● Fluidifier les circuits et accélérer les paiements des travaux réalisés pour l’État ● Baisser de manière substantielle les taux d’intérêt appliqués par les banques

● Soutenir financièrement le secteur des Matériaux de Construction pour la reconstitution du fonds de roulement

● Nantir les marchés publics par les banques avant démarrage des travaux

● Libérer les paiements des entreprises et les retenues de garantie bloquées au niveau du trésor public

Assurance-crédit clients

● Suspendre les revues à la baisse et/ou suppression des garanties et favoriser le maintien des couvertures pré-Covid 19 afin de soutenir la reprise du secteur et des livraisons

● Mettre en place un mécanisme de garantie des risques crédit via un organisme national (CCG ou filiales de banques marocaines, assurances)

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