Polémique sur le traitement de l'hépatite C : l’analyse des prix (III)

Les bénéficiaires du RAMED atteints d'hépatite C sont privés de traitement depuis 4 ans alors que celui-ci est disponible et même produit localement à des prix globalement abordables. Dans ce troisième article, Médias24 se penche sur les prix proposés par les différents soumissionnaires aux lots 179 et 180, annulés le 30 octobre par le ministre de la Santé.

Polémique sur le traitement de l'hépatite C : l’analyse des prix (III)

Le 10 décembre 2019 à 16h06

Modifié 11 avril 2021 à 2h44

Les bénéficiaires du RAMED atteints d'hépatite C sont privés de traitement depuis 4 ans alors que celui-ci est disponible et même produit localement à des prix globalement abordables. Dans ce troisième article, Médias24 se penche sur les prix proposés par les différents soumissionnaires aux lots 179 et 180, annulés le 30 octobre par le ministre de la Santé.

L’annulation, le 30 octobre dernier par le ministre de la Santé Khalid Ait Taleb, des lots 179 et 180 relatifs à l’achat des médicaments contre l’hépatite C a ponctué la polémique qui tient en haleine l’industrie pharmaceutique depuis plusieurs semaines sur fond d’échange d'accusations, d'insinuations et de suspicions entre différents acteurs du secteur.

Médias 24 a consacré deux premiers articles à expliquer le contexte de cette polémique et présenter les arguments des deux principaux laboratoires pharmaceutiques, Pharma 5 et Mylan, opposés dans cette affaire.

Les éléments clés de l’affaire

En résumé, voici les principaux éléments de l'affaire :

- L'hépatite C est une maladie à forte prévalence au Maroc (au moins 400.000 à 600.000 malades) et dans le monde. Lorsqu'elle évolue vers la chronicité, cette maladie peut dégénérer vers un cancer.

- En 2015, il y a eu une révolution mondiale en matière de traitement de l'hépatite C, avec la mise sur le marché par le laboratoire américain Gilead du Sofosbuvir, une molécule d'une très grande efficacité. Combinée avec une autre molécule (Daclatasvir ou Velpatasvir), la guérison est assurée à plus de 95%.

- Le coût du traitement lancé par Gilead est prohibitif, allant jusqu'à 1 million de DH.

- Plusieurs pays, avec l'autorisation de Gilead (Inde, Egypte) ou sans son autorisation (cas du Maroc, qui a saisi une faille juridique) sont arrivés à fabriquer un générique. Les deux fabricants marocains sont Pharma 5 et Galenica. Cette prouesse marocaine a permis de faire baisser le coût du traitement de 100 à 200 fois.

- Alors qu’il est disponible sur le marché à des prix globalement accessibles, à ce jour, ce médicament ne bénéficie pas aux ramédistes marocains et n'est pas disponible dans les établissements de santé publique.  

- Plusieurs appels d’offres ont été lancés et annulés entre 2017 et aujourd’hui, dont le dernier sujet de la polémique. 

Nous tenons à rappeler que Médias24 a suivi sans les couvrir les polémiques faites de déclarations, d'accusations, ou de confidences aux médias.

Nous avons essayé de comprendre, de reconstituer et d'aller à l'essentiel. L’essentiel pour Médias 24 c’est :

- La santé du Marocain. Notamment le ramédiste, qui n'a pas accès à ce médicament bien que le ministère dispose depuis 2016 d’un plan stratégique national (PSN) de lutte contre les hépatites virales, pour la période 2017-2021

- La bonne gouvernance, qui semble manquer dans le cadre de ce dossier. L'appel d'offres a été très mal conçu et très mal géré. 

S’il y a un aspect "positif" à retenir de cette affaire où il y a beaucoup à redire, c’est le volet relatif aux prix. Tous les labos ont proposé des prix plus bas que l’estimation du ministère.

Et lorsqu’on est face à un une problématique de santé publique, le prix d’achat des médicaments est primordial. Car plus les prix baissent, plus les soins seront accessibles au plus grand nombre.  

Pour le cas de l'HVC que le Maroc espère éliminer d'ici 2030, on estime le nombre de malades à au moins 400.000.

Selon Telquel Arabi qui a publié quelques données des résultats préliminaires de l’étude de séroprévalence nationale lancée par le ministère en février 2019, les ramédistes atteints du VIH sont estimés à 112.000 personnes.

Les traiter coûterait à l’Etat au moins 1,2 MMDH sur la base des prix publics de la cure disponible actuellement sur le marché.

En lançant un appel d’offres ouvert et transparent, l’Etat fait jouer la concurrence et fait baisser les prix.

Des prix 2 et 3 fois moins élevés

D’abord, il est nécessaire de comprendre comment est fixé le cadre de référence des prix.

Le ministère n’a pas encore répondu aux questions de Médias24. Mais selon les différents acteurs ou experts sollicités, il semble que quand le ministère achète un médicament, le prix estimatif du marché est fixé sur la base du tarif le moins cher qui lui a été soumis dans de précédents marchés.

Lorsque le médicament est acheté pour la première fois, il ne dispose donc pas d’une base comparable dans ses archives. Le ministère se tourne alors vers les prix publics de vente. De ces prix, il déduit le prix hôpital qui servira de prix d’estimation. 

Pour le cas de l’anti-hépatite C, le ministère n’avait pas d’anciens marchés en référence, il s’est donc basé sur les données publiques.

Selon des données, non officielles, que nous avons pu obtenir de sources de marchés, le ministère a fixé le prix estimatif unitaire HT comme suit :

Pour le lot 179, trois soumissionnaires ont répondu à l’appel d’offres :

-  Pharma 5

-  Galenica

-  Kemipharm

 

Pour le lot 180, deux soumissionnaires ont répondu à l’appel d’offres :

- Mylan

- Afric Phar

Sur la base de ces données, Mylan remporte le lot 180.

Le lot 179 est quant à lui remporté, dans un premier temps, par Kemipharm, car c’est le moins-disant. Des sources proches de la société Kemipharm nous assurent que cette dernière était attributaire du marché jusqu'à la dernière semaine avant son annulation. "Ils ont été écartés, car il leur manquait un document administratif (en termes de pouvoirs du président) dans le complément de dossier demandé aux attributaires du marché", nous affirme-t-on. Kemipharm ne conteste pas la décision du ministère.

Suite à cela, le marché a été attribué au second moins-disant : Pharma 5.  

De son côté, Mylan propose la boîte de 28 comprimés à 1.750 DH, soit près de la moitié du prix estimatif. Le traitement de 3 mois reviendrait à 5.250 DH.

Pour Pharma 5, les prix estimatifs sont divisés par plus de trois. Le total par prise est de 35,30 DH (deux comprimés). Les deux boites du traitement remontent à 988,6 DH. Le traitement de 3 mois reviendrait à 2.965 DH.

Avec Kemipharm, la cure, fabriquée localement à en croire nos sources, aurait coûté à l’Etat, un peu plus de 2.500 DH pour les trois mois. 

Des prix anormalement bas ?

Pharma 5 reste fidèle à sa ligne et commente cette question des prix en ces termes: "Quand on découvre les prix, on constate que l’association importée est en effet moins chère que les prix estimatifs, mais elle reste deux fois plus chère que l’association fabriquée localement alors que les deux sont équivalentes en termes d’efficacité et de sécurité".

Que répond Mylan ? "Le prix public de vente de notre produit est moins élevé que les deux produits combinés. Maintenant lorsqu'on va à l’appel d’offres, nous ne sommes pas supposés savoir avant l’ouverture des plis qui va soumissionner et à combien… Par contre, on peut se baser sur le prix budgété par le ministère de la Santé. Il a estimé que notre produit vaut 3.000 DH et nous avons soumissionné à 1.750 DH. Il se trouve que Pharma 5 a cassé les prix. Galénica qui a le même produit que Pharma 5 a proposé un prix proche du nôtre. Pour quelle raison Pharma 5 a-t-elle cassé les prix ?", s’interroge le management de Mylan.

Est-il vrai que Pharma 5 a cassé les prix ? Ou bien est-ce que le prix de vente en officine est démesurément élevé ?

Pharma 5 s’explique. Elle justifie les prix bas dans les appels d’offres par rapport aux marchés privés par :  

- les quantités fabriquées. "Quand on fabrique en étant certain d’écouler les quantités données à une date fixée à l’avance, on lance une seule campagne de production, ce qui nous coûte nettement moins cher que d’arrêter la machine, la nettoyer, remettre un autre produit, la redémarrer…", affirme Meriem Filali Lahlou.

- Les prix d’achat des matières premières nettement inférieurs (effet de la quantité).

- Suppression des marges de la distribution (grossistes et officines).

- Suppression des coûts marketing et commerciaux. "Nous n’avons pas la force de vente derrière, ni la promotion à faire sur le marché. La promotion, seule, représente un pourcentage énorme sur notre chiffre d’affaires", affirme la directrice générale de Pharma 5.

Pour Kemipharm qui affiche les prix les plus bas, nos sources attribuent cette baisse à la force de frappe dont dispose l'Egyptien pour l'achat des matières premières. "Le purchasing des matières premières est centralisé en Egypte pour les différents marchés, ce qui permet à l'opérateur égyptien d'avoir des quantités beaucoup plus importantes et négocier des prix très compétitifs".

S’il y a une seule chose à retenir, indépendamment des défaillances qui ont entaché cet appel d’offres, c’est que le ministère peut à l’avenir prétendre soigner davantage  de malades avec le même budget alloué dans le cadre de l’appel d’offres annulé.

Sur la base des prix qui ont été détaillés plus haut, deux à trois fois plus de patients pourront accéder aux traitements.

C’est la fourchette basse, car les prix pourraient davantage baisser l’année prochaine à la faveur de la baisse des matières premières.   

Cela étant, il reste une question essentielle à laquelle le ministère ne répond pas: à quand le nouvel appel d'offres ?

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

REIM Partners: l’OPCI « SYHATI IMMO SPI »

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.