Derby Casablancais: le spectaculaire dialogue des tifos

Pitchou, "La cantatrice chauve", "Game of Thrones"… Samedi 2 novembre 2019, les Ultras casablancais se sont affrontés dans les gradins du Stade Mohammed V à grands coups de références culturelles et historiques. Un show impressionnant dont les images ont déjà fait le tour du monde.

Derby Casablancais: le spectaculaire dialogue des tifos

Le 4 novembre 2019 à 13h18

Modifié 11 avril 2021 à 2h43

Pitchou, "La cantatrice chauve", "Game of Thrones"… Samedi 2 novembre 2019, les Ultras casablancais se sont affrontés dans les gradins du Stade Mohammed V à grands coups de références culturelles et historiques. Un show impressionnant dont les images ont déjà fait le tour du monde.

A Casablanca, les derbys ne se jouent pas sur la pelouse, mais dans les gradins. Et celui qui s’est joué ce samedi 2 novembre n’a pas dérogé à la règle.

Lors de ce match aller des huitièmes de finale du Championnat arabe des Clubs, renommé cette année Coupe Mohammed VI, les deux clubs de Dar Beida ont donné à voir un jeu mou. Un voyage au bout de l’ennui. Peu d’occasions franches, phases déstructurées, décousues… Circulez, il n’y a rien à se mettre sous la dent. 

C’est donc sans surprises que le derby s’est achevé par un match nul (1-1). Tout reste à jouer lors du match retour le 23 novembre, avec un léger avantage au WAC, qui peut se contenter d’un 0-0 pour passer aux quarts de cette nouvelle compétition aux juteuses primes (7,5 millions de dollars pour le vainqueur, 4 pour le finaliste).

Foot, culture, et cætera

Mais heureusement, comme c’est souvent le cas lors des derbys, le spectacle a été sauvé par les ultras du Raja et du Wydad: ces rois des tribunes ont rivalisé d’ingéniosité une fois de plus pour se clasher par images interposées. Et les 45.000 supporters présents au Stade Mohammed V ce jour-là en ont eu plein les yeux.

Insihab: l’arroseur arrosé

En effet, ce samedi soir, les "artistes" des Winners comme des Eagles ont sorti le grand jeu, se sont surpassés et ont usé de références historiques et culturelles, parfois sinueuses, pour exprimer leur humeur du moment.

Et celle qui tenait le plus que tout au cœur des Wydadis cette fois, c’était de répondre aux attaques des Rajaouis, qui n’ont eu de cesse de les chambrer depuis la fameuse finale de la Champions League africaine Espérance de Tunis-WAC. Une rencontre, on s’en rappelle, où les rouges et blancs avaient choisi de se retirer du match pour protester contre l’arbitrage. Mais qui n’était pas du goût des Rajaouis, dont certains l'ont qualifié "d'acte suprême de lâcheté, indigne d’une grande équipe".

C’est ainsi que les winners ont déployé un immense tifo 3D représentant l’ancienne gloire du foot casablancais, Mustapha Choukri alias Pitchou, en maillot rouge, assis sur un ballon. Loin d’être un simple hommage à l’ancienne star du Wydad passé également par le Raja, il s’agit d’une réponse du tac au tac aux piques du public rajaoui sur l’insihab.

En effet, la scène représentée fait référence à un vieux derby, celui de 1978. Un match au scénario similaire à celui de Radès, la VAR en moins. A l’époque, le Raja avait décidé de se retirer de la rencontre en protestation contre l’arbitre… laissant les joueurs du Wydad en suspens, seuls sur la pelouse. Le message est clair: en matière d’insihab, les Verts ont été pionniers et n’ont de leçons à donner à personne. Pas même au Wydad.

Le compte Twitter Culture Foot a fait un excellent thread sur l’histoire de ce match et ce que représente le tifo des winners. Nous le reproduisons ici:

DEBUT DU THREAD

"En 1978, lors d’un Derby Raja - Wydad, alors que les Wydadis menaient 1-0, le gardien de but du Raja Najib Mokhles commet une faute sur un attaquant adverse".

"L’arbitre siffle un penalty, Najib Mokhles est expulsé alors que le Raja avait déjà effectué ses deux changements autorisés à l’époque. Abdelmajid Dolmi se prépare à prendre la place de Mokhles dans les cages mais ne trouve pas un maillot d’une couleur différente".

"Les joueurs du Raja contestent la décision de l’arbitre. Un joueur du Wydad offre un maillot rouge (la couleur du Wydad) à Dolmi, la tension monte d’un cran. Mustapha Choukri, Pitchou, un ancien du Raja et à l’époque joueur du Wydad, se prépare à tirer le penalty".

"M’hamed Fakhir demande à ses coéquipiers de regagner les vestiaires. Chose faite, les joueurs du Raja refusent de poursuivre le match. Il restait encore une vingtaine du minutes à disputer".

"Les joueurs du Wydad, eux, sont restés sur le terrain. L’attente fût longue et Mustapha Choukri, connu sous le nom de Pitchou, s’assoit sur le ballon comme le montre le tifo des Wydadis".

"Match interrompu, la FRFM décide quelques jours après de considérer le Wydad vainqueur".

"Petite remarque. Pitchou, formé au Raja, a endossé le maillot de son club d’enfance pendant 9 ans sans gagner le moindre titre. Avec le Wydad, qu’il avait rejoint en 1975, il a remporté 2 championnats et 2 coupes".

"Autre remarque. Najib Mokhles, le gardien expulsé lors de ce derby 1978, nie que le Raja était mené au score. Selon lui, le tableau indiquait un score d’égalité un partout".

FIN DU THREAD

L’arroseur arrosé. C’était donc le sens de ce tifo wydadi, qui ne sera pas le dernier de la rencontre.

Le tifo par l’absurde

Pendant ce temps-là, côté Magana, les Rajaouis sont allés chercher loin, très loin, leur message du jour: une affiche de "La cantatrice chauve", célèbre pièce de théâtre d’Eugène Ionesco.

La référence est pour le moins alambiquée, un peu trop recherchée et pour beaucoup incomprise, y compris dans les rangs des Eagles.

Dans cette pièce, monument incontournable du théâtre de l’absurde, l’auteur roumain avait tenté de représenter ce qu’il percevait comme des incongruités et incohérences dans la langue anglaise, qu’il trouvait absurde, à travers des répliques et des dialogues aléatoires, abstraits, ne répondant à aucun enchaînement logique.

Mais quel lien avec le derby, le Raja, le Wydad ? Quel message les Eagles ont-ils voulu passer ?

Interpellés depuis samedi soir sur le sens du tifo, les Eagles n’ont pas encore réagi de manière officielle.

Un journaliste sportif, grand supporter du Raja, nous explique que personne ne comprend véritablement le message, mais s’essaie tout de même à une interprétation.

"Peut-être que les concepteurs du tifo ont voulu dire aux Wydadis que leur épopée célébrant Wydad al Oumma et son rôle dans la résistance, est absurde et n’obéit à aucune logique ou vérité historique", nous explique-t-il. Oui peut-être.

L’absurde est en effet le moteur de la pièce de Ionesco. L’analogie avec le Wydad, son discours, son récit historique, son palmarès (très contesté par le Raja), peut en effet s’apparenter à un "clash". Mais pour le coup très subtil. Un clash "sophistiqué", dont la sémiologie dépasse les frontières du stade et du monde souvent abrupt du foot.

Ou peut-être que les Rajaouis ont-ils voulu signifier aux Wydadis que leur équipe est certes un monument. Mais un monument de l’absurde. Comme la pièce de Ionesco ?

Mais si le tifo des verts peut prêter à confusion, il faut lui reconnaître au moins une qualité : celle d’avoir introduit de la culture (avec un grand C), dans les stades. A l’issue de ce derby, une chose est sûre : les fans de foot marocain, rajaouis comme wydadis, connaissent tous désormais "La Cantatrice chauve" de Ionesco. Et rivalisent même d’interprétations, au café comme sur les réseaux sociaux, quant au sens profond de la pièce, sa genèse, les intentions de l’auteur…

Inconnue du public marocain qui n’a peut-être jamais eu l’occasion de voir la reproduction de la pièce sur les planches nationales, "La cantatrice chauve" a fait une entrée fracassante dans la culture populaire marocaine, et par une insoupçonnable porte: celle du foot. Ou comment les Eagles ont réussi tout ce que les campagnes culturelles n’ont pas su faire : intéresser les gens au théâtre.

Un dragon pour la fin

Mais alors que la majorité des matchs de foot se contentent des deux tifos du début de la rencontre, ce samedi, le public casablancais a eu droit à un bonus de la part des winners.

Visiblement très inspirés et très entreprenants, les Ultras wydadis avaient préparé un deuxième tifo, qu’ils ont déployé en début de seconde période: un dragon inspiré de la série " Game Of Thrones" qui met le feu au stade, accompagné d’un craquage géant de fumigènes. En mouvement, la bête tient la coupe de la compétition et traverse le virage du Wydad.

L’effet est spectaculaire. Il fait le tour du monde. La vidéo de cette animation a d’ailleurs été saluée par les plus grands journaux sportifs, d’Eurosport, à So Foot en passant par RMC Sport.

Le sens ici est clair, direct: les winners veulent la coupe Mohammed VI et la grosse prime qui va avec.

Une manière de défier leur rival historique, le Raja. Ça promet pour le match retour…

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