Condition de la femme: Les promesses de la Constitution ont été trahies

Alors que la planète s’apprête à célébrer la journée de la femme, la réalité socio-économique du Maroc montre que la moitié de sa population n’est pas suffisamment valorisée. Depuis 2003, date d'élaboration de la réforme de la Moudawana, la tendance est à la régression de leurs droits et à l’essoufflement croissant du mouvement féministe.

Condition de la femme: Les promesses de la Constitution ont été trahies

Le 6 mars 2017 à 16h56

Modifié 11 avril 2021 à 2h39

Alors que la planète s’apprête à célébrer la journée de la femme, la réalité socio-économique du Maroc montre que la moitié de sa population n’est pas suffisamment valorisée. Depuis 2003, date d'élaboration de la réforme de la Moudawana, la tendance est à la régression de leurs droits et à l’essoufflement croissant du mouvement féministe.

Comme chaque année à l’occasion du 8 mars, certaines entreprises se sentiront obligées de mettre les petits plats dans les grands pour vanter la place accordée à celles qui constituent une partie importante de leur clientèle.

Au-delà de ces pratiques folkloriques qui verront tel transporteur offrir 888 billets gratuits aux voyageuses, les opérateurs téléphoniques proposer leurs produits de couleur rose, des restaurants réserver un apéritif gratuit à leurs clientes, il importe de s’interroger sur le sens de cet événement au Maroc sachant que l’émancipation de la moitié de sa population n’est pas vraiment une priorité nationale.

Les opposants à cette manifestation ponctuelle la surnomment d’ailleurs comme "la journée de l’infâme" qui prend prétexte de célébrer la femme pour des raisons bassement commerciales.

Les femmes de moins en moins intégrées à l'économie

Malgré la Constitution de 2011 qui a instauré l’égalité des genres, les chiffres du HCP montrent que l'intégration des femmes ne fait que reculer. Ainsi, le taux d’activité féminin est passé de 17,6% en 2004 à 14,7% en 2014 et le taux de chômage a bondi de 25,5% à 28,3% en une décennie.

Plus significatif encore, les femmes sortent massivement du marché du travail. Malgré la hausse de leur taux de scolarisation, le taux de féminisation de la population active stagne aux alentours de 27% depuis l'an 2000. En 2016, il est tombé à 26,3%.

Certains expliquent la faiblesse de ces taux par la crise ou par la durée des études qui s’allonge et reporte leur arrivée sur le marché du travail mais même quand elles travaillent, les femmes restent cantonnées à des tâches ingrates et sont encore trop peu nombreuses à occuper des responsabilités importantes.

Selon un rapport édifiant de 2015 du ministère marocain de la justice, sur les 211 postes de responsabilité que comptent les juridictions, seuls 11 sont occupés par des femmes soit une représentativité de 5,21% sachant que le Maroc compte 1.000 magistrates.

La régression est surtout perceptible dans les pratiques sociales et la mentalité dominante qui s'est emparée de la société, phénomène qui s'est accentué depuis 2011.

Au lendemain de ce millénaire, la régression est devenue de plus en plus visible avec l’apparition et la banalisation croissante d’actes misogynes sur les plages (filles en bikini apostrophées, langage fleuri …), ou sexistes dans certaines villes (affaire des jupes d’Inezzagane …). 

Ce phénomène qui s’étend de plus en plus dans les petites villes ne saurait cependant continuer à épargner les grands centres urbains qui sont tous administrés par le parti ultra-conservateur (PJD).

Malgré les dénégations de son leader qui nie toute tentative d’islamisation ou d’idéologisation de la société, la tendance s’est indéniablement accélérée depuis que le PJD a pris la tête du gouvernement.

Il faut dire que depuis 2011, le triomphe croissant du parti de la lampe aux derniers scrutins a littéralement paralysé le courant libéral. Malgré leur crédo progressiste, des partis comme l’USFP ou le PPS semblent en effet avoir mis de côté la défense de la cause féminine dans leurs programmes.

C’est comme si depuis la promulgation de la Moudawana en 2004, tout les acteurs politiques avaient baissé les bras et que plus rien ne peut être fait pour que l’égalité hommes-femmes devienne une réalité.

L'implacable réquisitoire du CNDH

En octobre 2015, le CNDH publie un rapport retentissant au sujet de la parité.

Trois ans après son entrée en vigueur, la mise en œuvre de la Constitution a été marquée par une évaporation progressive des promesses constitutionnelles.

"Aujourd’hui, nous sommes dans une situation paradoxale. C’est comme si la nouvelle Constitution n’avait jamais été adoptée. Le fait de rédiger cette nouvelle Constitution ne doit pas être considéré comme un objectif en soi mais plutôt comme un moyen de faire bouger les choses," écrit le CNDH dans son rapport.

Le constat touche quasiment tous les domaines. A titre d'exmple:

-La part des accouchements assistés par un personnel de santé qualifié ne dépasse pas (en 2014) 63% (contre 74% pour les pays à niveau de développement comparable) tout comme le taux de mortalité maternelle qui est l’un des plus élevés de la région MENA.

-Il dénonce l’impunité et la légitimation des violences, la persistance des stéréotypes fondés sur le genre

-Les femmes restent les plus touchées par l’analphabétisme (37% des femmes contre 25% pour les hommes) et les rurales encore davantage (55% des femmes contre 31% pour les hommes).

Deux militantes féministes témoignent

Jointes par Médias24, la juriste Fatna Sarehane et l’ancienne députée PPS et ex-ministre de la femme et de la famille Nouzha Skalli confirment la régression sociétale et la démobilisation du gouvernement.

Pour Fatna Sarehane, la journée de la femme permettra de rappeler aux acteurs politiques et sociaux l’importance de cette cause qui stagne voire régresse dans certains cas de figure.

"Cette célébration est l’occasion de faire le bilan avec nos acquis et tout ce qui reste à accomplir. L’inertie du gouvernement sortant n’a pas traduit en textes réglementaires l’esprit de la Constitution qui a consacré l’égalité des genres.

"Vu son référentiel idéologique, le PJD est le principal responsable mais d’autres partis de sa coalition n’ont pas brillé par leur progressisme. C’est le cas du PPS qui a proposé une loi pour régir le travail domestique (qui concerne surtout le sexe féminin) en le légalisant à partir de 16 ans. Ce n’est que devant l’émoi de la société civile, qu’il a introduit une disposition pour faire passer l’âge à 18 ans dans 5 ans.

"A défaut d’avoir des acteurs politiques qui font une priorité de la cause féminine, la mobilisation de la société civile est donc payante", précise la juriste engagée.

Militante infatigable, Nouzha Skalli avance que si la situation a changé, elle n’est cependant "pas joyeuse" pour les Marocaines qui doivent se battre contre l’hégémonie sexiste de la société marocaine.

"En 1993, nous sommes partis de pratiquement zéro droits mais malgré les avancées, notre frustration reste grande car la Moudawana qui se fait âgée n’a toujours pas été mise en adéquation avec la Constitution.

"Depuis 2011, nous étions en droit d’espérer la création d’une vraie autorité pour la parité et la lutte contre les discriminations et une loi qui punisse efficacement les auteurs de violence contre les femmes. Rien de tout cela n’a vu le jour à cause de l’idéologie rétrograde qui prédomine au sein du gouvernement et encourage indirectement des formes de violence inédites qui se développent au Maroc (battre sa femme en public ou la tuer sous l’accusation d’adultère).

"A-t-on jamais vu Abdelilah Benkirane dire publiquement que les femmes étaient les égales de l’homme?", conclut-l’ancienne ministre. 

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