Sahara: les conclusions de l'avocat européen “vont in fine dans le sens du Maroc” selon une juriste

Après que l'avocat général de la Cour de justice européenne a rendu ses conclusions le 16 septembre dernier, au sujet de divers accords entre le Maroc et l'Europe, les mouvements séparatistes ont crié victoire. Peut-être avec trop d'empressement, à en croire la juriste Marie-Sophie Dibling, avocate aux barreaux de Paris et de Bruxelles.

Sahara: les conclusions de l'avocat européen “vont in fine dans le sens du Maroc” selon une juriste

Le 22 septembre 2016 à 13h08

Modifié 22 septembre 2016 à 13h08

Après que l'avocat général de la Cour de justice européenne a rendu ses conclusions le 16 septembre dernier, au sujet de divers accords entre le Maroc et l'Europe, les mouvements séparatistes ont crié victoire. Peut-être avec trop d'empressement, à en croire la juriste Marie-Sophie Dibling, avocate aux barreaux de Paris et de Bruxelles.

L’avocat général de la Cour de justice européenne (CJUE) a recommandé le 16 septembre, de rejeter le recours en annulation introduit par le "polisario" contre l’accord agricole Maroc-UE. Dans ses conclusions rendues devant la grande Cour, l’avocat général recommande également d’annuler l’arrêt du tribunal de l’UE rendu le 10 décembre dernier. En d’autres termes, l’avocat général recommande le retour à la situation antérieure concernant l’accord agricole Maroc-UE.

L’avocat général Melchior Wathelet a présenté ses conclusions ce mardi 13 septembre. Il formule dans ses recommandations, trois conclusions essentielles :

- d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2015 (T-512/12, EU :T :2015 :953), par lequel celui-ci a annulé la décision 2012/497/UE du Conseil, du 8 mars 2012, concernant la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche, au remplacement des protocoles n°1, 2 et 3 et de leurs annexes et aux modifications de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les communautés européennes et leurs Etats membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autres part, en ce qu’elle approuve l’application de cet accord au Sahara occidental ;
- de rejeter le recours en annulation du polisario comme irrecevable ;
- de condamner le polisario aux dépens exposés par le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne, tant en première instance qu’au stade de pourvoi.

Il faut toutefois noter qu’il ne s’agit encore que de recommandations de l’avocat général, sur lesquelles la Grande Chambre de la CJUE ne s’est pas encore prononcée. La décision finale devrait intervenir en octobre.


Ci-dessous, Marie-Sophie Dibling, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles, associée au cabinet d'avocats d'affaires Sayarh & Menjra (Casablanca), en charge du trade et du droit international, apporte des éléments de réponses techniques. Des réponses éloignées du storytelling entretenu par les indépendantistes au lendemain du rendu des conclusions de l'avocat général.


Médias 24: Après le rendu des conclusions de l'avocat général, quel est le "prochain round"?

Marie-Sophie Dibling: Dans le cadre d’une procédure d’appel devant la Cour de justice de l’Union européenne, le rôle des avocats généraux est d’assister la Cour, en présentant un avis juridique dans les affaires dont ils sont saisis.

Ces conclusions sont données en toute impartialité et en toute indépendance aux juges de la Cour. Il est important de noter que ces conclusions ne lient par la Cour de justice, qui in fine est maîtresse de sa décision.

La prochaine étape est le "round final". Les juges ont commencé à délibérer et vont rendre un arrêt. Dans le cas présent, l’affaire est soumise à une procédure accélérée. Dès lors, on peut s’attendre à ce qu’un arrêt soit rendu rapidement, allant normalement de un à trois mois.

- Dans ses conclusions, l'avocat général semble sous-entendre que le "polisario" ne représente pas l'ensemble des populations du Sahara. Quelles sont les conséquences?

- L’avocat général rend un avis juridique. Dans cette affaire, l’avocat général recommande de rejeter le recours du Front Polisario, précisément parce qu’il n’est pas reconnu par la communauté internationale comme étant le représentant des populations du Sahara et encore moins comme étant habilité à défendre les intérêts commerciaux des Sahraouis et n’est donc pas directement et individuellement concerné par la décision litigieuse. Cette argumentation va être examinée par les juges de la Cour de justice, mais ces conclusions ne les lient pas.

- La décision de l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne semble réjouir les partisans de la cause séparatiste, mais ont-ils vraiment de quoi se féliciter?

- L’avocat général Wathelet recommande, dans ses conclusions, l’annulation de l’arrêt du Tribunal du 10 décembre 2015. Il recommande également de rejeter le recours du "polisario" pour cause d’irrecevabilité.

Ses propos sont, on ne peut plus clairs: le Front Polisario n’est pas directement et individuellement concerné par la décision litigieuse pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas reconnu par la communauté internationale comme étant le représentant des populations du Sahara occidental et encore moins comme étant habilité à défendre les intérêts commerciaux de ces populations.

Il n’y a donc pas de quoi se réjouir pour les partisans de la cause indépendantiste. S’il est vrai que certains aspects des conclusions de l’avocat général - comme par exemple le fait de considérer, sur base d’une lecture stricte du droit international, que le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Maroc - pourraient être utilisés à mauvais escient par les indépendantistes, il reste que l’avocat général adopte une position ferme à l’encontre de la partie à l’origine de ce contentieux.

-Que signifie la précision "il n’est pas exclu que l’Espagne, ancien colonisateur de ce territoire, détienne encore des responsabilités..." ?

- Le postulat de base de l’avocat général est de considérer que selon le droit international, le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Maroc et que, partant, ni l’accord d’association UE-Maroc, ni l’accord de libéralisation ne lui sont applicables. C’est sur cette base que le recours serait irrecevable.

C’est seulement de manière subsidiaire que l’avocat général relève que le recours est irrecevable car le Front Polisario n’est pas directement et individuellement concerné par la décision litigieuse. C’est un raisonnement un peu alambiqué.

On peut légitimement se demander si toute cette argumentation - y inclus la référence à la position de l’Espagne dans cette problématique complexe - était réellement nécessaire et si les choses n’auraient pas pu être présentées différemment. Les conclusions de l’avocat général servent souvent à dire ce qui ne sera pas dit après. Des clins d’œil sont peut-être passés.

Il faut donc espérer que la Cour, non seulement suive l’avis de l’avocat général d’annuler la décision du Tribunal, mais se montre peut-être également plus "économe" dans son argumentation.

- Le fait que le Maroc soit considéré comme puissance "administrante" peut-il être avantageux?

- Il serait étonnant que la Cour se lance dans le débat de la puissance "administrante" et de sa capacité ou non à appliquer les accords signés sur les territoires administrés. S’il est clair que le postulat sur lequel est parti l’avocat général et l’application du droit international sur cette question ne peuvent satisfaire la position marocaine, il faut aller au-delà et garder à l’idée que ces conclusions vont in fine dans le sens du Maroc.

A nouveau, il faut espérer que la Cour se limite, autant que possible, à faire l’économie de ce qui est strictement nécessaire.

- Le Maroc peut il encore prouver que les accords commerciaux sont bénéfiques aux populations sahraouies?

- Ce n’est pas la question. Aujourd’hui, il existe un "vide", une "déconnexion" entre un droit international qui existe, mais qui est complètement dépassé par rapport aux réalités actuelles. Dans l’intérêt des populations, c’est donc ce débat au niveau international qui devrait reprendre, pour que ce vide cesse de leur porter préjudice.

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