Officialisation de la langue amazighe: Médias 24 vous donne la parole

La loi organique sur l’amazigh doit impérativement être adoptée avant la fin de l’actuelle législature. C'est l'occasion de revenir sur les enjeux du bilinguisme marocain, qui est l'une des grandes innovations de la Constitution de 2011. 

Officialisation de la langue amazighe: Médias 24 vous donne la parole

Le 2 février 2016 à 16h55

Modifié 2 février 2016 à 16h55

La loi organique sur l’amazigh doit impérativement être adoptée avant la fin de l’actuelle législature. C'est l'occasion de revenir sur les enjeux du bilinguisme marocain, qui est l'une des grandes innovations de la Constitution de 2011. 

Après un demi-siècle d’arabité quasi-exclusive, l’article 5 de la Constitution de 2011 a introduit «l'amazigh comme langue officielle de l'État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains, sans exception».

Le projet de loi organique devra «définir le processus de mise en oeuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l'enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle» (alinéa 4).

Pour comprendre les enjeux, il importe de définir en premier lieu l’officialisation d’une langue qui implique son utilisation dans l’administration et les services d’institutions publiques d’un pays ou d’une région dans leur contexte socio-linguistique.

Canada, Belgique, Suisse...

Plusieurs autres pays à travers le monde pratiquent le bilinguisme voire le trilinguisme officiel, mais en règle générale, cette situation se cantonne plus à une utilisation régionale que nationale.

Au Canada, la loi proclame l’anglais et le français comme langues officielles de l’Etat fédéral. Leur usage comme langues de travail est permis dans certaines régions comme le Québec. Les citoyens peuvent être entendus dans la langue de leur choix devant un tribunal et à Montréal, les étudiants peuvent même répondre en français à des épreuves écrites ou orales posées en anglais. L’Etat fédéral facilite ainsi la tâche aux non-anglophones minoritaires.

Concernant la Belgique, qui est trilingue (néerlandais, français, allemand), l’utilisation et la banalisation des langues officielles dépendent surtout des trois grandes régions du pays. L’Etat fédéral permet à chacune des trois communautés linguistiques (wallonne, flamande et bruxelloise) de cohabiter, même s’il ne s’occupe pas de leurs compétences.

En Suisse, le plurilinguisme est encore plus prononcé avec trois langues officielles (allemand, français et italien). Dans les faits, l’utilisation de ces langues est plus régionale que nationale, car la Constitution se contente de garantir l’égalité linguistique, la liberté des citoyens en matière de langue et la protection des langues minoritaires.

Pour se rapprocher du modèle auquel aspire le Maroc, il faut se rendre en Inde où dans certains Etats, coexistent deux langues officielles dont le hindi est l’équivalent de l’arabe et d’autres langues comme l'Ourdou (ou Bengali, Penjabi …).

Ce qui a été fait et ce qu'il reste à accomplir au Maroc

Depuis 2003, l’amazigh fait une entrée timide dans certains manuels scolaires et sur la place publique. Malgré un retard certain, on voit de plus en plus de panneaux en tifinagh sur certains édifices publics, autoroutes, documents…

Au niveau des médias, hormis une station radio qui existe depuis une vingtaine d’années, la chaîne télévisée «Tamazight 8» (SNRT) a vu le jour en 2010 et l’agence de presse MAP a suivi le mouvement avec un fil d’information en caractères tifinagh.

Malgré cela, le Maroc a encore du chemin à faire avant de standardiser la langue amazighe pour la mettre au même niveau que l’arabe, qui reste la langue de référence des Marocains.

-Etablissement de documents administratifs en amazigh, rapports d’institutions officielles, Parlement, Bulletin officiel.

-reconnaissance des plaidoiries et jugements en amazigh.

-usage dans les services et établissements qui rendent un service public (santé …).

-enseignement à tous les Marocains, y compris MRE (primaire, secondaire, supérieur, établissements de formation professionnelle)

-concours d’accès à la fonction publique et aux établissements d’enseignement avec des épreuves en amazigh.

-Signalétique des établissements publics et sur la voie publique, monnaie, timbres …

Que pensent l’IRCAM et les associations amazighs du processus actuel?

Afin de faire participer à la rédaction du texte de loi organique les acteurs de la société civile, le chef du gouvernement les a invités à lui envoyer dans une boîte mail leurs suggestions entre le 15 janvier et le 15 février prochain.

La loi sur l’amazigh doit être adoptée avant la fin de la législature actuelle, car la Constitution stipule que le gouvernement doit adopter toutes les lois organiques en souffrance avant la fin de son mandat, qui expire le 7 octobre prochain (date des élections législatives).

Joint par Médias 24, Ahmed Boukous, recteur de l’IRCAM, pense que la consultation politique des Marocains (ONG, associations, institutions …) lancée par le chef du gouvernement est une démarche louable, mais qu’au vu de l’importance de cette loi, le sondage par mail est singulier.  

«A propos de la loi sur la régionalisation ou la réforme du système judiciaire, le gouvernement a constitué des commissions, qui ont débattu sur la base d’une plate-forme consensuelle. Nous aurions dû suivre ces modèles, au lieu d’effectuer une consultation par mail».

Concernant le contenu de la future loi organique, Ahmed Boukous pense qu’il est utile de s’ouvrir sur les bonnes pratiques internationales, mais avance que l’on ne peut pas plaquer ces modèles au cas marocain, car les conditions sont différentes.

«Le modèle suisse n’est pas transposable, car l’effectivité de la reconnaissance linguistique est régionale. Le Maroc a fait en 2011 le choix courageux du bilinguisme à portée nationale».

Malgré son coût financier, il énonce que ce choix est moins important que le coût politique, car il en va de la cohésion sociale du Maroc, où la communauté amazighe s’est sentie délaissée par plusieurs décennies d’arabité quasi-exclusive.

«Nous ne partons pas de zéro, car depuis quinze ans, nous avons formé des gens, mais ce sera un processus de longue haleine, pour faire aboutir un modèle proprement marocain».

Interrogé sur le retard de mise en œuvre du processus de standardisation, le recteur pense que malgré certains blocages idéologiques, la normalisation de l’amazigh deviendra une réalité dans l’avenir, même s’il refuse de se prononcer sur un calendrier précis.

Meryam Demnati, de l’Observatoire amazigh des droits et libertés (OADL) se désole du fait que ni son mouvement ni les autres associations n’aient été consultés par le gouvernement pour faire aboutir le projet de loi organique.

«Nous exigeons une commission où nous serons représentés, comme celle qui a été constituée pour le Conseil national des langues. Au lieu de traiter cette loi avec respect, Benkirane nous propose une consultation par mail. On doit cette démarche à sa réticence à normaliser l’amazigh. Il aurait aimé que cette langue ne soit jamais au même niveau que l’arabe, mais la volonté royale et celle du peuple l’en ont empêché».

Notre interlocutrice affirme que sans formation des fonctionnaires publics (tribunal, santé …), l’amazigh ne pourra pas devenir une langue officielle au même titre que l’arabe.

«Nos priorités sont de mettre l’accent sur l’amazighité dans l’enseignement et les médias. Le ministre de l’Education doit mettre en place un vrai programme de formation des enseignants en amazigh, car actuellement, c’est une catastrophe en termes de délais.

«Au niveau des médias, nous sommes cantonnés à la seule TV8, alors la HACA est censée obliger toutes les télévisions à diffuser au moins 30% de leurs programmes en amazigh».

«S’il y a une vraie volonté politique, on peut même un jour imaginer qu’un policier dressera les amendes en amazigh, car il en va des droits de cette composante essentielle du Maroc. Pourquoi les Amazighs parlent-ils l'arabe, alors que les tenants de l’arabité refusent l’amazigh?».

Elle conclut qu’il faudra au moins vingt ans pour réaliser la standardisation de la 2e langue officielle, qui a été dévalorisée et marginalisée depuis l’indépendance du Maroc en 1956. 

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