Exclusif. Les chantiers du nouveau patron du cinéma marocain

Le nouveau directeur du Centre cinématographique marocain, Sarim Fassi Fihri a accordé une interview à notre rédaction et qui répond aux questions que se pose la profession. Il s’y est prêté de bonne grâce sur un ton détendu qui ne cache pas une connaissance pointue des dossiers évoqués. Une interview sans complaisance et sans langue de bois.  

Exclusif. Les chantiers du nouveau patron du cinéma marocain

Le 16 octobre 2014 à 18h31

Modifié 16 octobre 2014 à 18h31

Le nouveau directeur du Centre cinématographique marocain, Sarim Fassi Fihri a accordé une interview à notre rédaction et qui répond aux questions que se pose la profession. Il s’y est prêté de bonne grâce sur un ton détendu qui ne cache pas une connaissance pointue des dossiers évoqués. Une interview sans complaisance et sans langue de bois.  

Une fréquentation en chute libre

Médias 24 : Depuis 10 ans, notre cinéma se caractérise par une production en plein boom et une baisse constante des spectateurs dans les salles. Comment expliquer ce paradoxe ?

Sarim Fassi Fihri : Ce n’est pas depuis 10 ans, mais un peu plus dans le passé qu‘a démarré ce que vous appelez le "boom". L’augmentation significative du nombre de films a été enclenchée réellement au lendemain de la multiplication par trois de l’enveloppe allouée au fonds d’aide au cinéma qui est passée de 20 millions de DH à 60 millions par an.

Il faut rendre à César ce qui lui appartient car ce montant n’est pas tombé du ciel, mais bien grâce à l’action et à la persévérance de Nabil Benabdellah, qui était ministre de la Communication.

Quant au "paradoxe" de la baisse du nombre des spectateurs, les raisons sont très nombreuses, et je pense que nous allons y revenir …

Les exploitants de salles dénoncent le manque de volonté du CCM pour lutter contre le piratage qui a "assassiné les salles de cinéma marocaines". Souscrivez-vous à leur proposition de l’enrayer en mettant en place un contrôle des importations des CD vierges ?

Permettez-moi de vous dire d’abord que le piratage n’est pas la seule raison à cette désaffection.

Si le public ne va plus dans les salles de cinéma, c’est également parce qu’il n’y en a pas car avant, les salles étaient partout dans la ville, donc proches de la population. La plupart de ces salles, surtout dans les centres-villes, ont été fermées ou démolies faute d’un public qui n’est plus cinéphile ou qui n’a plus les moyens comme celui qui y habitait avant.

Par ailleurs, pour la majorité pour ne pas dire la totalité des nouveaux quartiers et des nouvelles cités édifiés, souvent à la périphérie des villes, on ne pense jamais à construire une salle de cinéma, à l’instar d’autres bâtiments à caractère social.

Pour la question du contrôle des importations des CD, il existe déjà un texte qui a instauré une taxe sur tous les supports vierges. Le bénéfice de cette taxe va au BMDA (Bureau marocain des droits d’auteurs) et par conséquent, ce sont les auteurs et les artistes qui vont en profiter.

Le piratage, ce sont 50 millions de films vendus à 5 DH pièce soit 250 millions de DH échappant au fisc. Ne pensez vous pas qu’au final, les Marocains n’ont plus la culture du grand écran à cause du manque de réactivité des autorités cinématographiques ?

Le chiffre de 50 millions que vous avancez est officiel et provient des services de douane. C’est la preuve que ces importations n’échappent pas au fisc car elles sont soumises à la taxation d’usage.

De leur côté, le BMDA et le CCM font leur travail avec les moyens et les ressources dont ils disposent et il y a régulièrement des arrestations et des procès qui sanctionnent plusieurs pirates.

Questions de professionnels

Les jeunes réalisateurs se plaignent des obstacles à l’obtention de la carte de réalisateur, ils doivent réaliser un minimum de 3 courts métrages coûtant chacun 200.000 DH (total 600.000 DH). Ne pensez vous pas que ce ticket d’entrée tue la créativité et restreint le champ d’action des réalisateurs désargentés?

Ce n’est pas une question de coût mais de création. Le prix de revient d’un court métrage peut être très bas s’il y a une bonne idée derrière. D’ailleurs, beaucoup d’étudiants des deux écoles de cinéma réalisent des films avec très peu de moyens et qui sont parfois primés dans des festivals internationaux.

Le CCM va-t-il prendre en compte les doléances des techniciens (monteur, cadreur, chef opérateur, ingénieur du son…) se plaignant des salaires a minima qui n’ont pas été revalorisés depuis 10 ans?

Il importe de préciser que le salaire minima qui est imposé par le CCM aux producteurs, c’est d’abord une protection des techniciens pour ne pas toucher moins.

D’autre part, il faut souligner que ces salaires sont loin d’être ridicules et pourraient faire beaucoup de jaloux.

Savez-vous que la moyenne des salaires des techniciens au Maroc est de 4.000 DH par semaine et ceci n’est qu’une moyenne car les plus expérimentés et compétents sont plus exigeants et sont payés beaucoup plus que cela…

Qu’apporte le festival de Marrakech au cinéma marocain et qu’en est-il des autres rendez-vous cinéphiles qui se plaignent d’être peu financés?

Le festival de Marrakech est un acquis de grande valeur indéniable pour le Maroc. Sa notoriété fait de lui un des rendez-vous prisés du gotha du cinéma mondial qui n’y vient pas uniquement pour le fun ou pour de la complaisance mais parce qu’il est considéré à juste titre comme un événement cinématographique international.

Qu’apporte-il au Maroc? Beaucoup de choses. D’abord l’image du pays en sort à chaque fois grandi, et après chaque édition, la notoriété nationale est encore plus belle et plus reluisante.

Nos cinéastes et le public cinéphile trouvent là une occasion unique de voir certains des plus beaux films du moment et enfin, un dernier point qui n’est pas négligeable non plus, c’est que plus la barre de l’organisation monte haut, et plus cela devient un repère d’excellence et un élément de comparaison pour les autres festivals organisés au Maroc.

Et c’est une bonne transition qui m’amène à répondre à la 2e partie de votre question.

Ceux qui se plaindraient d’être, comme vous dites, peu financés savent très bien que l’Etat, à travers une commission indépendante, fait déjà beaucoup.

Je vous rappelle qu’à part le Festival national et le Festival du court métrage méditerranéen de Tanger, toutes les autres manifestations sont locales ou régionales, et doivent également impliquer les communes et les régions concernées.

En 2013, 53 festivals et manifestations cinématographiques ont été aidés sur 59 demandeurs pour un montant total d’environ 25 millions de DH ce qui est un budget probablement insuffisant, mais déjà très appréciable.

Maintenant, si j’ai un conseil à leur donner c’est de persévérer, mais en même temps de tenter de chercher d’autres sources de financement pour leurs événements.

Qu’en est-il de la restauration des vieux films marocains devenus introuvables même pour les jeunes réalisateurs qui cherchent leurs marques, le CCM va-t-il les remettre sur le marché en les numérisant car c’est un pan du cinéma qui disparaît ?

Vous avez totalement raison et je vous promets de m’en occuper dès que cela sera possible.

Le CCM et la question des exploitants

L’aide de l’Etat encourageant les exploitants à transformer leur salle mono-écran en complexes n’a pas entrainé de résultats tangibles au vu de la baisse vertigineuse de fréquentation. Comment expliquer cet échec?

Je rappelle ici les trois types d’aide à l’exploitation qui ressortent de l’arrêté conjoint signé par le ministre de la Communication-porte parole du gouvernement et le ministre des Finances en date du 18 septembre 2012:

1- aide à la numérisation pouvant aller jusqu’à 1 million de DH par salle;

2- aide à la réhabilitation pouvant aller jusqu’aux 50% de l’investissement;

3- aide à la création pouvant aller jusqu’à un tiers de l’investissement.

Pour l’instant, les sessions de juillet 2013 et juillet 2014 n’ont porté que sur le premier volet car il y avait urgence à numériser. Je ne pense pas que l’on puisse parler d’échec après seulement 15 mois…

Seule la moitié des films marocains réalisés sont distribués sur les écrans marocains toujours moins nombreux: A quoi bon produire 50 films demain si les films ne sont pas distribués ou exportés?

C’est une question très pertinente c’est pour cela que l’une de mes préoccupations et mes priorités, c’est d’œuvrer pour une augmentation du parc notamment par l’édification de nouvelles salles de proximité dans les nouveaux quartiers et les nouvelles cités.

Déjà en 2009, votre prédécesseur avait comme objectif d’atteindre 150 nouvelles salles (multiplexes ou de proximité) en 2012 et nous en sommes toujours loin (50 salles et 72 écrans).

Cette question devrait être posée à mon prédécesseur car je ne peux pas répondre à sa place.

Le rôle du CCM dans la production

Quel bilan faites-vous de la dernière décennie pour le cinéma marocain qui a vu la production de plus de 100 films alors que depuis 1958, c’est moins de 250 films qui ont été tournés?

J’ai déjà répondu plus ou moins à cette question: la principale explication de la progression qu’on peut qualifier d’exponentielle de la production, c’est justement l’augmentation significative de la cagnotte destinée à la caisse du fonds d’aide ou de ce qu’on appelle aujourd’hui "l’avance sur recette". D’ailleurs c’est simple, presque la totalité des films produits au Maroc le sont grâce et souvent presque uniquement à ce fonds.

Que faire pour que les chaînes publiques télévisées s’investissent davantage dans la coproduction télévision-cinéma?

Jusqu’à il y a encore quelques années, les chaînes télévisées aidaient régulièrement les producteurs marocains en leur apportant un complément de financement relativement intéressant.

Depuis l’avènement du système des cahiers des charges, ces aides n’existent pratiquement plus car les procédures sont devenues trop compliquées.

Cependant, j’ai quand même l’intention de prendre contact avec les chaînes pour voir avec elles la possibilité de "déverrouiller" tout cela car elles ont également beaucoup à y gagner. Je rappelle à cet égard que la fiction marocaine (TV et cinéma) réalise les meilleurs taux d’audience.

Maintenant que le Maroc produit 25 à 30 films par an, ne serait-il pas temps que la commission qui juge de la qualité des films soit plus exigeante pour allouer les avances sur recettes?

Pour cela aussi, il faut préciser qu’il n’y a pas à proprement parler une commission "qui juge de la qualité des films". C’est la commission de l’avance sur recette qui a théoriquement cette mission, mais en vérité son pouvoir est relativement très limité.

En général, elle ne juge que le scénario qu’elle peut trouver "de qualité", mais, à la fin, quand le film est tourné et présenté pour recevoir la 4e tranche, il est déjà trop tard.

En effet, il y a des éléments à revoir dans ce sens. D’autant que les textes en vigueur contiennent plusieurs critères et pas seulement la qualité du scénario.

Le documentaire reste le parent pauvre de la production et ne trouve pas sa place sur les écrans. Quelle est la solution pour remédier à cet état de fait?

En vérité, la production des documentaires ou leur soutien incombent en premier lieu aux chaînes de télévision car elles en sont les premières consommatrices.

Avant, la commission de l’avance sur recette ne pouvait pas, légalement, aider au financement des documentaires, aujourd’hui, elle en a la possibilité et ce, grâce au nouveau cahier des charges de 2012.

Faut-il maintenir la prime à la qualité postproduction qui n’a jamais été attribuée (500.000 DH) ?

Au contraire, elle a bien été attribuée par le CCM à 2 ou même 3 reprises. Bien sûr, elle doit être maintenue mais il faudrait définir des critères plus rigoureux et plus précis de ce qu’on appelle "la qualité".

Comment développer la production étrangère tournée au Maroc qui est passé à 100 millions de dollars d’investissement extérieur, par plus de mesures incitatives ?

Une précision s’impose: ce chiffre de 100 millions de dollars a été calculé par le CCM sur la base des seules déclarations des producteurs étrangers et qui peuvent être surestimées.

Je rappelle que ces statistiques incluent parfois des productions qui ont été annulées donc il n’y a, à ce jour, aucun outil fiable, de contrôle du montant des investissements étrangers.

Cependant, je suis persuadé que si nous nous y prenons avec plus de sérieux et plus de rationalité, nous serions capables d’atteindre des chiffres bien plus élevés.

Pour cela, il va falloir établir une nouvelle stratégie fiscalement plus incitative, à l’image de beaucoup de pays qui ont développé cette industrie.

Est-ce que le cinéma est un débouché viable pour les jeunes qui veulent en faire leur métier et comment le CCM peut-il attirer et encourager les jeunes cinéastes marocains à rentrer au pays?

Le CCM est un organisme de promotion et de régulation qui n’a ni la vocation d’attirer des cinéastes en herbe ni les outils spécifiques pour le faire.

Cependant, tous les jeunes (femmes et hommes) qui aiment le cinéma et qui veulent en faire leur métier ou une carrière sont les bienvenus.

Une question essentielle que tout le monde se pose, confirmez vous votre décision d’abandonner votre société de production et l’exploitation de vos studios de cinéma ?

Comme j’ai eu déjà l’occasion de répondre à cette question, y compris à la commission chargée de recevoir les candidats au poste de directeur du CCM, je confirme que j’arrête toute activité dans le secteur privé car mon éthique personnelle et la déontologie professionnelle me le dictent.

Pour conclure, une question plus personnelle pour mieux saisir l’homme de cinéma Fassi Fihri, quels sont les films actuels marocains et étrangers qui vous inspirent voire qui vous enchantent ?

Comme tous, j’ai eu des coups de cœur pour plusieurs films marocains de plusieurs réalisateurs anciens ou récents, mais mon devoir de réserve m’interdit désormais de vous les citer et vous m’en voyez désolé.

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