Le style Benkirane braque les syndicats et bloque le dialogue social

EXCLUSIF. Les grands syndicats marocains tirent la sonnette d’alarme sur ce qu’ils considèrent comme une rupture du dialogue social dont est tenu pour seul responsable le chef du gouvernement.

Le style Benkirane braque les syndicats et bloque le dialogue social

Le 9 janvier 2014 à 19h54

Modifié 9 janvier 2014 à 19h54

EXCLUSIF. Les grands syndicats marocains tirent la sonnette d’alarme sur ce qu’ils considèrent comme une rupture du dialogue social dont est tenu pour seul responsable le chef du gouvernement.

Ils rejettent en bloc les méthodes  Benkirane et mettent en garde contre la détérioration des relations gouvernement-syndicats qui pourrait à terme aboutir à une crise sociale.

Du jamais vu. Les principaux syndicats du pays sont tous braqués. Pas contre un projet, une initiative, une loi. Pas contre un parti ou un gouvernement. Non. Ils sont braqués contre un homme, un seul. Benkirane, Abdelilah de son prénom, chef du gouvernement.

On pourrait penser qu’ils font de la politique et que leur position est de bonne guerre. En quelque sorte qu’ils sont dans leur rôle.

On pourrait penser qu’ils cherchent à défendre des acquis ou des avantages et que le chef du gouvernement, en bon gestionnaire qu’il est, ne veut pas  consentir des largesses. Ou bien que les cahiers de revendications des syndicats sont transmis sans succès à la primature. Eh bien, pas du tout.

Les syndicats ne veulent pas s’asseoir autour de la même table que le chef du gouvernement. Ils ont boycotté les réunions qu’il a convoquées, ils ont dédaigné les invitations qu’il leur a adressées.

C’est sa personne, son style, ses méthode qui sont en ligne de mire.

Et c’est dangereux pour le pays, car cette situation bloque le dialogue social et donc freine ou empêche les réformes.

Prenons l’exemple des retraites. Tout le monde est d’accord, la réforme doit être faite. Mais les syndicats n’ont pas encore donné leur accord, donc la réforme attendra.

Selon les centrales les plus représentatives, interrogées par Médias 24, l’année 2014 sera encore placée sous le signe des turbulences avec Benkirane car la CDT, l’UMT, la FDT et l’UGTM dénoncent à l’unanimité son attitude “despotique“.

Le chef du gouvernement est accusé de tous les maux car non seulement il irait à l’encontre des revendications sociales mais serait en plus incapable de discuter sereinement.

L’origine de la rupture

Pour les organisations syndicales, le préalable à toute réunion avec ce gouvernement est d’abord qu’il tienne les engagements qui figurent dans l’accord-cadre en date du 26 avril 2011 signé avec le gouvernement Al Fassi.

Ainsi, la convention n°87 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur les libertés syndicales n’a pas été ratifiée et Benkirane n’a toujours pas, selon ces sources,  abrogé l’article 288 du Code pénal réprimant le droit de grève malgré la Constitution qui garantit ce droit.

Les engagements du gouvernement précédent non appliqués par Benkirane bloquent donc toute négociation future et mettent à mal l’ensemble des acquis du dialogue social. Hormis ce blocage, il apparaît en filigrane dans les déclarations des grands syndicats à Médias 24 que le vrai problème posé concerne le style d’un homme décrié pour son autoritarisme.

Benkirane se défend de toute responsabilité

Benkirane rétorque à ses accusateurs que "les principaux engagements ont été concrétisés et que la réalisation des promesses de son prédécesseur dépend de la conjoncture économique difficile du pays“. Le chef du gouvernement soutient, dans ses différents discours et shows, que ce gel des discussions et son incidence sur la paix sociale est de la seule responsabilité des centrales syndicales car elles pratiquent la politique de la chaise vide.

Il regrette que “sa main tendue n’a pas été saisie durant les 2 dernières années“ mais que son gouvernementlaisse la porte ouverte aux partenaires sociaux.

Il insiste sur l’importance du dialogue pour préserver la paix sociale et servir les intérêts du pays en contribuant au développement économique et à la prospérité sociale en dépit d’une “conjoncture économique et financière difficile“. Il faut souligner qu’actuellement, seule la CGEM semble trouver grâce à ses yeux car s’il rejette la panne du dialogue avec les syndicats des travailleurs, il loue les initiatives du patronat qui renforce le dialogue bilatéral en instaurant une culture participative.

Nos interlocuteurs syndicalistes sont unanimes à dénoncer “l’intransigeance négative de l’homme et son manque de souplesse“. Ainsi, la réforme des régimes de retraites qui doit être le grand chantier de Benkirane pour l’année en cours est au centre de toutes les préoccupations syndicales.

Paroles de syndicalistes

Médias24 a recueilli les déclarations des syndicats les plus représentatifs du paysage syndical marocain et le moins que l’on puisse dire, c’est que Benkirane a réussi le tour de force de les liguer contre sa personne. Hormis Mohamed Yatim SG de l’Union National du Travail au Maroc (UNMT) apparenté au PJD qui a évité de se prononcer sur la panne du dialogue social en s’alignant sur les positions du chef du gouvernement, les dirigeants des autres centrales syndicales ont été plus volubiles.

Le syndicat chapeauté par l’Istiqlal est sans doute l’opposant le plus virulent à la politique économique menée par Benkirane.  Kaffi Cherrat qui remplace à titre provisoire Chabat à la tête de l’UGTM nous confie que la balle est dans le camp du chef du gouvernement car c’est lui seul qui a rompu le dialogue.

Ce dernier a décidé selon notre interlocuteur, d’apporter ses propres solutions aux problèmes économiques sans tenir compte de ses interlocuteurs syndicalistes. Il affirme que M. Benkirane fait cavalier seul et que ses recettes miracles ne sont pas adaptées et menacent même la paix sociale.

Il cite à titre d’exemple la loi de Finances adoptée de manière unilatérale qui montrera très vite ses limites aux travailleurs concernés. A propos de l’UNMT syndicat du PJD, il regrette l’aberration qui veut que ce syndicat se contente de suivre aveuglément le PJD alors qu’il est signataire de l’accord du 26 avril 2011.

L’UGTM attaque violemment la personne de Benkirane et pense même à le poursuivre devant le Bureau International du Travail (BIT) pour n’avoir pas respecté ses engagements vis-à-vis des syndicalistes et des travailleurs.

L’Union Marocaine du Travail (UMT) par la voix du dirigeant Mohamed El Ouafi regrette la situation actuelle de blocage et pense que dans l’état actuel des choses, elle ira crescendo. Concernant les accusations de Benkirane sur le refus de l’UMT de participer à la réunion sur la réforme de la caisse de retraite, il affirme qu’aucune concertation préalable n’avait été prise et que c’était davantage une convocation qu’une concertation.

La balle est donc dans le camp du chef du gouvernement qui doit apprendre à écouter car on assiste à un véritable dialogue de sourds. Les initiatives isolées de Benkirane dans des prises de décisions qui impactent le pouvoir d’achat des Marocains s’illustrent par la préparation du PLF 2014 sans consultation préalable des syndicats qui ont pourtant un droit de regard.

Si l’UMT se veut soucieuse de la stabilité du Maroc, elle ne cautionne cependant pas des mesures gouvernementales qui selon elle, menacent à terme la paix sociale. L’impopularité des décisions prises par Benkirane s’explique par sa nature ultralibérale qui privilégie le patronat et non les travailleurs.

Mostafa Chanaoui de la Confédération Démocratique du Travail (CDT) abonde dans le même sens que ses collègues d’autres syndicats. Les deux années de Benkirane à la tête du gouvernement ont montré que le dialogue et la concertation n’étaient pas son fort. Pour faire court, ce n’est pas un interlocuteur car il préfère imposer ses points de vue et ne sait pas composer avec des partenaires sociaux qui ont pourtant un rôle à jouer.

Larbi Habchi de la Fédération Démocratique du Travail (FDT) souligne que Benkirane a une conception unilatérale de la négociation. Il accuse ce dernier de détruire tout consensus car il remplace la notion de dialogue par celle de consultation. En concertation avec les autres syndicats, la FDT compte reprendre des actions militantes pour faire pression sur ce gouvernement qui privilégie les intérêts des nantis.

L’Organisation Démocratique du Travail(ODT) dénonce la politique antisociale du chef de l’exécutif en assurant qu’elle va mener au désastre social. Ali Lotfi cite les 6000 enseignants du monde rural qui sont en grève depuis 2 mois et dont les revendications sont superbement ignorées par Benkirane. Une fois encore, le chef du gouvernement est accusé de faire la sourde oreille et se contenter de colmater les brèches.

Il semble bien que depuis deux ans, le chef du gouvernement ait réussi à faire l’unanimité contre lui par des syndicats d’horizons et de sensibilités politiques différentes. Cette situation de blocage ne peut évidemment durer car les partenaires sociaux n’auront d’autre choix pour se faire entendre que de mener des actions militantes comme des grèves qui ne sont dans l’intérêt de personne.

La célèbre formule de Buffon qui énonce que  “le style est l’homme même“ semble prendre toute sa signification pour traduire les relations venimeuses qui existent entre le chef du gouvernement et les syndicalistes marocains. S’il ne s’agit pas de prendre fait et cause pour l’une des deux parties, il apparaît que Benkirane donne l’impression d’écouter en sachant pertinemment qu’au final, il fera ce qu’il veut sans tenir compte de l’avis de ses interlocuteurs.

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