Michael Heise

Economiste en chef chez Allianz SE

Une décennie perdue pour l’Europe ?

Le 26 août 2014 à 15h10

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

Il est nécessaire que les gouvernements dépensent davantage, afin d’adoucir le processus de désendettement, mais seulement de manière temporaire. Comme l’a montré l’expérience japonaise, les démarches de relance budgétaire et monétaire prolongées ne constituent pas une bonne recette de croissance.  

L’Europe connaît actuellement une période difficile. L’inflation est tombée à 0,4%, et la croissance économique demeure anémique depuis plusieurs années. Bien que la Banque centrale européenne ait maintenu les taux d’intérêt proches de zéro, la croissance du crédit privé est au point mort, et la dette publique continue de s’alourdir. Il y a là une ressemblance avec la situation du Japon dans les années 1990, qui aboutit au triste constat d’une « décennie perdue, » caractérisée par la stagnation économique et la déflation, et dont le pays ne s’est à ce jour toujours pas remis. Ainsi, faut-il entrevoir un destin similaire pour l’Europe ?

Les points communs entre les trajectoires économiques européenne et japonaise apparaissent incontestables. Les deux régions ont été confrontées à une période prolongée de boom immobilier alimenté par la dette et de gonflement du prix des actifs, suivie par une profonde récession de bilan. À mesure de la disparition des richesses et de la contraction des salaires, la croissance de la consommation s’est effondrée. Plus dommageable encore, les prix de l’immobilier et des actifs financiers ont considérablement dégringolé, les dettes conservant en revanche toute leur substance – soit un choc majeur pour les entreprises et pour le secteur financier.

La combinaison du déclin des garanties et de la multiplication des dettes toxiques a en effet pesé sur les banques japonaises, celles-ci étant trop faiblement capitalisées pour pouvoir supporter d’importantes pertes. Afin d’éviter une vague d’insolvabilité, ces banques ont refinancé leur dette d’entreprise, amorçant une longue et douloureuse période de consolidation financière, de faiblesse des investissements, et de lenteur de la croissance économique. Afin de compenser une piètre demande privée, le gouvernement a augmenté la dépense, multipliant par plus de deux le stock de dette publique, jusqu’à plus de 230% du PIB, en seulement 15 ans.

Fort heureusement, un tel dénouement n’a rien d’inévitable s’agissant de la zone euro. Bien que certains États de la zone euro aient connu des bulles immobilières, ces épisodes se sont révélés moins extrêmes que dans le Japon des années 1980, et pour des pertes plus réduites.

Par ailleurs, bien que la dette hypothécaire se soit significativement accrue dans certains États de la zone euro, cette augmentation est restée modérée dans certains autres, voire inexistante dans le cas de l’Allemagne. De même, l’endettement excessif des entreprises espagnoles, portugaises et irlandaises a été largement compensé par des emprunts relativement viables au sein des trois piliers économique de la zone euro – Allemagne, France et Italie – où la nécessité de désendettement s’avère par conséquent limitée.

Enfin, la correction des prix des actifs européens s’est révélée moindre. Les indices boursiers de la zone euro ont en réalité d’ores et déjà rattrapé la plupart des baisses survenues depuis 2007 ; par opposition, l’indice boursier Nikkei 225 demeure aux alentours de 15 000, par rapport à un pic à hauteur d’environ 40 000 en 1989.

L’Europe jouit par ailleurs d’un atout supplémentaire : il lui est possible de tirer enseignement des erreurs commises par le Japon. La plus porteuse de conséquences a sans doute résidé dans l’incapacité du gouvernement japonais à entreprendre les réformes structurelles nécessaires à la promotion de la croissance – conséquence de l’environnement politique difficile du pays. Le gouvernement du premier ministre Shinzo Abe, malgré une formidable légitimité populaire, éprouve lui-même des difficultés à avancer dans un certain nombre de domaines contentieux tels que l’agriculture et les marchés du travail.

La zone euro, certes confrontée aux importantes contraintes politiques qui lui sont propres, semble plus disposée à entreprendre de telles réformes. La crise de la dette a en effet d’ores et déjà contraint l’Espagne, le Portugal, la Grèce et l’Irlande à mettre en œuvre des réformes de grande envergure, auxquelles l’Italie pourrait bientôt emboîter le pas.

Un autre de ces enseignements japonais concerne la politique monétaire. Mais contrairement à la croyance populaire, l’enseignement à tirer ne consiste pas à affirmer qu’il s’agirait pour la Banque centrale de privilégier désormais au plus vite une politique monétaire expansionniste, comme a choisi de le faire la BCE dans les premières heures de la crise de la zone euro. Bien que la Banque du Japon (BDJ) ait hésité avant de se réorienter sur une telle trajectoire en 1991, elle a par la suite intensément abaissé les taux d’intérêt, et commencé à injecter d’importantes quantités de liquidités dans l’économie.

Non, le véritable enseignement à tirer de l’expérience japonaise en matière de politique monétaire réside en ce que les périodes prolongées de politiques monétaires accommodantes, caractérisées par des taux proches de zéro, ont tendance à conduire les banques à reporter tout véritable effort d’assainissement de leurs bilans. En huit ans depuis l’apparition de la crise, les banques se sont contentées d’utiliser leurs stocks massifs d’obligations d’État en tant que garanties leur permettant d’obtenir des liquidités de la part de la BDJ, qu’elles ont ensuite utilisées pour financer les prêts consentis aux entreprises les plus fragiles. En a résulté une incroyable tolérance financière généralisée, que certains ont qualifiée de « zombie lending. »

La bonne nouvelle, c’est que la BCE – consciente du danger – a appelé à un assainissement rigoureux des bilans des banques européennes, et qu’elle soumet ces banques à une étroite surveillance dans le cadre d’examens de la qualité des actifs ainsi que de tests de résistance aux tensions. La mauvaise nouvelle, c’est que la mise en œuvre de politiques monétaires excessivement accommodantes continue de mettre à mal ces efforts.

L’Europe ne saurait échapper à une décennie perdue d’inspiration japonaise en se contentant d’augmenter la dose de perfusion monétaire. Aucune injection de liquidités supplémentaires ne conduira les entreprises et les foyers endettés à emprunter davantage. Ceci s’est vérifié au Japon dans les années 1990, et vaut également pour la zone euro (et pour les États-Unis) aujourd’hui.

Pour autant, bien que la politique monétaire n’ait pas permis de réamorcer la croissance dans la zone euro, beaucoup d’observateurs continuent de faire valoir qu’afin d’aider les États à résoudre leurs difficultés budgétaires, il s’agirait pour la BCE de lancer une démarche d’assouplissement quantitatif (achat massif d’actifs à long terme). C’est ce qu’a choisi de faire le Japon, si bien que la BDJ représente aujourd’hui le plus important détenteur de dette souveraine japonaise, à hauteur d’environ 200 000 milliards ¥ (1 960 milliards $) en obligations d’État.

En outre, les rendements obligataires à dix ans intéressant l’Espagne et l’Italie se rapprochent d’ores et déjà des niveaux américains, et sont bien moins élevés en France. Une nouvelle réduction des coûts de l’emprunt viendrait éroder l’incitation des gouvernements à remettre de l’ordre sur le plan budgétaire. Dans le même temps, la BCE se retrouverait à agir en tant qu’agent budgétaire, redistribuant le risque et administrant les transferts financiers significatifs parmi les pays de la zone euro. La zone euro toute entière pourrait alors se trouver prise au piège du creusement de la dette publique et de l’affaiblissement de la croissance économique – précisément à la manière du Japon.

Bien entendu, il est nécessaire que les gouvernements dépensent davantage, afin d’adoucir le processus de désendettement – mais seulement de manière temporaire. Comme l’a montré l’expérience japonaise, les démarches de relance budgétaire et monétaire prolongées ne constituent pas une bonne recette de croissance. Il est indispensable que les dirigeants européens tiennent compte de cette expérience. Quant à savoir s’ils le feront, malheureusement rien n’est moins sûr.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2014

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