Une Amérique passionnée par la Coupe du monde

Le 18 juillet 2014 à 11h12

Modifié 10 avril 2021 à 4h20

Quelque chose a changé - ou s’est peut-être révélé - aux États-Unis au cours du dernier mois. Par millions, les Américains ont été plus nombreux que jamais à regarder la Coupe du monde de football, en langue anglaise et espagnole.

La compétition étant désormais terminée, beaucoup reprochent encore une fois aux Américains de ne prêter attention à ce sport que tous les quatre ans – et seulement lorsque les États-Unis concourent dans la compétition. Or, cette année a révélé une nouvelle tendance: les Américains ont continué de suivre l’événement à l’issue même de l’élimination de leur équipe.

 

WASHINGTON, DC En effet, au cœur de l’été et en plein après-midi de semaine, près de 15 millions d’Américains se sont assis devant leur écran de télévision pour regarder la demi-finale Brésil-Allemagne, soit une audience supérieure à la ferveur habituellement suscitée par l’émission "Monday Night Football" diffusée sur ESPN, rendez-vous télévisuel majeur des amateurs de football américain.

La quasi-totalité des jeunes employés de ma fondation, New America, se sont débrouillés pour assister aux matchs de l’équipe américaine lors des poules. Ma colocataire m’a confié que tous les employés de son lieu de travail, au département américain de l’Éducation, avaient utilisé l’excuse d’une fête d’anniversaire pour regarder le match États-Unis-Allemagne. Au cours du mardi après-midi qui vit se disputer le huitième de finale États-Unis-Belgique, tous les bistrots d’Aspen, dans le Colorado, étaient absolument bondés.

Les Américains de plus en plus intéressés

La ville d’Aspen constituant certes l’une des communautés les plus aisées du pays, elle ne saurait nécessairement être représentative des États-Unis dans leur ensemble. Pour autant, la télévision américaine a fait apparaître la présence d’immenses foules de fans réunis à Kansas City pour assister au match États-Unis- Belgique, sur un écran géant installé en extérieur. Bien qu’aucune comparaison ne soit possible avec la finale France-Italie de 2006, qui vit jusqu’à ses plus petits villages l’Italie toute entière se réunir sur la place publique, le fait est que les Américains de tout le pays ont passé le mois dernier à s’éclipser de leur lieu de travail pour se retrouver au bar des sports.

La ferveur croissante de l’Amérique à l’égard de ce qu’elle appelle le "soccer" reflète à bien des égards la manière dont les États-Unis se "joignent" au monde. Pour commencer, l’équipe américaine et les amateurs de soccer aux États-Unis ont ceci de commun qu’ils puisent cette force croissante auprès des citoyens immigrants – pour beaucoup originaires de pays dans lesquels ce sport constitue une véritable passion nationale.

À Washington DC, par exemple, les chauffeurs de taxi sont quasiment tous installés en Amérique depuis peu. Si vous aviez discuté avec un chauffeur éthiopien, et ils sont nombreux, il vous aurait certainement témoigné sa sympathie face à la défaite de l’équipe nationale contre le Nigeria en match de qualification, puis célébré la victoire des États-Unis sur le Ghana, avant de reconnaître que dans quatre ou certainement huit ans, l’équipe américaine comptera parmi les meilleures de la planète. Dans tous les cas, il vous aurait probablement confié que ses enfants jouaient au foot dans une jeune équipe locale.

Ces citoyens immigrants fournissent non seulement un talent national aux équipes américaines, mais ils contribuent de manière considérable à l’enthousiasme des spectateurs américains pour le football à travers le monde. Dan Levy, rédacteur en chef du site sportif américain The "Bleacher Report", a expliqué que la plupart des commentateurs se contentaient de définir le "soccer américain" comme le nombre d’Américains suivant à la télévision autant de joueurs américains, dans le cadre d’une ligue de football elle aussi américaine.

Tous autour d'un match de foot

Il s’agit bien entendu d’une méthode de mesure absurde. Les Américains amateurs de tennis suivent ce sport dans le cadre de compétitions qui se jouent dans le monde entier, tandis que les Américains fans de golf n’éteignent pas leur poste de télévision lorsqu’un tournoi se joue dans le pays de naissance de ce sport, à savoir l’Écosse. Les Américains sont plus nombreux à regarder les matchs de foot des ligues européennes et mexicaines, en langue anglaise et espagnole, qu’ils ne le sont à suivre les matchs de baseball et de hockey sur glace, traditionnellement considérés comme deux des sports du "big four" américain (aux côtés du football américain et du basketball).

Particulièrement aux États-Unis, la Coupe du monde constitue un égaliseur idéal. Citoyenne américaine depuis plus de 50 ans, ma propre mère est originaire de Belgique ; l’un de mes oncles, ainsi que ma tante et plusieurs de mes cousins vivent à Bruxelles. À l’occasion du match États-Unis-Belgique, les échanges d’e-mails ont été nombreux dans la famille, pour beaucoup empreints d’une rivalité amicale.

Ma mère a reconnu être une supportrice tiraillée entre ces deux équipes, dans la mesure où la Belgique apparaissait en quelque sorte rivaliser telle David contre Goliath. Ses enfants, tous les trois Américains, sont alors intervenus en expliquant qu’en matière de football l’équipe américaine apparaissait en l’occurrence comme l’outsider. Dans quelle autre situation l’Amérique pourrait-elle être confrontée à ce sentiment consistant à exister sur le plan international en tant que petit pays ?

À l’instar des supporters du monde entier, les Américains se sont réunis derrière leur équipe, sans considération de leurs différences sur le plan national. Dans un bar d’Aspen, où la seule chaise disponible se trouvait à une table occupée par un homme et son beau-fils (qui m’ont accueillie tout en m’offrant une bière), nous avons vécu ensemble de beaux moments d’excitation et d’agacement chaque fois que l’équipe américaine approchait du but ou manquait un tir. Lors des temps morts, nos discussions nous ont permis de nous sonder les uns les autres, et de réaliser que nous appartenions manifestement à des camps politiques opposés.

"Nous devrions voir ça plus souvent"

Étant donné l’état de polarisation de la politique américaine à l’heure actuelle, je pense qu’il aurait été peu probable que mes convives m’offrent si volontiers plusieurs tournées de bière s’ils avaient su que j’avais travaillé pendant deux ans au service d’Hillary Clinton au sein du Département d’État. Et voici pourtant que nous donnions ensemble de la voix, non pas pour notre camp politique, mais pour notre équipe nationale. Et tandis que cette équipe s’échangeait le ballon sur le terrain, la politique semblait avoir disparu.

C’est également ce qu’il s’est produit tout naturellement lors des Jeux olympiques. Pour autant, les Jeux constituent une large palette de disciplines, qui réunissent chacune leur propre public, et qui voient bien souvent les spectateurs soutenir leurs favoris en même temps, mais séparément et dans différents sports. Par ailleurs, nous assistons la plupart du temps à des accomplissements individuels – concentration, agilité et courage du skieur de descente, ou encore mouvements subtilement coordonnés du gymnaste – bien plus qu’à un véritable effort collectif.

La Coupe du monde permet en revanche à tous les supporters d’un pays de se réunir au même instant, autour d’un événement sportif exigeant des deux camps – et exigeant d’eux-mêmes – qu’ils se transcendent au-delà de la simple somme de leurs individualités. Le fait de se contenter de regarder la Coupe du monde vous laisse en réalité avec un sentiment d’inachevé. En fin de match, sur fond de regret face à la défaite contre une Belgique toute puissante, mais convaincue que l’équipe américaine s’était admirablement illustrée, mon nouvel ami me confia: "Nous devrions voir ça plus souvent."

L’exceptionnalisme américain demeure certes puissant. Il est probable que nous appelions pour toujours "soccer" ce sport mondial. Mais désormais nous l’aimons, et c’est un peu notre sport à nous aussi.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2014


 

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