Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Spleen des livres de la deuxième rangée

Le 22 décembre 2023 à 15h26

Modifié 22 décembre 2023 à 15h26

Occupé à ranger la bibliothèque, après un déménagement qui a pris du temps, on retrouve ces livres de la deuxième rangée où tel roman perdu puis racheté voisine avec une vieille carte postale jaunie. Cela remontait au temps que l’on recevait encore ce genre de missives aussi affectueuses que laconiques.

Les bouquins du deuxième rang semblent faire la tête et vous en vouloir de les avoir oubliés, ou d’avoir acquis  un autre exemplaire en double dans un autre format de poche avant de les délaisser au fond, livrés à la poussière et à l’oubli.

Sans être rancuniers, les livres ont de la mémoire et ils ont aussi leur caractère. Tenez par exemple, un exemplaire de Balzac, auteur prolifique (géniteur d’une famille livresque nombreuse qui a écrit près d’une centaine de romans et nouvelles sous le titre de la Comédie humaine) ne se formalisera pas de l’avoir rejeté au dernier rang. Mais pas ce primo romancier et néanmoins ami, dont on a rendu compte de son ouvrage avant de le ranger au fond, par hasard ou par ordre alphabétique, voire chromatique.

A propos de fâcherie et de Balzac, cela rappelle une de ces anecdotes du showbiz qui rapporte la brouille née entre le célèbre animateur  français de la télé, Thierry Ardisson, qui venait de publier son premier et unique roman, et le redoutable humoriste défunt, Guy Bedos. Après avoir insisté plusieurs fois et lourdement par écrit pour que Bedos lise et parle de son roman, lassé et agacé, l’humoriste lui fait cette réponse cinglante : "Tu vois Thierry, je n’ai pas encore fini Balzac, alors ton bouquin, il peut attendre un peu !".

Une bibliothèque est parfois un sujet de malentendus cocasses. Quel que soit le nombre de livres, ou le volume du meuble, posséder une bibliothèque garnie de tant d’ouvrages ne signifie pas qu’on les a tous lus. Sauf pour ceux qui lisent peu ou pas du tout. L’un d’eux, perplexe face à un rayonnage encombré, vous posera inévitablement cette question à laquelle vous ne saurez quoi répondre : "Tu as lu tous ces livres ?".

Tout en vous aidant à mal ranger vous bouquins, il en tâtera quelques-uns, les gros volumes notamment, en les soupesant comme n’importe quel objet trivial ou un poulet fermier. Mais a-t-il tort de poser une telle question ? Car en effet, à quoi sert un livre lu puis rangé ou, souvent, pas encore consulté mais intercalé entre deux autres en attente d’une lecture reportée ?

Le lecteur vorace qui enchaîne les lectures n’a pas besoin, lui, d’une bibliothèque personnelle. Dans sa jeunesse oisive, impécunieuse et teinte d’ennui, il empruntait les livres à la bibliothèque d’un centre culturel étranger, les lisait d’affilée avant de les rendre, bien avant la date limite, afin d’en lire d’autres, tous les deux jours et sans discontinuer. Il a gardé de ces années de lecture compulsive et ininterrompue, des souvenirs d’ouvrages reliés qui avaient ce mélange, étrange et pénétrant, comme dirait le poète, d’odeur de cuir musqué et d’encre sèche.

Aujourd’hui, il essaie, en vain, de retrouver une partie de ces titres dévorés dans la précipitation pour répondre à on ne sait quelle urgence. Il espère maintenant renouer avec ces lectures mal digérées d’ouvrages difficiles perclus de concepts ardus et d’autres fictions gorgées de douceur et de mélancolie. Il a mis beaucoup de temps à rassembler des livres qu’il avait mal ou vite lus.

Les voilà donc qui voisinent avec des nouveautés, qu’ils taquinent en les repoussant au deuxième rang, car il y a des livres qui se révèlent bons voisins et d’autres qui ne s’entendent pas. Ces ouvrages peuvent en dire long sur le caractère, les goûts ou l’éthos de celui qui les a acquis, tant il est vrai que chaque lecteur a une bibliothèque qui lui ressemble ou le dépeint. Et si nombre d’entre livres ont perdu leur reliure en cuir, comme des reptiles quitant leur peau, ensemble, ils exhalent désormais l’odeur chargée de nostalgie du temps qui passe. Et, déplaçant tel livre écorné  déniché chez un bouquiniste bougon, pour en secouer la poussière, on entendrait presque murmurer cette plainte de l’écrivain et journaliste oublié, Henri Calet : "Ne me secouez pas, je suis plein de larmes !".

Finalement, les livres réinventent sans fin la bibliothèque qui les accueille, comme dit l’écrivain et grand bibliophile, Alberto Manguel. Auteur de la magistrale "Histoire de la lecture" (Actes Sud). Manguel a également publié chez le même éditeur, "La bibliothèque, la nuit", une pérégrination au cœur de ses livres et de son immense bibliothèque personnelle. Un voyage au cœur de rayonnages encombrés de livres, empreint d’humilité devant leur contenu et de reconnaissance pour leur générosité : "Dans leur immense générosité, mes livres m’offrent, sans rien exiger de moi, toutes sortes d’illuminations".

"Ma bibliothèque, écrivait Pétrarque à un ami, n’est pas une collection inculte, même si elle appartient à un inculte". A l’instar de ceux de Pétrarque, mes livres sont infiniment plus savants que moi et je leur suis reconnaissant de tolérer ma présence. Il m’arrive d’avoir l’impression que j’abuse de ce privilège.

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