Soutenir la renaissance ukrainienne

Le 28 février 2014 à 11h10

Modifié 11 avril 2021 à 2h35

À l’issue d’un terrible crescendo de violence, le soulèvement ukrainien a connu un dénouement étonnamment. Un groupe de citoyens armés de simples barres de fer et parés de boucliers faits de cartons et autres couvercles de poubelle est parvenu à défaire une force policière autorisée à tirer à balles réelles.

Bien que les affrontements aient fait de nombreuses victimes, les citoyens l’ont finalement emporté. C’est ainsi que nous avons assisté à l’un de ces moments historiques qui marquent la mémoire collective d’une empreinte durable.

 

NEW YORK – Comment un tel renversement a-t-il pu se produire ? Le principe d’indétermination de Werner Heisenberg autour de la mécanique quantique nous fournit en quelque sorte une réponse, selon une métaphore appropriée. D’après Heisenberg, les phénomènes subatomiques sont susceptibles de se manifester soit en tant que particules, soit sous la forme d’ondes ; de la même manière, les êtres humains seraient ainsi tantôt amenés à se comporter en tant que particules individuelles, tantôt en tant que composantes d’une vague plus large. Autrement dit, le caractère imprévisible des événements historiques tels que le soulèvement ukrainien serait en partie lié à un élément d’incertitude caractérisant l’identité humaine.

L’identité des individus se compose à la fois d’aspects personnels et d’éléments d’unités plus larges auxquels ils appartiennent, l’influence des populations sur la réalité dépendant du fait que tels ou tels éléments dominent leur comportement. Lorsque des civils se sont lancés dans une attaque suicide contre les forces armées de Kiev, le 20 février, leur sentiment de représenter la « Nation » l’emportait clairement sur leur peur individuelle de perdre la vie. C’est ainsi qu’une société profondément divisée, au bord de la guerre civile, a été balayée pour laisser la place à un sentiment d’unité sans précédent.

Le caractère durable de cette unité dépendra de la manière dont réagira l’Europe. Les Ukrainiens ont démontré leur allégeance à une Union européenne elle-même désespérément divisée, la crise de l’euro montant les pays créanciers et débiteurs les uns contre les autres. C’est la raison pour laquelle la Russie est facilement parvenue à déjouer les négociations entre UE et Ukraine autour d’un accord d’association.

L’Ukraine a besoin d’une aide extérieure

Comme à son habitude, l’UE de la chancelière allemande Angela Merkel a offert bien peu et exigé beaucoup trop de l’Ukraine. Et voici qu’à l’issue de la réussite d’une insurrection populaire engendrée par la volonté du peuple ukrainien de nouer des relations plus étroites avec l’Europe, l’UE et le Fonds monétaire international conviennent d’un plan de sauvetage de plusieurs milliards de dollars destiné à sauver le pays d’un effondrement financier. Une telle démarche ne saurait néanmoins suffire à préserver cette unité nationale dont l’Ukraine aura besoin dans les années à venir.

En 1990, j’ai initié la création de la Renaissance Foundation en Ukraine – avant que le pays n’obtienne son indépendance. Cette fondation n’a nullement participé au récent soulèvement, mais a bel et bien fait office de défenseur des victimes de la répression étatique. Elle est désormais prête à soutenir cette puissante aspiration des Ukrainiens en direction de l’instauration d’institutions démocratiques solides (en premier lieu desquelles un pouvoir judiciaire indépendant et professionnel). L’Ukraine aura néanmoins besoin d’une aide extérieure que seule l’UE peut lui apporter : expertise de gestion et accès aux marchés.

Au cours de la remarquable transformation des économies d’Europe centrale survenue dans les années 1990, l’expertise de gestion et l’accès aux marchés ont abouti à d’importants investissements de la part d’entreprises allemandes et de sociétés issues d’autres pays de l’UE, qui ont intégré les producteurs locaux à leurs chaînes de valeur mondiales. Forte d’un excellent capital humain et d’une économie diversifiée, l’Ukraine constitue une destination d’investissement potentiellement attractive. Pour autant, la pleine expression de ce potentiel exigerait une amélioration du climat d’affaires au sein de l’économie dans son ensemble comme des différents secteurs – il s’agirait notamment de régler ces questions de corruption endémique et de fragilité de la règle de droit qui ont tendance à dissuader les investisseurs étrangers comme domestiques.

En plus d’encourager les investissements directs étrangers, il serait bon que l’UE fournisse un soutien à la formation des dirigeants d’entreprises locales, et les aide à développer leur stratégie commerciale, en faisant en sorte que les prestataires de services soient rémunérés sous forme de prise de participation ou d’intéressement. L’une des manières efficaces de déployer un tel soutien auprès d’un grand nombre d’entreprises consisterait à combiner cette démarche à des lignes de crédit fournies par des banques commerciales. Afin de promouvoir une telle participation, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) pourrait investir dans des sociétés aux côtés des investisseurs étrangers et locaux, comme elle le fit en Europe centrale.

Le rôle de l’Allemagne

L’Ukraine pourrait ainsi ouvrir son marché national aux produits fabriqués ou assemblés par des filiales d’entreprises européennes détenues en propriété pleine ou partielle, tandis que l’UE favoriserait l’accès au marché pour les sociétés ukrainiennes, et contribuerait à les intégrer aux marchés mondiaux.

J’espère, et j’en suis persuadé, que cette Europe sous leadership allemand s’élèvera à la hauteur de l’opportunité. Je soutiens depuis plusieurs années qu’il appartiendrait à l’Allemagne d’accepter les responsabilités et obligations attachées à sa position dominante en Europe. L’Ukraine a aujourd’hui besoin d’une sorte d’équivalent actuel du plan Marshall, qui vit les États-Unis soutenir la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. Il incombe à l’Allemagne de jouer aujourd’hui ce même rôle qu’endossèrent les États-Unis à l’époque.

Il me faut toutefois conclure sur une note de prudence. Le plan Marshall se refusa en effet à soutenir le bloc soviétique, renforçant ainsi une division de guerre froide en Europe. Un remake de la guerre froide serait synonyme de dégâts considérables pour la Russie et l’Europe, et avant tout pour l’Ukraine, dont le destin se situe à mi-chemin. L’Ukraine dépendant en effet du gaz russe, ainsi que d’un accès aux marchés européens pour la commercialisation de ses produits, le pays n’a d’autre choix que d’entretenir de bonnes relations avec les deux camps.

Ici encore, c’est à l’Allemagne qu’il appartient de prendre les devants. Il est indispensable que la chancelière Angela Merkel tende la main au président Vladimir Poutine afin de faire de la Russie un partenaire, et non un adversaire, de la renaissance ukrainienne.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2014

 

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