Qui va entretenir les déficits du monde ?

Le 14 novembre 2013 à 10h34

Modifié 10 avril 2021 à 4h07

SINGAPOUR – Dernièrement, tout le monde semble vouloir entretenir un excédent de compte courant. La Chine entretient d’importants excédents depuis déjà longtemps ; la zone euro, des excédents encore plus importants, et les fluctuations du sud de l’Europe augmentent les excédents de longue date de l’Allemagne. Les pays, de Singapour à la Russie, entretiennent effectivement d’importants excédents.  

Dans le même temps, le déficit extérieur des Etats-Unis – qui soutient depuis des décennies les excédents ailleurs – est actuellement inférieur à ce qu’il était en 2008, et de nombreux économistes prétendent qu’il ne devrait jamais retrouver ses niveaux antérieurs (arguant que, de toute façon, le boom du gaz de schiste rend la chose improbable). Les marchés financiers ont aussi clairement fait comprendre que la capacité d’autres pays lourdement déficitaires comme le Brésil et l’Inde à absorber les flux de capitaux atteint ses limites. Dans la mesure où le monde est un système fermé, cela pose la question suivante : qui entretiendra les déficits mondiaux ?

Les économistes traditionnels estiment que l’économie globale devrait fonctionner comme un arrangement mécanique équilibré dans lequel les excédents et les déficits extérieurs se lissent dans le temps. Mais les périodes d’expansion économique globale ont presque toujours été caractérisées par des déséquilibres symbiotiques.

Une partie du monde entretient d’importants déficits sur une période prolongée, créant de la demande ; une autre partie du monde entretient des excédents, et finance les déficits des premiers. C’était le cas du commerce entre l’empire Romain et l’Inde au Ier et au IIe siècle, et de l’époque de l’exploration européenne au XVIÒe siècle. C’était aussi le cas des deux arrangements de Bretton Woods, dans lesquels les Etats-Unis maintenaient les déficits nécessaires.

Il est évident que les systèmes déséquilibrés créent des distorsions. Les Romains ont du déprécier leur monnaie, compte tenu de la perte constante d’or à l’Inde. L’Empire espagnol a inondé le monde avec des pièces en argent pour payer ses nombreuses guerres. Bretton Woods I s’est écroulé en 1971, lorsque la parité entre le dollar et l’or est devenue insoutenable, et Bretton Woods II a pris fin en 2008, en conséquence du détournement du capital. Mais ces distorsions n’ont pas empêché les systèmes déséquilibrés de perdurer pendant de longues périodes.

La seule période significative d’expansion économique «équilibrée» fut au début du XIXe siècle. La British East India Company a délibérément imposé un arrangement commercial triangulaire par lequel la Grande Bretagne vendait des biens manufacturés à l’Inde pour acheter de l’opium, lequel était revendu à la Chine pour financer l’achat de thé et d’autres produits. En d’autres termes, une croissance économique globale équilibrée exigeait la guerre, la colonisation et un trafic de drogue à grande échelle.

Quel déséquilibre symbiotique sera donc à l’œuvre dans la prochaine période de croissance économique globale ? Puisque le compte courant est la différence entre les taux d’épargne et d’investissement d’un pays, deux taux particulièrement soumis aux conditions démographiques, nous devons envisager des changements rapides dans les dynamiques démographiques.

La Chine épargne et investit actuellement la moitié de son PIB, mais compte tenu d’un rétrécissement de sa main d’œuvre dans les années à venir, son taux d’investissement devrait substantiellement baisser. Cependant, le vieillissement de la population empêchera que le taux d’épargne ne chute au même rythme. Le différentiel génèrera d’importants excédents extérieurs qui feront évoluer la Chine du statut «d’usine du monde» à celui «d’investisseur mondial

Il serait commode que les conditions démographiques globales soient distribuées de telle sorte que les pays vieillissants entretiennent des excédents lorsque les pays plus jeunes ont besoin de capitaux. En réalité, un grand nombre des principales économies tenteront d’épargner pour la retraite en même temps. En outre, les pays plus jeunes sont généralement des marchés émergents qui n’ont ni l’envergure ni la capacité pour absorber l’épargne excédentaire du monde de manière efficace.

Les Etats-Unis constituent la principale exception : ils ont tout à la fois l’envergure nécessaire et la population la plus jeune de tous les pays développés. Il reviendra donc une fois encore aux Etats-Unis d’entretenir le plus gros déficit extérieur du monde, dans ce qui pourrait être qualifié de Bretton Woods III.

Il peut sembler terrible de penser qu’un pays aussi fortement endetté soit obligé de continuer à entretenir des déficits ; mais le monde est disposé à financer les Etats-Unis à des taux d’intérêt réels négatifs. En effet, le refus des législateurs américains d’augmenter le plafond de la dette publique a constitué la principale préoccupation internationale !  

Si les Etats-Unis ne sont pas disposés à, ou sont incapables d’entretenir les déficits nécessaires, l’économie globale pataugera dans un surplus d’épargne de demande apathique et de capital bon marché jusqu’à l’apparition d’une autre alternative. Ou peut-être que le faible coût du capital international convaincra les Etats-Unis d’absorber une partie de l’excédent de l’épargne mondiale, ce qui entrainerait une nouvelle période d’expansion globale.

L’arrangement de Bretton Woods III génèrerait inévitablement ses propres distorsions, mais il pourrait durer des années si le capital est investi de manière raisonnable. La perspective de son éventuelle disparition ne justifie pas d’attendre l’apparition d’un quelconque idéal théorique d’équilibre global. Si l’on se fie à l’histoire, nous devrions attendre longtemps.

© Project Syndicate 1995–2013

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