Question éthique autour du drame Ebola

Le 9 septembre 2014 à 16h06

Modifié 10 avril 2021 à 4h21

Les critères sociaux, plutôt que médicaux, interviennent dans le rationnement des traitements contre le virus Ebola. Ne serait-il pas temps de commencer à administrer des médicaments et vaccins non testés ?  

À l’heure où le virus Ebola se propage en Afrique dans une mesure sans précédent, nombre d’observateurs se demandent s’il ne serait pas temps de commencer à administrer des médicaments et vaccins non testés. Le virus emportant avec lui pas moins de 90% des malades – soit un taux de mortalité supérieur à celui de la peste bubonique – il semble que nous ayons peu à perdre à assouplir les normes cliniques. Cette suggestion soulève néanmoins plusieurs épineuses questions éthiques – alors même que l’urgence de la situation ne laisse que peu de temps aux délibérations.

L’une des raisons pour lesquelles il n’existe aucun traitement ou vaccin contre la fièvre hémorragique Ebola réside dans le caractère hybride des maladies. Les virus de ce type sont transmis par des espèces animales, lesquelles sont susceptibles de faire office de réservoir permettant aux pathogènes de se développer et de muter, compliquant pour les chercheurs la tâche consistant à suivre le rythme des variations de ces maladies.

Une autre explication réside toutefois en ce que les sociétés pharmaceutiques ont de moins en moins intérêt à concevoir des vaccins. Seules quatre de ces sociétés fabriquent en effet aujourd’hui des vaccins, contre 26 il y a 50 ans. Ces entreprises ont conscience que le rendement de leur investissement se révélera relativement maigre compte tenue d’importants délais d’introduction, eux-mêmes liés à la lenteur des processus de fabrication (bien que de nouvelles méthodes plus rapides offrent un certain espoir).

La méfiance de l’opinion publique à l’égard des vaccins a également joué un rôle majeur dans le déclin de la fabrication. À la fin des années 1990, une opposition à la vaccination a commencé à se manifester autour des vaccins contre la rougeole, les oreillons et la rubéole. De même, une étude de 2004 publiée par la New York Academy of Medicine a révélé que les personnes interrogées étaient deux fois plus nombreuses à craindre les effets secondaires du très courant vaccin contre la variole que celles redoutant la maladie elle-même. 

Le caractère relativement bénin des maladies infectieuses telles que la variole a alimenté une certaine complaisance quant à l’importance des risques liés à un refus de la vaccination. C’est bien souvent seulement lorsqu’une épidémie fait son apparition que les individus changent rapidement d’opinion, exigeant alors d’urgence la production et la distribution de vaccins. C’est sans doute une bonne chose, mais il y a là également un certain manque de réalisme.

La société pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline a récemment annoncé qu’en collaboration avec le US National Institute of Allergy and Infectious Diseases, elle procédait au développement d’un vaccin expérimental contre la maladie à virus Ebola. Elle n’en est toutefois pour l’heure qu’aux essais cliniques de phase I, destinés à en évaluer la toxicité. Deux autres phases d’essais étant encore nécessaires, un tel vaccin ne devrait pas voir le jour avant 2015. 

Les délais nécessaires au processus d’essais ont suscité un mécontentement autour de considérations administratives considérées trop lourdes ; une critique mal avisée, dans la mesure où le risque existe de voir les médicaments à l’étude entraîner de graves maladies, voire le décès du volontaire. En effet, les essais de phase I – également appelés « premières études chez l’être humain » – se révèlent extrêmement risqués, complexes sur le plan de l’éthique, et exigent par conséquent la plus grande précaution.

En 2006, les essais de phase I du médicament TGN1412 avaient dû être interrompus après que plusieurs volontaires aient développé de multiples défaillances au niveau des organes, certains ayant échappé de peu à la mort. Si l’on en croit le pharmacologue Trevor Smart, du University College de Londres, ces patients pourrait bien ne jamais recouvrer leur état de santé initial.  

Mais quid lorsqu’il s’agit de volontaires déjà malades ? En 1996, face à la survenance d’une épidémie de méningite dans le nord du Nigéria, la société pharmaceutique Pfizer avait fourni aux médecins un antibiotique oral baptisé Trovan, qui faisait alors l’objet d’une étude comparative en parallèle d’un autre médicament, la ceftriaxone.

Onze enfants décédèrent au cours de l’essai du Trovan, plusieurs autres en sortant handicapés de façon permanente. Pour autant, le taux de mortalité constaté dans le cadre de l’essai du Trovan fut bien inférieur au taux qu’aurait engendré une méningite non traitée. Ainsi certains proposent-ils aujourd’hui qu’il soit procédé à l’administration de médicaments non testés contre la maladie à virus Ebola.

En réalité, l’Organisation mondiale de la santé a d’ores et déjà autorisé l’utilisation du sérum expérimental ZMapp – alliance d’anticorps génétiquement modifiés et destinés à aider le patient à combattre la maladie – selon une démarche éthique. Le sérum ZMapp n’a jamais atteint le stade des essais sur l’homme, et ne fait à ce jour l’objet d’aucune licence de la part de la Food and Drug Administration américaine.

À l’heure actuelle, seules quelques doses de ZMapp existent, et plusieurs mois seront nécessaires pour en constituer un stock, même modeste. Ceci soulève à nouveau un dilemme éthique : qui doit pouvoir bénéficier d’une ressource aussi peu disponible ?

Les trois premières doses de ZMapp ont été administrées au docteur Kent Brantly et à la missionnaire Nancy Whitebol, qui en sont sortis guéris, ainsi qu’au prêtre espagnol Miguel Pajares, qui n’a malheureusement pas survécu. Certains ont exprimé un argument pratique pour apaiser les importantes critiques autour du fait qu’aient été privilégiés Brantly et Whitebol : il y aurait une certaine logique à soigner en premier lieu les professionnels de la santé, de sorte qu’ils puissent eux-mêmes continuer à prodiguer des soins. Cet argument s’effondre en revanche s’agissant du choix de Miguel Pajares, 75 ans.

La crédibilité des justifications selon lesquelles ce choix aurait répondu à une logique pratique a été dans une certaine mesure remise à mal par la décision d’administrer des doses à trois médecins africains. Quoi qu’il en soit, le stock de sérum ZMapp est désormais épuisé.

Il est important de noter que même les arguments les plus pragmatiques autour du rationnement des ressources médicales peuvent faire l’objet des plus vives controverses. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, lorsque des médecins militaires furent contraints de rationner les doses de pénicilline, ils décidèrent de l’administrer en priorité aux nombreux soldats atteints de maladies sexuellement transmissibles, afin que ceux-ci puissent rapidement regagner le champ de bataille. Beaucoup à l’époque firent valoir que les soldats blessés au combat l’auraient davantage mérité.

Si l’on intègre cette composante morale à la question de la distribution des traitements contre la maladie à virus Ebola, certains affirmeront qu’il s’agirait de privilégier les Africains par rapport aux occidentaux, dans la mesure où les systèmes de santé d’Afrique n’offrent à ces premiers que peu de moyens pour lutter contre la maladie. D’autres feront en revanche valoir la nécessité de traiter en priorité les travailleurs médicaux occidentaux, dans la mesure où ils ont bénévolement choisi de s’exposer à la maladie, afin d’aider ceux qui n’avaient pas le choix.

Il apparaît quasi-impossible de concilier de tels arguments. Il y aurait une dérive encore plus grave à faire intervenir des critères sociaux, plutôt que médicaux, dans le rationnement des traitements. Souvenons-nous du tristement célèbre comité de Seattle, fameux "God committee", qui au début des années 1960 sélectionna les candidats à la dialyse hépatique – pratique alors limitée – sur la base de critères tels que les revenus, l’appartenance à l’Église ou encore au scoutisme. Depuis cet épisode, l’utilisation de critères sociaux dans l’attribution des traitements est loin de faire bonne figure – et à juste titre.  

©Project Syndicate/Institute for Human Sciences, 2014

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