Abderrahman El Mezouari El Glaoui

Président de l’association Télouet pour le développement humain et la sauvegarde de la Kasbah (Province de Ouarzazate)

Quelques éléments de réflexion pour la mise en œuvre du plan royal de développement socio-économique post-séisme

Le 13 octobre 2023 à 12h45

Modifié 13 octobre 2023 à 12h45

Abderrahman El Mezouari El Glaoui, président de l’Association Télouet pour le développement humain et la sauvegarde de la kasbah, active dans la province de Ouarzazate, décortique longuement certaines thématiques susceptibles, selon lui, de contribuer à l’objectif de mise à niveau des territoires impactés par le séisme survenu le 8 septembre dernier. 

Les obligations morales du plan

Les 9, 14 et 20 septembre 2023, Sa Majesté le Roi a présidé des réunions de travail consacrées au plan de développement socio-économique post-séisme des six provinces et préfecture sinistrées, au cours desquelles il a formulé un certain nombre de directives. Au-delà des aspects purement techniques et quantitatifs du programme, ce qui frappe, c’est la volonté du Souverain de faire en sorte qu’il soit conçu et exécuté dans les conditions nécessaires "d’équité et d’écoute permanente des besoins des populations", qu’il soit en harmonie avec "le patrimoine de la région", dans le respect de "ses caractéristiques architecturales uniques" et de "la dignité des populations, de leurs us et coutumes et de leur patrimoine".

Le Roi a également insisté sur l’impératif de faire preuve d’une "gouvernance exemplaire", les mots d’ordre étant "rapidité, efficacité, rigueur et résultats probants". De ces injonctions découlent plusieurs obligations. Le principe "d’équité" commande que soit attribué, à chaque partie du territoire visé, ce qui lui est dû par référence aux éléments constitutifs du programme d’ensemble. "L’écoute permanente des besoins des populations" a pour conséquence le devoir de les consulter et de tenir compte de leurs souhaits au niveau de la définition des différents projets engagés (approche "bottom-up").

Cette "écoute permanente" renvoie aussi à l’exigence de mettre à la disposition des citoyens un canal simple d’accès pour y adresser leurs doléances et plaintes ; ce canal devra veiller à l’examen et au traitement rapide des cas qui lui seront soumis. Le respect de "la dignité des populations, de leurs us et coutumes et de leur patrimoine" impose un esprit de dialogue et une analyse rigoureuse des environnements socioculturels des projets (ce qui rend indispensable, dans les équipes d’experts, la présence de membres connaissant la langue amazighe et familiers des usages coutumiers du pays). La mise en œuvre de ces obligations morales énoncées par le Souverain incombe à l’administration et devra être prise en compte avec sérieux pour que le plan produise ses pleins effets. Nul doute que ces obligations feront l’objet d’une évaluation ex post par la Cour des comptes.

Les prérequis transverses du plan

Sans les citer nommément, le plan prend acte des lourdes inégalités socioéconomiques dont souffrent les populations sinistrées, de leur marginalisation, de leur pauvreté, paramètres qui les placent, en termes de développement humain, aux derniers rangs des communautés territoriales du Maroc. De ce fait, le plan apparait comme un immense challenge qui vise in fine à construire dans ces territoires une économie plus inclusive et à y dynamiser toutes les chaînes de valeur (économique, sociale, culturelle, etc.) afin que leurs habitants puissent augmenter leur productivité et leurs niveaux de revenu et ainsi "rattraper leur retard".

Ce nouveau modèle ne peut donc pas être appréhendé à travers la seule logique économique : il s’agit d’un engagement fort de l’État vis-à-vis des citoyens concernés de faciliter l’apparition de conditions de vie meilleures. Remarquons que cette approche, tout à fait nouvelle, n’a jamais été tentée auparavant, ce qui ne signifie pas que ces régions "aient été oubliées" comme on l’entend dire parfois. Si on se limite à l’agriculture, beaucoup d’actions ont été menées par l’État en montagne dans le cadre du plan Maroc Vert puis dans celui du plan Generation Green (comme par exemple le projet de développement rural des montagnes de l’Atlas dans la province d’Ouarzazate - PDRMA, 2017-2023).

Ces actions doivent aujourd’hui être considérablement renforcées. Car les directives du Souverain sont claires : il est demandé à l’État de faire plus et mieux et d’adopter une méthode participative, innovante, coopérative, ambitieuse et rapide. Ce qui suppose, et c’est là un premier prérequis, d’abandonner la méthode habituelle de travail "en silo", projet par projet, pour raisonner en termes de programmes "intégrés”, qui s’inscrivent dans un ensemble de politiques agissant en synergie.

La création de l’Agence de développement du Haut Atlas, qui aura la lourde tâche de veiller à la synchronisation des actions inscrites dans le programme d’ensemble, répond à ce prérequis. Ainsi, les différents ministères et établissements publics impliqués dans la réalisation du programme devront faire preuve de créativité pour intégrer l’esprit des consignes royales. Par ailleurs, même si les territoires n’ont pas tous exactement les mêmes besoins, tous bénéficieront des mêmes constituants inscrits dans le plan (relogement des personnes sinistrées, reconstruction des logements, réhabilitation des infrastructures, désenclavement, mise à niveau des territoires, accélération de la résorption des déficits sociaux, encouragement de l’activité économique et de l’emploi et valorisation des initiatives locales).

Un second prérequis s’impose ici : c’est celui d’adopter une logique de lotissement des acquisitions de biens et services qui puisse éviter (quand cela est possible), la multiplication inutile d’appels d’offres. Ceci pourrait générer des économies d’échelle, raccourcir les délais d’implémentation et simplifier le chemin critique d’ensemble.

Quelques thématiques de mise à niveau

Arrêtons-nous sur certaines thématiques pouvant contribuer à l’objectif de "mise à niveau des territoires". À ce sujet, nous pensons, comme beaucoup, que le Maroc a une occasion unique de mettre en œuvre dans les territoires concernés, des solutions avant-gardistes qui essaimeraient ensuite sur l’ensemble des régions rurales du pays.

- L’architecture vernaculaire : un déni de considération. L’architecture exceptionnelle du sud du Maroc connaît depuis quelques décennies un processus continu (et malheureux) de déperdition qui a fait l’objet de nombreux colloques et analyses de toutes sortes qu’il est impossible de résumer ici. Si l’on se limite à aborder la question sous l’angle des constructions nouvelles, une architecte qui connaît la région m’apprend que "la gestion de la construction dans ces territoires montagnards et ruraux s’opère aujourd’hui par le recours à une réglementation pensée d’abord et avant tout pour les villes", dans le cadre d’un processus décisionnel où les agences urbaines ont un droit de veto. Il existe un "flou juridique autour de la construction en technique traditionnelle et l’obligation d’un plan de structure béton pour l’obtention du permis de construire dans les zones qui y sont assujetties". D’un autre côté, trop peu nombreux sont les architectes familiers avec les caractéristiques de l’architecture de ces territoires et qui ont réfléchi à sa modernisation. Ce vide à la fois juridique et architectural a encouragé l’utilisation du ciment qui est en train de conduire à une disparition des modes de construction traditionnels "pourtant plus adaptés au climat et au cadre de vie”. Le programme post-séisme devrait donner l’occasion, aux autorités compétentes de clarifier la réglementation en tenant compte des spécificités des territoires ruraux et, aux architectes et autres corps de métiers impliqués, de "repenser la modernité avec les habitants afin d’aboutir à des modèles de développement des cultures constructives adéquats et pérennes".

- Le "désenclavement numérique" : une obligation qui tarde à se concrétiser. Le désenclavement prévu par le programme d’action post-séisme ne peut plus se comprendre comme intéressant les seules pistes ou routes. Il faut réaliser un "désenclavement numérique" qui s'inscrive dans une logique de développement humain, de productivité, de formation, de connectivité, d’interaction et même de justice. Le numérique enrichit la ruralité en créant des liens (par exemple entre coopératives d’un même secteur d’activité ou entre des collégiens situés dans des communes différentes), en stimulant le savoir (grâce à la diffusion de contenus en open source et en rendant possible l’enseignement à distance), en apportant de nouveaux services (marketing touristique d’un territoire, bancarisation, télémédecine…), en mettant l’internet à la portée de tous, etc. Ceci rejoint les conclusions de la Commission spéciale sur le modèle de développement, laquelle a recommandé la généralisation de l’accès à l’internet de haut débit, fixe et mobile, dans toutes les régions du Royaume. C’est également dans cet objectif que s’inscrit le Plan national pour le développement du haut et très haut débit (2018-2023) qui vise à faire du numérique un levier de changement dans plusieurs domaines, notamment dans la santé, l’enseignement et l’administration. Malheureusement les zones rurales restent très peu desservies et les coûts de connexion à internet par V-SAT sont élevés et hors de portée des familles (3.000 dirhams par an au minimum). Il serait donc utile d’établir dans chaque chef-lieu de commune un espace public numérique géré par les services communaux, dont l’objet serait de familiariser les citoyens (adultes et enfants) avec les technologies de l'information et de la communication et de leur rendre accessibles les possibilités de plus en plus nombreuses offertes par l’administration pour effectuer certaines démarches en ligne. Ne pas s’attaquer à la fracture numérique dont souffrent nos montagnes serait lourd de conséquences pour ses habitants et encore plus pour leurs enfants.

- Les associations : un gisement de valeur ajoutée insuffisamment exploité. Le renforcement du tissu associatif constitue un autre aspect possible de cette mise à niveau avant-gardiste. Le monde rural montagnard est riche en associations de tous genres. Dans l’une des communes de montagne de la province de Ouarzazate, on trouve une association pour la protection de l’environnement, une association pour le transport scolaire, une association pour le développement durable, une association pour la formation des collégiens au numérique, une association de gestion des urgences, une association pour la gestion de la maison des collégiens et collégiennes, une association des étudiants universitaires, etc. Certaines de ces associations bénéficient de subventions de la commune précitée. Cependant, peu parmi elles sont organisées de façon dynamique ou ont des ressources financières suffisantes pour avoir un impact significatif. Quelques très rares associations, fondées sur un modèle regroupant des membres locaux et des membres extérieurs (par exemple cadres, hommes d’affaires, intellectuels originaires de la région ou non) qui apportent des ressources financières et une expertise, ont pu produire des résultats intéressants. L’Agence de développement du Haut Atlas pourrait encourager ce modèle qui serait l’expression d’une réelle solidarité ville-montagne et qui permettrait aux associations locales d’intégrer de nouveaux savoir-faire, de renforcer leurs fonds propres et par conséquent de pouvoir mieux contribuer à la mise à niveau de leurs territoires.

- Les déchets domestiques : une bombe à retardement écologique et sanitaire. La gestion des déchets domestiques reste en effet rudimentaire (voire inexistante) dans nos villages. De par leur constante augmentation en poids et en volume et à cause de leur toxicité, les déchets ménagers non traités sont une source de dégradation continue de l'environnement. Plus ils augmentent, plus ils engendrent des coûts conséquents pour leur traitement. Le programme d’action post-séisme pourrait offrir une opportunité de recherche de solutions réalistes permettant d’améliorer la qualité de vie des citoyens, d’éviter des risques sanitaires et de créer des externalités positives par le recyclage. Il existe bien un programme national des déchets ménagers (PNDM) qui a pour objectif de développer la filière de "tri-recyclage-valorisation", mais uniquement dans les centres urbains. L’Agence de développement du Haut Atlas pourrait travailler avec le ministère de la Transition énergétique et du développement durable afin de proposer un modèle de gestion des déchets dans le monde rural fondé sur la collaboration entre les citoyens et les responsables communaux.

- Le tourisme rural : de réelles possibilités gâchées par une qualité médiocre. Autre source potentielle de valeur ajoutée, le tourisme rural reste mal organisé et mal encadré. Les établissements concernés (auberges, maisons d’hôtes, gîtes d’étapes, logement chez l’habitant) offrent des services inégaux et souvent insatisfaisants même s’ils sont en partie compensés par une réelle hospitalité. Un upgrade du tourisme rural apparait comme impératif. Il pourrait être soutenu par le ministère du Tourisme en liaison avec l’Agence de développement du Haut Atlas pour fournir une aide à la conception, à la réalisation, à la formation et à l’exploitation de projets touristiques ruraux d’un nouveau genre. On pourrait songer également à la mise en réseau des unités de tourisme rural pour leur fournir des services groupés de marketing et de gestion des réservations. L’écotourisme pourrait prendre une place prépondérante dans cette vision à condition de se hisser à un niveau satisfaisant de qualité et de service.

Quelle conclusion tirer de tout cela ? En moins d’une minute, les rescapés du terrible séisme d’Al Haouz ont perdu des mères, des pères, des sœurs et des frères, des oncles et des tantes, des cousins et cousines, des voisins, des amis. Plusieurs victimes ont développé un stress post-traumatique chronique provoquant des cauchemars, des flashbacks, une irritabilité continue, des comportements d’évitement. Certains ont du mal à dormir, à se concentrer, à étudier, à organiser leur journée de travail et leurs activités personnelles ou vivent dans la panique d'une nouvelle réplique. Beaucoup n’ont plus de maison et risquent de devoir passer l’hiver sous la tente. Ils auront en plus à déblayer leurs terrains et à construire une nouvelle demeure. Ces concitoyens ont besoin de soutien aujourd’hui et demain autant que pendant les jours qui ont suivi le séisme. La mobilisation doit se poursuivre et la meilleure façon de le faire serait d’engager avec force et sans délai la réalisation du plan post-séisme via une "gouvernance exemplaire" alliant "rapidité, efficacité, rigueur et résultats probants", comme le demande le Roi.

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