Nabil Adel

Enseignant-chercheur. Directeur d'un groupe de recherche en géopolitique et géoéconomie.

Pourquoi notre économie ne crée-t-elle plus de richesses et d’emplois ?

Le 2 mai 2024 à 13h59

Modifié 2 mai 2024 à 13h59

Le taux de chômage affiche un record insolent de 13,5% et s’achemine tranquilement vers les 15%, mettant à nu l'inefficacité des politiques du gouvernement de Aziz Akhannouch face à ce mal profond qui ronge la société marocaine. Cette situation est particulièrement inconfortable pour un exécutif qui avait promis la création d'un million d'emplois.

Aujourd’hui, les Marocains ont revu leurs ambitions à la baisse et souhaitent juste le maintien des emplois actuels. Jusqu'à présent, les différentes politiques d’emploi ont principalement misé sur le financement de la création d'entreprises et l'offre d'incitations diverses pour encourager l'embauche. Elles ont occulté les problèmes structurels qui entravent la création d’emplois et commencent désormais à en détruire. Ils sont au nombre de quatre.

Poids du secteur public

Notre croissance économique a été alimentée depuis un quart de siècle par l’investissement public et par le poids de la masse salariale dans l’administration, créant une demande éphémère et donc de la fausse croissance, car il ne s’agissait que d’une redistribiution des richesses et pas une création de celles-ci. Dans notre cas, ce fut pire, car non seulement on n’a pas réalisé de croissance, mais même la redistribution a été financée par de la dette. Nous avons payé grassement nos fonctionnaires par les ressources fiscales générées par le secteur privé et financé les investissements publics quasi intégralement par emprunt.

Ce modèle est arrivé à une impasse et présente trois limites majeures. La première est le coût financier élevé du secteur public qu’on fait peser sur le secteur privé. La deuxième est l’augmentation de la bureaucratie consubstantielle à l’hypertrophie de ce secteur. La troisième est que l’Etat ne crée pas directement de richesses, il ne fait que les distribuer. Plus il s’en accapare, moins il en reste pour le privé pour investir et créer de la richesse. A ce titre, les dernières augmentations de salaires dans la fonction public ne feront qu’accentuer le problème du chômage.

Taxe démographique

A long terme, la création de richesses dans une économie est principalement alimentée par le facteur travail, à savoir le nombre de travailleurs multiplié par la productivité moyenne de chaque travailleur. Or notre croissance fut tirée davantage par une base importante de travail (en termes d’effectifs), que par la productivité qui est restée très faibe pour raisons structurelles. Aujourd’hui avec notre déclin démographique accéléré, nous perdons sur les deux tableaux. Nous enregsitrons une lente évolution du facteur travail en nombre et une insuffisante productivité du capital humain pour la compenser.

L’un des symptômes de ce mal est que le salaire minimal au Maroc (37 mille dirhams par an) est proche du PIB par habitant (39 mille dirhams par an). Cette situation, inique et pour le moins dangereuse, signifie tout simplement que le Maroc n’amèliore les revenus de ses citoyens que par décision politique et non par une création effective de richesses. Un PIB par habitant bas est souvent le reflet d'une productivité économique limitée, en particulier dans des secteurs-clés tels que l'agriculture traditionnelle, le commerce de détail, et les services de base, où la productivité est généralement faible. Cette situation est exacerbée par la prédominance du secteur informel, qui, en dépit de son omniprésence dans les économies à faible revenu, reste majoritairement non régulé et mal payé, échappant ainsi aux statistiques officielles. La faible productivité influence directement les niveaux de salaire et limite les opportunités d'emplois bien rémunérés, forçant de nombreux travailleurs à accepter des postes peu lucratifs pour survivre. Cette dynamique pèse sur la croissance économique, car elle restreint l'amélioration du niveau de vie. Rompre ce cycle nécessite des investissements substantiels dans l'éducation, la formation technique, et la modernisation des infrastructures pour booster la productivité et, par conséquent, élever le PIB par habitant.

Faible niveau de rotation économique

La production d’un pays (PIB) est le produit du nombre de transactions dans l’économie et de la valeur moyenne de chaque transaction. Dans une économie sous-développée où la valeur moyenne par transaction est généralement faible, en raison de son insuffisante intensité technologique et de la prédominance du facteur travail non qualifié, on peut compenser et faire croître le PIB par une accélération du nombre de transactions.

Au Maroc, nous souffrons de lacunes structurelles qui ralentissent considérablement le rythme de transactions. La première est que le gros des commandes dans notre pays provient de son secteur public dont les délais d’exécution sont souvent très longs. La deuxième est la lenteur des cycles d’exploitation de nos entreprises (délai entre la prospection et le paiement de la prestation ou du produit) qui peuvent s’étaler sur plusieurs mois. La troisième est le nombre élevé d’interruption de ces cycles pendant l’année. Nous avons 10 jours de fêtes nationales et 8 jours de fêtes religieuses chomés payés (au même niveau que la Colombie à 18 jours et juste derrière le record mondial en Inde à 21 jours), un mois de Ramadan à faible productivité et des vacances annuelles qui démarrent dès fin juin jusqu’au mois de septembre.

Une économie en circuit fermé

La petite taille de notre économie et sa modeste croissance s’expliquent par la forte focalisation de notre modèle économique sur la demande interne. Nos entreprises se battent toutes sur le même gateau qu’est le marché intérieur qui ne progresse que peu en termes réels. Ainsi, la dynamique de création d’entreprises se heurte à une réalité implacable, à savoir l’étroitesse de notre marché intérieur et qui fait qu’il y en a de moins en moins pour les nouvelles créations, sauf à disposer d’un solide carnet d’adresses. Mais même dans ce cas, on règle le problème à l’échelle micro (pour l’entreprise nouvellement crée et qui dispose d’un bon relationnel), mais pas à l’échelle macro (car elle ne fait que prendre des commandes à une entreprise qui déjà existante).

Faire appel à un cabinet de consulting pour trouver des solutions à ce mal profond n'est pas aussi simple, même si l’idée parait séduisante. Si l'engagement d'experts externes était la clé, les nombreux pays confrontés à des taux de chômage élevés l’auraient fait et se seraient épargné tout le casse-tête qui accompagne la publication de chiffres élevés de chômage. Un cabinet de consulting procédera sans doute à une analyse exhaustive du problème, réitérant des conclusions souvent évoquées dans d'autres rapports, et effectuera un benchmarking des stratégies internationales pour finalement proposer une série de recommandations sur les secteurs à fort potentiel de création d'emplois. Il donnera à l'exécutif de bonnes idées, mais certainement pas le courage de mener à bien les réformes qu'il faut. Car penser qu'on pourra résoudre un problème aussi épineux, sans fâcher beaucoup de monde fait partie du "wishful thimking" qui nous a mené à la situation actuelle.

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