Marché du travail américain : un marché à plusieurs vitesses

Le 27 septembre 2013 à 9h07

Modifié 11 avril 2021 à 2h35

  NEWPORT BEACH – Politiciens et économistes se joignent désormais aux investisseurs dans le cadre d’un rituel qui se tient habituellement le premier vendredi de chaque mois, se livrant à un exercice aux conséquences importantes pour les marchés mondiaux : anticipation, internalisation et réaction face au rapport sur l’emploi publié mensuellement par le Bureau américain des statistiques du travail (BLS). Ces dernières années, ce rapport a considérablement évolué – ne fournissant plus seulement une analyse de l’état passé et actuel de l’économie, mais formulant également désormais de plus en plus d’indications quant à son avenir.  

Le rapport du BLS sur l’emploi consiste en quelque sorte en un examen mensuel complet du marché du travail américain. Entre autres statistiques intéressantes, il nous informe sur le nombre d’emplois créés et les secteurs concernés, nous éclaire sur l’évolution des salaires et des heures travaillées, ainsi que sur le nombre, l’âge et le profil académique des personnes recherchant un emploi.

Malgré la richesse de ces données, deux indicateurs ont particulièrement tendance à monopoliser l’attention : premièrement, le nombre net mensuel d’emplois créés (qui s’est élevé à 169 000 en août), et deuxièmement le taux de chômage (qui a atteint 7,3% au mois d’août, soit son niveau le plus faible depuis décembre 2008). Ces deux indicateurs mettent en évidence une amélioration progressive et régulière de l’état général du marché du travail.

Il s’agit bien entendu d’une bonne nouvelle. Hier encore, le nombre d’emplois créés était négatif, et le taux de chômage atteignait 10%. Seulement voilà, ces chiffres bruts ne font pas toute la lumière sur ce qui nous attend.

Les chiffres mensuels relatifs au nombre d’emplois créés s’avèrent, par exemple, faussés par l’importance croissante de l’emploi à temps partiel, et échouent à restituer cette réalité que constitue la stagnation des salaires. Par ailleurs, le taux de chômage brut fourni par ce rapport ne reflète nullement l’augmentation du nombre d’Américains ayant quitté la population active – un phénomène clairement illustré par le déclin d’un taux de participation au marché du travail atteignant désormais tout juste 63,2%, son pourcentage le plus bas en 35 ans.

Pour se faire une idée véritable de l’état de santé du marché du travail, il nous faut regarder ailleurs que dans le rapport du BLS. Ce que nous apprennent un certain nombre d’autres chiffres – s’agissant du présent comme de l’avenir – est loin d’être rassurant.

Prenons par exemple les statistiques relatives à la durée des périodes de chômage. Plus une personne voit cette période se prolonger et plus il est en effet difficile pour elle de décrocher un emploi à plein temps accompagné d’un salaire décent.

Au mois d’août, le BLS a fait état de 4,3 millions d’Américains en situation de chômage longue durée, soit 37,9% du nombre total de chômeurs – chiffre des plus inquiétants, dans la mesure où la crise financière mondiale remonte tout de même à cinq ans. N’oublions pas non plus que ce chiffre ne prend pas en compte le nombre non négligeable d’Américains qui, découragés, ont tout simplement décidé d’abandonner leur recherche d’emploi. Ainsi, le pourcentage de personnes employées par rapport à la population totale tourne plus réalistement autour de seulement 58,6%.

Le taux de chômage des jeunesconstitue lui aussi un indicateur sous-évalué, s’élevant à un niveau alarmant. En raison d’un manque de continuité d’expérience au début de leur carrière professionnelle, beaucoup trop de jeunes américains (22,7%) risquent de passer du statut de chômeur à celui d’individu inemployable.

Interviennent ensuite un certain nombre d’indicateurs établissant un lien entre le niveau de scolarité et le statut professionnel d’une personne donnée. L’aspect le plus notable en la matière réside dans le creusement de l’écart entre les titulaires d’un diplôme universitaire (concernés par un taux de chômage de seulement 3,5%) et les individus n’ayant pas obtenu de diplôme d’études secondaires (11,3%).

Loin de confirmer le paradigme d’une amélioration progressive et régulière de la situation, ces chiffres désagrégés témoignent d’un marché du travail à plusieurs vitesses et présentant une extrême segmentation – caractéristiques qui pourraient bien s’ancrer de plus en plus profondément dans la structure de l’économie. Si la tendance actuelle se prolonge, il est probable que le rapport du BLS continue d’évoluer d’une photographie du passé et du présent vers un outil de prévision de l’avenir.

Nul ne saurait nier le fait que le caractère inégal de la reprise du marché du travail américain est en grande partie lié aux écarts structurels et politiques mis en évidence par la crise financière internationale de 2008, ainsi que par la récession qui a suivi. L’économie éprouve encore aujourd’hui de grandes difficultés à offrir un nombre suffisant d’emplois à tous ceux qui étaient auparavant employés dans des activités axées sur l’endettement qui ne sont désormais plus viables (sans même évoquer leur caractère souhaitable ou non).

Par ailleurs, les établissements scolaires américains, notamment aux niveaux primaire et secondaire, continuent de glisser vers le bas de l’échelle mondiale, réduisant la capacité des Américains à tirer parti de la mondialisation. Dans le même temps, les emplois existants et nouvellement créés sont loin d’offrir des salaires en hausse. Quant à la polarisation politique, elle restreint encore davantage les possibilités de réponses politiques tactiques et structurelles efficaces.

La combinaison de ces facteurs se révèle particulièrement défavorable pour les catégories les plus vulnérables de la population américaine – et notamment pour les individus ne jouissant que d’un niveau académique limité, les nouveaux arrivants sur le marché du travail, ainsi que tous ceux qui n’ont pas travaillé pendant une période prolongée.

Ainsi, malgré l’augmentation du nombre net d’emplois créés, et le maintien d’une trajectoire à la baisse du taux de chômage – éléments tous deux extrêmement positifs – l’évolution du marché du travail risque d’accentuer, et non de contrer, les inégalités significatives qui existent d’ores et déjà en termes de revenus et de richesses, ainsi que d’aggraver la pauvreté. Les mécanismes de solidarité sociale, eux-mêmes déjà surchargés, s’en trouveraient soumis à une pression encore plus considérable. Tout ceci aboutirait par ailleurs à une amplification plutôt qu’à une atténuation de la polarisation politique, menaçant encore davantage un certain nombre d’autres priorités politiques urgentes.

Si cette interprétation se révèle exacte, il est nécessaire que l’attention accrue accordée aux indicateurs mensuels phares du BLS s’accompagne d’une analyse plus large, et d’un état d’esprit différent. Ce rapport constitue après tout bien plus qu’un simple tableau d’affichage des performances de l’Amérique face à des défis économiques, politiques et sociaux persistants ; il devrait également s’agir d’un appel urgent en faveur d’efforts correctifs ciblés à la fois de la part du gouvernement et des entreprises.

La mise en place d’une combinaison plus appropriée de politiques budgétaires, monétaires, et autres mesures soutenues destinées à accroître la productivité et la compétitivité, demeure nécessaire pour répondre aux défis du marché du travail américain. Pour autant, ces conditions ne seront pas suffisantes.

Il est indispensable que le secteur public comme le secteur privé – que ce soit dans leur individualité ou à travers des partenariats adaptables et durables – réfléchissent beaucoup plus sérieusement à la mise en place de programmes de réorientation professionnelle et de réorganisation, à la promotion de la mobilité du travail, ainsi qu’à la mise en œuvre de formations professionnelles et autres programmes de stages. La désignation par le président Barack Obama d’un «tsar de l’emploi» contribuerait également à renforcer la crédibilité, la responsabilité et la coordination nécessaires pour surmonter les défis de plus en plus considérables s’agissant aujourd’hui de l’emploi.

Alors oui, il est fort probable que les chiffres présentés sous leur forme la plus brute continuent d’indiquer une amélioration générale du marché du travail. La tâche la plus urgente consiste ainsi à faire en sorte que les progrès durables ne soient pas mis à mal par les tendances compositionnelles que souligne mois après mois le rapport du BLS.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2013


 

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