Mohammed Benmoussa

Économiste, acteur politique et militant associatif, membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement.

L'Istiqlal: la paix des braves

Le 24 novembre 2015 à 13h30

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

Les réflexions que je propose de partager dans cette tribune sont celles que je destinais à mes camarades du Conseil National du Parti de l'Istiqlal, qui s'est finalement tenu le samedi 21 novembre dans une affluence massive des membres. 

Les demandes d'intervention au débat furent tout aussi massives: pas moins de 220 demandes ont été enregistrées, dont celle de votre modeste serviteur. C'est plus du quart de la salle qui pensait avoir quelque chose de pertinent à apporter au débat! Soit.

Seuls 80 militants ont eu la parole, dont je n'ai pas eu la chance de faire partie, tous allant dans la même direction: d'une part, une réprobation violente du Comité exécutif qui aurait enfreint le droit interne du parti en fixant un ordre du jour, la convocation du Congrès ordinaire à réunir extraordinairement, qui ne relèverait pas de ses compétences mais de celles du Conseil national et, d'autre part, le plébiscite à la personne du Secrétaire général.

Aucun membre du Comité exécutif n'a pris la parole pour tempérer les attaques du Secrétaire général contre le Makhzen, ni justifier la pertinence d'un Congrès avant l'heure, et encore moins pour tenter d'infléchir la position de la salle. La victoire de Hamid Chabat fut totale. La démocratie a dit maintenant son dernier mot et elle doit être respectée à la lettre, en dépit des réserves légitimes sur le déroulement du débat où les voix dissonantes n'ont pu s'exprimer.

La légitimité de Chabat à l'intérieur des organes du parti est confirmée. Par contre, ce qui est en cause, c'est la représentativité du Conseil national, qui ne reflète que très imparfaitement la variété des profils et la richesse des sensibilités de la société marocaine. Mais il s’agit un autre sujet et d’un travail au long cours.

La question centrale est désormais d'infléchir la ligne politique du parti, de rehausser le niveau de son message public, de définir un projet de société novateur et de construire un programme économique performant. Ces points structureront l'avenir du pays s'ils sont portés par de nouvelles personnalités qui sauront se hisser à la hauteur des enjeux du présent.

Nos concitoyens observent l'Istiqlal avec exigence et, disons le franchement, avec colère. Cette colère, ils l'ont déjà exprimée à l'occasion du scrutin électoral communal et régional du 4 septembre dernier, lorsqu'ils ont décidé de refuser au parti de la balance leur confiance dans les grandes villes et les principales régions du Royaume, pourse donner en masse aux deux extrêmes mortifères pour la démocratie: l'éthique religieuse érigée en modèle politique et la prise du pouvoir politique érigée en religion.

La hauteur d'esprit commande aujourd'hui de reconnaître que le parti est co-responsable de la situation politique dégradée de notre pays, marquée par une opinion publique colérique, déprimée, lassée de ses représentants politiques et vulnérable aux discours trompeurs des extrêmes. Nous sommes collectivement responsables. Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur les erreurs de stratégie politique de l'Istiqlal et sur les maladresses de son équipe dirigeante.

Exerçant mon droit et mon devoir à l'autocritique en ma qualité de militant, j'ai participé à cet exercice en transparence et en responsabilité. Ce que je dis, je l'écris. Et ce que j'écris, je le signe. Ces écrits sont publics. Inutile donc d'en rajouter en vous présentant une exégèse des échecs médiatiques, électoraux, politiques et éthiques de l'Istiqlal.

En revanche, l'heure du renouveau et de la reconquête a sonné et c'est dans cet état d'esprit qu'il faut s'inscrire aujourd'hui pour préparer les prochaines échéances électorales. Je vous propose donc des réponses à trois questions, qui me semblent fondamentales. D'abord, quelle est la raison d'être de l'Istiqlal? Ensuite, que doit-il faire pour organiser son avenir? Enfin, comment doit-il procéder?

Quelle est la raison d'être de l'Istiqlal?

Etre un Istiqlalien, ce n'est pas anodin. C'est vite dit, mais cela a du sens, pour moi comme pour tous les militants et les sympathisants. J'en suis convaincu. Ce n'est pas rien d'être un Istiqlalien, surtout dans le contexte politique actuel de notre nation. Je ne vous apprendrai pas quelle est la définition d'un Istiqlalien, et il y aurait meilleur professeur que moi, surtout face aux grands témoins de la pensée Istiqlalienne, face à M'hamed Boucetta, Labbès El Fassi, M'hamed Douiri, Abdelkrim Ghellab et Moulay M'hamed El Khalifa.

Mais cela suppose, quel que soit le choix de chacun, quelque soit son parcours politique ou sa construction intellectuelle, une qualité majeure: le refus instinctif ou raisonné de la soumission et la quête permanente et résolue de la liberté. Raisonné, car les lois de la raison sont aussi les lois de l'Istiqlal. Résolue, car la détermination fait partie de l'ADN de l'Istiqlal.

Jadis, ces qualités distinctives ont permis à cette formation politique de conquérir l'indépendance de notre pays. Elles ont ensuite favorisé le développement économique et social du Maroc durant des décennies et ont permis d'ancrer la société marocaine dans la modernité et autour de toutes les formes de libération.

La première de ces libérations, qui commande toutes les autres, est la libération politique, celle qui garantit les droits individuels et collectifs. Mais il y a aussi la libération de l'exploitation de l'homme par l'homme dans les structures économiques, et les autres formes de libérations, culturelles, linguistiques, associatives...

Ces qualités distinctives sont enfin les meilleures armes politiques pour bâtir le Maroc de demain, un Maroc qui repose sur une Constitution rénovée en conformité avec les meilleurs standards internationaux, et un Maroc qui s'inscrit pleinement dans la mondialisation et la géostratégie planétaire pour occuper une place de choix dans le concert des nations.

Que doit-il faire pour organiser son avenir?

L'élite intellectuelle de l'Istiqlal doit mener un débat interne en profondeur. Si cet exercice est réalisé de façon constructive, dans la sérénité et le respect mutuel des avis divergents, et donc animé par la raison et non par la passion, les réunions du Conseil National et du Comité exécutif seront une fête démocratique et le parti en ressortira grandi quelles que soient les décisions qui seront prises. Dans le cas contraire, le parti serait précipité dans les dédales de l'insignifiance aux yeux des Marocains.

Les Istiqlaliens doivent donc débattre loyalement entre eux, s'écouter mutuellement, se respecter, se convaincre et, en fin de compte, se rassembler autour d'une ligne politique et d'une équipe de direction, si ce n'est consensuelles, du moins largement majoritaires. Ils doivent avoir un devoir de vérité envers eux-mêmes. Ils doivent reconnaître les réalités sans agressivité, mais avec franchise et sens de la responsabilité, telles qu'elles sont, sans les travestir ou les dévoyer.

Ils doivent mettre leurs égos personnels entre parenthèses, pour se consacrer collectivement à l'intérêt suprême de leur famille politique et de leur pays. Ils doivent témoigner fidèlement de ce qui leur remonte du terrain et de ce qui émane des leaders d'opinion du pays.

Feindre un consentement de façade ou une satisfaction d'apparence serait une preuve d'irrespect à l'égard même des dirigeants du parti, comme une insulte à leur intelligence. Le trouble profond dans lequel vit l'Istiqlal, doit être reconnu et cette reconnaissance doit être accompagnée de mesures d'urgence. Ce ne sont pas les personnes qui sont en cause, mais la ligne politique qui est à reconsidérer. Ce ne sont pas les performances individuelles qui sont contestées, mais la cohérence et la lisibilité d'une stratégie politique qui fait défaut et crée un malaise auprès de l'électorat.

C'est pourquoi, je considère que le Secrétaire général et l'équipe dirigeante de cette formation politique se grandiraient en partageant lucidement avec les militants et l'opinion publique ce constat implacable et en remettant en cause plusieurs éléments structurants du parti. Cette attitude de responsabilité permettra à la pensée et à l'organisation du parti de respirer, de se régénérer, afin de favoriser les conditions de son renouveau et de préparer les prochaines victoires électorales.   

Comment doit-il procéder?

La troisième question, et c'est probablement la plus importante, concerne le mode opératoire. Reproduire les méthodes du passé, instituer le moment venu une commission préparatoire du Congrès composée d'une centaine de membres, c'est s'assurer d'une perpétuation des mêmes erreurs et, forcément, des mêmes résultats insatisfaisants. C'est pourquoi, je propose un nouveau mode opératoire qui inscrira indubitablement l'Istiqlal dans la voie de la modernité. Ce mode opératoire repose sur 10 actions:

1- Enterrer les querelles de personnes et unifier l'équipe de direction actuelle, à charge pour le Secrétaire général d'associer au pilotage stratégique du parti de nouvelles sensibilités plus en phase avec les attentes des citoyens et en meilleure capacité de relever les enjeux du pays.

2- Installer une équipe ad hoc restreinte, formée d'un trio rénové de dirigeants émérites, aux compétences et à l'exemplarité reconnues, qui sera chargée de définir un plan d'urgence de redressement du parti, de proposer le programme électoral pour les législatives de 2016 et de penser le modèle social, politique et économique que le parti incarnera pour la prochaine décennie.

3- En perspective du prochain Congrès, réécrire les Statuts et le Règlement intérieur du parti pour les mettre en phase avec les attentes des citoyens, asseoir les bases d'une démocratie interne renforcée et favoriser l'expression pluraliste des idées politiques émanant de l'élite du parti.

4- Transférer le pouvoir d'élire le Secrétaire général du Conseil national aux militants et aux sympathisants du parti et supprimer toutes les entraves juridiques ou organisationnelles à la candidature à cette responsabilité, pour respecter les principes de la vraie démocratie interne, stimuler le pluralisme et favoriser le renouvellement des élites de direction.

5- Consulter les militants et les sympathisants à travers l'organisation d'une primaire à deux tours, où la collecte des votes par les moyens numériques sera aménagée.

6- Adopter un mode de scrutin majoritaire à deux tours, les deux premiers candidats recueillant le plus grand nombre de suffrages exprimés étant habilités à se représenter au second tour.

7- Faciliter aux candidats la possibilité de transmettre leur programme aux adhérents du parti et d'organiser des débats internes.

8- Donner une exposition nationale et internationale de grande envergure par tous les moyens de communication audiovisuels, écrits et numériques au débat du second tour entre les deux candidats finalistes.

9- Faire en sorte que le parti ne soit plus un lieu de reproches réciproques et de confrontations stériles pour des égos démesurés en recherche désespérée de strapontins, ou un lieu de complaintes et de retours vers le passé, fût-il glorieux.

10- Faire en sorte que le parti de l'Istiqlal devienne un cadre politique de référence pour les débats d'idées, les rencontres idéologiques et intellectuelles, le dialogue citoyen et surtout un outil de premier ordre pour l'action politique et les projets d'avenir.

Pour conclure, je suis pour que la vocation majoritaire de l'Istiqlal soit perpétuée. Je souhaite que le parti prenne le pouvoir par la démocratie, par la volonté d'un peuple souverain qui le choisit en conscience et avec raison.

Mais si la conquête du pouvoir est le dessein naturel et légitime de l'Istiqlal, elle n'est pas suffisante à elle seule pour réussir la transformation de la société marocaine, qui requiert avant tout la prise de conscience des masses populaires et la prise de conscience des militants et des dirigeants de l'Istiqlal eux-mêmes.

Dans ces conditions, la clé de leur succès, de leur crédibilité, c'est le rassemblement. Ils doivent rassembler, au delà de leurs personnes, de leurs nuances, de leurs groupes et de leurs tendances, tous les courants du parti. Inutile de faire la liste de ceux-ci. Elle serait forcément incomplète et réductrice.

Les personnalités de l'Istiqlal, elles sont nombreuses, parfois méconnues à l'intérieur même de cette famille politique. Et c'est toute la force de l'Istiqlal, pourvu qu'elles sachent se rassembler et non se neutraliser, se régénérer et non se cloner ou hiberner.

Il serait inconvenant pour moi d'achever cette tribune sans dire combien il est indispensable pour l'Istiqlal de reprendre parmi les siens les membres de l'association Bilahawada. Ils sont Istiqlaliens, autant que tous les autres militants.

Le parti doit rappeler tous les militants qui ont pris de la distance par rapport à lui pour une raison ou une autre. Il doit retisser le lien avec ses sympathisants. Il doit regagner la confiance des Marocains. Cela vaut la peine. Cela est son intérêt. Cela est sa raison d'être. Cela est son devoir. L'histoire l'observe. Qu'il en soit à la hauteur.

Pour suivre l'auteur Mohammed Benmoussa: www.mohammedbenmoussa.com

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