El Mehdi Darmouch

Cadre au ministère de l’Economie et des finances

Les marchés financiers et les comportements irrationnels

Le 17 février 2016 à 13h58

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

Jusqu’à quel point la finance peut-elle être bénéfique à l’économie? Un papier de la Banque des règlements internationaux[1] suggère que le développement de la finance peut être positif à l’économie uniquement jusqu'à un seuil à partir duquel elle devient plutôt un frein. En effet, si le système financier devient surreprésenté dans l’économie, il pourrait désormais produire un effet similaire au phénomène de la malédiction des ressources (resource curse)[2].

L’impact négatif de l’effet de taille de la finance est généralement expliqué par l’accaparement de la main d’œuvre qualifiée en raison des rétributions élevées et par l’orientation du financement bancaire aux crédits adossés à des garanties solides, comme l’immobilier, avec comme conséquence la privation des secteurs les plus productifs des liquidités[1].

Mais au-delà de cette explication par des facteurs externes, c’est le fonctionnement même de la finance, en particulier du marché financier, qui est en cause, dans la mesure où les prédictions qui y sont formulées reposent sur des modèles économiques ayant pour simple postulat que les humains sont des êtres rationnels ou des homo economicus[2]. Dans ce cas, ce qui est dommageable pour l’économie, c’est la volatilité excessive du marché financier et la récurrence des crises financières.

Prenons le cas du marché actions, lorsqu’il emprunte un parcours de montagnes russes, cela se passe ainsi: on sait que les fluctuations du marché résultent de l’estimation des cash flows futurs d’une société qui dépend, notamment, des taux d’intérêt, de la volatilité historique de l’action rapportée à celle du marché et du coût d’opportunité (le coût de renoncement à un autre placement). La valeur future des cash flows est estimée, à titre d’exemple, par le "Price earning ratio" (PER). Ce ratio peut donc s’interpréter comme la valeur que le marché attribue à l’évolution des bénéfices courants d’une société. A des prédictions optimistes soutenues (prix courants inférieurs aux prix espérés) les cours entrent dans un marché du taureau (bull market). Toutefois, lorsque les PER deviennent irréalistes, généralement par rapport à l’état de l’économie réelle, les cours seraient dans le besoin de chuter jusqu’à la restauration de ces ratios, à un niveau que les investisseurs croient réaliste.

La survenance et la récurrence d’une telle volatilité excessive, le cas échéant, ne sont pas expliquées par les théories traditionnelles de la finance basées sur "l’Hypothèse du marché efficient" d’Eugene Fama: les prix actuels reflètent en tout temps toute l’information disponible.

En effet, comme l’a démontré Robert Schiller, des déviances de comportement font apparaître une volatilité des cours des actions nettement plus forte que la volatilité des dividendes portée par des effets tels que le momentum des prix: les prix ont tendance à se hisser par le simple fait de leur dynamique interne[3].

Pour analyser ces déviances de comportement, l’économie comportementaliste s’attache à mettre en évidence l’existence des "biais de prévisions" qui sont dus à la capacité limitée des agents à utiliser l’information disponible[4]. Il s’agit, notamment, de la sous-estimation des marges d’erreur, de la caractérisation ambivalente des situations présentes et futures et de la réticence à abandonner des jugements construits, de sorte que les prix n’incluent pas, au moins dans l’immédiat, toute l’information disponible, comme l’affirme l’hypothèse du marché efficient. De plus, la persistance de la "loi des petits nombres", ce biais cognitif qui consiste à donner aux observations partielles plus que leur probabilité peut en révéler, perturbe aléatoirement la formation des prix.

Dans une perspective de groupe, le marché affiche une mentalité de troupeau, de nature à renforcer cette propriété du momentum propre aux actifs financiers, qui fait qu’ils ne ressemblent pas aux autres biens économiques, puisque leur demande augmente avec leur prix. De même, lorsque la confiance vacille, comme avant l’éclatement d’une bulle[5], tous les agents paniquent dans des réactions mimétiques et cherchent à se débarrasser de leurs actifs, ce qui affecte même les valeurs saines.

Dans sa "Théorie générale", Keynes écrivait que "les connaissances qui permettent d’évaluer ce que rapporteront dans dix ans un chemin de fer, une mine de cuivre, une usine de textile, un médicament breveté, un paquebot ou un immeuble de la Cité sont dérisoires, pour ne pas dire nulles. Si les hommes ne disposent que d’informations aussi approximatives, comment prennent-ils leurs décisions ? Elles résultent de leurs esprits animaux, d’un besoin spontané d’agir. Contrairement à ce que nous enseigne toute théorie économique rationnelle, nos décisions ne sont pas le résultat d’une moyenne compensée des bénéfices quantitatifs multipliés par des probabilités quantitatives".

Comme on l’a vu, l’irrationalité des agents ne provient pas seulement du fait qu’ils disposent d’une information approximative ou imparfaite, mais parce qu’ils présentent une capacité limitée à utiliser cette information à des fins de prise de décision, du fait qu’ils n’obéissent pas à des motivations strictement économiques.

L’économie comportementaliste présente à cet égard un champ de recherche émergent, qui rappelle que les sciences économiques sont d’abord des sciences sociales. De Robert Schiller (l’Exubérance irrationnelle) à Richard Thaler (Misbehaving: The making of behavioral economics), ce champ de recherche est capable de rendre compte des anomalies sur les marchés financiers que les théories classiques de la finance ne parviennent pas expliquer, permettant ainsi une meilleure régulation des forces sous-jacentes de la finance.



[1]Même en période de difficulté, la taille du système financier est plus ou moins protégée par ce que la théorie des choix publics appelle la recherche de rente (rent-seeking) – soit le gain économique obtenu par l’intervention des pouvoirs publics pour maintenir la confiance des dépositaires et prévenir le risque systémique.

[2]"What’s wrong with finance? ", Philip Coggan, The economist (Mai, 2015).

[3]Du côté des travaux de Fama, l’effet momentum exprime seulement une prise de risque latente, qui espère une récompense suivant le Modèle d’évaluation des actifs financiers (Capital asset pricing model), qui consiste à dire en substance que plus l’actif est risqué, plus il offre un meilleur rendement. Le risque ici est représenté par le Beta, rapport qui compare les mouvements effectués par le cours d’une action à son marché de référence.

[4] Voir une présentation des quelques thèses à ce sujet dans "Finance comportementale et volatilité", Pollin Jean-Paul,  Revue d'économie financière, n° 74 (2004).

[5]Sur le risque de l’éclatement de la bulle obligataire, voir l’entretien avec Patrick Artus, http://bit.ly/1Qh6KAh.

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