Ngaire Woods

Doyen de la Blavatnik School of Government 

Les institutions globales après la crise

Le 16 septembre 2013 à 8h59

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

OXFORD – Lorsque Lehman Brothers s’est effondrée et que la crise financière globale a éclaté il y a cinq ans, beaucoup y ont vu une opportunité : la promesse d’une gouvernance économique globale plus efficace. Mais en dépit des initiatives, le monde reste encore très loin d’y parvenir.  

Le Financial Stability Board (Conseil de stabilité financière, CSF), établi à la suite du sommet du G20 de Londres en avril 2009, n’a pas de mandat légal ou de pouvoirs coercitifs, ni de processus formels pour inclure tous les pays. Le Fonds Monétaire International attend toujours le doublement de son capital (un autre vœu des premiers temps), alors que ses ressources existantes sont fortement rattachées à l’Europe et que ses réformes de gouvernance sont à l’arrêt. La Banque Mondiale a reçu une modeste augmentation de ressources, mais elle doit encore se donner la capacité de prêter rapidement et globalement, au-delà des emprunteurs et des dispositifs de prêts déjà existants, et la courbe de ses revenus est en baisse.

Il n’a pourtant jamais été aussi urgent d’établir une gouvernance économique globale et efficace. Les banques et les autres firmes financières fonctionnent de manière internationale, grandement aidées en cela par des règlementations d’ouverture des marchés ancrées dans les traités commerciaux et d’investissements, mais sans une obligation juridique contraignante de provisionner leurs propres pertes de manière adéquate lorsque les choses tournent mal. Les risques massifs ont plutôt été supposément tenus à distance par des standards volontaires promulgués par un patchwork d’organisations publiques et privées de «normalisation».

La crise a fait la preuve de l’inadéquation de ce système. Les titans de Wall Street et de la City de Londres se sont retrouvés massivement sur-endettés. Grâce à leurs extraordinaires profits lorsque leurs paris s’avéraient gagnants, ils ont pu assoir leurs pouvoirs financiers et politiques – dont ils jouissent encore –, laissant aux contribuables le soin de les renflouer lorsque leurs paris étaient perdants.

Le G-20 a promis des institutions globales plus fortes pour éviter que cela ne recommence. Mais le CSF n’est pas un régulateur global fondé sur un traité avec des pouvoirs de renforcement de la loi. Il reste un «normalisateur», dans un monde qui incite à contourner les normes, et dans lequel les sanctions sont négligeables lorsque c’est le cas. En outre, bien que les normes du CSF soient ostensiblement «universelles», il ne représente pas l’ensemble des pays et ne possède pas de mécanismes formels pour les informer et les consulter.

Les régulateurs sont confrontés à un véritable travail de Sisyphe, compte tenu de l’absence de soutien politique constant et fort pour contrer les titans de la finance. Le secteur financier, dont les ressources sont importantes, pratique un lobbying intense auprès des gouvernements les plus influents en matière de finance globale. Les réformes du FMI, autre pilier de la gestion financière globale, ne peuvent être introduites sans l’aval du Congrès américain – et rien n’indique que ce sera le cas. Même le nouveau Bâle 3 pour les standards bancaires a été dilué et retardé.

Pour le Brésil, la Russie, l’Inde, et la Chine, le retard pris dans la mise en place des réformes du FMI est un réel souci. Ils sont devenus d’importants contributeurs du fonds commun de prêts d’urgence (les nouveaux accords d’emprunt, NAE) immédiatement après la crise et fournissent désormais 15,5% des ressources de ce nouvel outils. Mais ils n’ont toujours pas bénéficié d’une voix plus lourde et du pouvoir de vote – proportionnel à leur statut en tant que quatre des dix plus importants actionnaires du FMI. Même le choix du directeur de l’organisation demeure un droit seigneurial européen.

Plus sérieusement, il est étonnant que 89,2% des ressources générales du FMI reviennent à des pays européens, dont 68% se concentrent sur trois d’entre eux (la Grèce, le Portugal, et l’Irlande). Les ressources du FMI ne sont ni adéquates ni disponibles pour répondre à une crise ailleurs dans le monde.

De même, l’engagement du G20 de 2009 de protéger les pays et les communautés les plus pauvres et les plus fragilisés par les effets de la crise n’a toujours pas été respecté. La Banque Mondiale est au cœur de ces efforts, parce qu’elle peut mutualiser les risques et compenser la versatilité des flux des aides officielles et du secteur privé, ce qui crée, du point de vue des donateurs, des profils de «favoris» (comme le Rwanda) ou «d’orphelins». Mais alors que la Banque a plus que doublé ses prêts par rapport aux quatre années qui ont précédé la crise de 2008, ce résultat s’est appliqué aux emprunteurs de premier rang déjà existants. Les pays frappés par la crise qui n’étaient pas déjà emprunteurs ont été largement ignorés.

Le fait que la banque ne soit pas parvenue à prêter à de nouveaux clients reflète sa lenteur. Même à la suite de l’accélération de son cycle de prêt, la Banque a pris près de 13,5 mois en moyenne pour approuver les crédits – un temps très long pour un pays qui attend une aide «d’urgence».

Mais la banque est aussi freinée par des contraintes de ressources plus compliquées, dans la mesure où les plus grosses infusions de capitaux réalisées après la crise sont allées aux banques de développement régionales. Le capital de la Banque Africaine de Développement a été augmenté de 200%, tout comme celui de la Banque de Développement Asiatique. La Banque de Développement Inter-Américaine a reçu une augmentation de 70%. Dans le même temps, la Banque Mondiale a reçu une augmentation de 30%, tandis que son organe de prêt pour les pays les plus pauvres, l’Association Internationale de Développement, n’a vu son capital augmenter que de 18%. Mais surtout, il n’est pas évident que la Banque parvienne à obtenir l’engagement des économies émergentes, dans la mesure où le Brésil, la Russie, l’Inde, et la Chine, qui ont engagés de substantielles ressources dans le FMI, ne participent qu’à hauteur d’environ 1% au financement de l’AID.

Plus aggravant pour les problèmes financiers de la Banque, ses créanciers puissants ont préféré se retirer de ses dispositifs de prêts de manière à protéger ses ressources. En conséquence, comparé aux banques régionales de développement, la Banque prêtera moins à ses clients payant une participation, et qui rapportent des revenus, et s’engagera plus dans les «prêts concessionnels» qui n’en rapportent pas.

La crise de 2008 a souligné le besoin d’une coopération internationale pour réguler la finance et limiter les effets de la crise. Pourtant, les ressources et les instruments globaux nécessaires à la gestion de la prochaine crise (ou même pour l’éviter) n’ont pas encore été assurés. Les régions et les pays trouvent donc discrètement par eux-mêmes les moyens de gérer leurs finances, créer des fonds communs d’aide d’urgence et renforcer le financement du développement – une issue qui annonce un ensemble de régimes réglementaires plus fragmenté et décentralisé et une modeste dé-globalisation de la finance et de l’aide.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

© Project Syndicate 1995–2013


 

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