Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Les cartels, ces multinationales de la drogue

Le 19 janvier 2024 à 17h12

Modifié 20 janvier 2024 à 8h05

Les récentes révélations sur le "narco-trafic" qui a secoué le monde politico-sportif marocain ont démontré des ramifications internationales dont il faudrait bien tenir compte.

Les crimes transfrontaliers, comme le terrorisme, la traite des êtres humains, le trafic des armes et des drogues, dépassent généralement les capacités des États qui ne peuvent en venir à bout qu’à travers une coopération internationale efficace et de tous les jours.

Ces phénomènes transnationaux d’envergure s’inscrivent dans des cartels aussi bien puissants et dangereux que difficiles à démanteler. Les récents évènements en Équateur et l’évasion de l’ennemi public numéro Adolfo Macias démontrent la dangerosité du phénomène. Dans son aspect économique, un cartel c’est l’entente établie entre des producteurs, ayant des activités similaires, en vue de contrôler un marché, créer des monopoles, et partager les dividendes. Le but ultime étant de rendre difficile l’entrée de nouveaux concurrents, de maximiser les profits au-delà des lois établies.

Organisation des cartels

Les cartels de drogue usent par contre du commerce des matières illicites avec, en sus, l’usage de la violence. Ils sont une forme élaborée entre les groupes de producteurs et de distributeurs qui mènent, de concert, des actions communes et concertées, pour écouler leurs productions et contrôler les marchés. Ce sont des organisations criminelles intercontinentales qui contrôlent la production, la distribution et l’écoulement de toutes les drogues, et en priorité les drogues dures qui rapportent le plus, avant le blanchiment de l’argent sale récolté.

Ces cartels sont apparus sur la scène mondiale au début du siècle dernier à partir des Etats-Unis. Ils se développèrent rapidement grâce à la forte demande des consommateurs de stupéfiants dans les années soixante, avant de s’étendre sur plusieurs pays latino-américains dans les années quatre-vingt, aidés en cela par les coups d’Etat militaires encouragés par Washington. En ces années, les pays de la région étaient phagocytés par des organisations criminelles qui avaient pris le contrôle de chaque étape, de la production de drogue à sa distribution.

Le trop plein d’argent acquis qui s’en est suivi, mena vers la même logique qu’on observera dans plusieurs pays par la suite. Blanchiment, corruption, assauts sur les institutions représentatives, puis acquisition des armes pour défendre les intérêts des cartels et éventuellement éliminer les adversaires. La guerre des cartels au Mexique a fait entre 2000 et 2012, au moins cent mille victimes sans compter les milliers de blessés et de disparus. Pour la seule année 2019, le bilan dans ce pays a dépassé les 30.000 morts. Face à l’incurie des États, les armées s’invitent généralement dans ces conflits pour remettre de l’ordre et consolider la sécurité nationale.

Arrivés à un seuil, les trafics des drogues mènent inéluctablement vers l’acquisition des armes. Parce qu’ils disposent de moyens financiers conséquents, et de moyens militaires aussi, les cartels arrivent à infiltrer les structures administratives et politiques, et à imposer leurs lois par la corruption et la menace quand c’est nécessaire. Pour régner par la force sur la société, ils ne sont jamais dirigés par les plus tendres d’entre eux, mais certes par les plus puissants et surtout par les plus impitoyables.

De la Mara Salvatrucha à la Cosa Nostra

Les cartels les plus dangereux de l’histoire sont nombreux. On peut citer la Mara Salvatrucha, ou MS 13, d’origine salvadorienne qui opère en Amérique du Sud comme aux États-Unis. Au Mexique, c’est le cartel de Sinaloa à côté de Las Zêtas formé d’anciens militaires. Aux États-Unis, Bloods et Crips sont deux gangs rivaux afro-américains qui se disputent le territoire et le trafic des drogues parmi tant d’autres. En Europe, à côté de la Mafia, c’est la Cosa Nostra sicilienne qui contrôle les circuits de la drogue. Leurs noms diffèrent, mais leur objectif est le même, affaiblir les États et imposer leur loi.

Ces cartels sont souvent composés de puissantes familles qui unissent leurs forces pour créer des organisations familiales afin d’opérer dans la discrétion la plus totale. La division du travail est bien répartie entre elles. Chaque groupe est réputé pour une activité donnée telle que la production, l’achat, la commercialisation des stupéfiants ou le blanchiment. Toutes les familles mettent leurs savoir-faire et leurs ressources pour établir et maintenir une présence dominante sur le marché et parfois étendent même leur influence jusqu’à la classe politique du pays.

Ce contrôle strict par les mêmes groupes liés par le sang permet la discrétion et la prise de décision rapide et efficace pour aplanir les difficultés et faire fructifier les affaires. Quand une personne est emprisonnée ou décède, elle est vite remplacée pour permettre aux rouages des affaires de fonctionner.  À la tête de chaque groupe, un insaisissable conseil des anciens expérimentés se trouve au sommet de la hiérarchie. Ce sont là des individus influents qui détiennent le pouvoir décisionnel, engagent des partenariats et prospectent les marchés extérieurs.

En dessous, se trouvent les chefs des différentes familles dont chacune est chargée d’exécuter et de superviser les opérations, ou alors de contrôler des territoires géographiques donnés. Ces structures hiérarchiques permettent une meilleure coordination corroborée à une connaissance des mécanismes régionaux et internationaux pour mener des opérations avec le minimum de risques. Ceci garantit qu’aucune famille ne détient un pouvoir excessif par rapport aux autres. Ainsi, en cas d’arrestation, le système peut continuer à fonctionner efficacement pour alimenter les marchés.

C’est ce même schéma que les cartels tendent à reproduire dans tous les pays, qu’ils soient de passage ou de destination finale. Pour plus d’efficacité, le centre essaie de dupliquer les mêmes mécanismes d’organisation, tout en s’adaptant aux réalités de la périphérie. Avec des opérations réparties sur plusieurs continents, les cartels deviennent des multinationales qui établissent des franchises pour répondre aux besoins locaux. Ils s’installent là où il y a un marché, des consommateurs, de la corruption, et surtout du profit. De la production à l’écoulement et au blanchiment, les tentacules des cartels s’étendent ainsi autour de la planète.

Plus ils s’agrandissent et s’enrichissent, plus les cartels s’intéressent au pouvoir politique et aux jeux d’influence. Ils sont impitoyables et sans scrupules pour dominer la société, s’accaparer des pans entiers de l’économie d’un pays, et assouvir les besoins inassouvis de leurs membres. Quand cela s’avère nécessaire, ils n’hésitent pas à dénoncer les adversaires, acheter des consciences et même commettre des crimes pour éliminer les traîtres à la cause.

Ces règlements de compte déstabilisent par conséquent les pays. Ils faussent la concurrence légale entre les acteurs politiques et économiques, et au final mènent dangereusement vers l’instauration d’un État au sein de l’État. Leurs importants moyens financiers, récoltés des ventes des stupéfiants, permettent d’atteindre les centres politiques, les forces de l’ordre, et même des personnes de la société civile. Ceci finit par perturber le bon fonctionnement de l’État et rend, avec le temps, tout démantèlement de ces réseaux difficile.

La coopération internationale est le seul remède

Toute cette force des cartels provient de leur capacité à opérer dans l’ombre sans être détectés par le pouvoir quand celui-ci n’est pas complice. Leur planification méticuleuse et leur travail opaque rendent difficiles de les infiltrer et de rassembler les preuves de leurs actes délictueux. L’argent sale et la menace sont les outils essentiels pour eux de s’assurer que les fuites et les trahisons soient réduites au minimum.

Cette nature insaisissable ajoute plus de difficultés et de mystères sur ces nébuleuses qui disposent de forces redoutables et qui évoluent dans un monde peu connu et souterrain. Pour mieux les saisir, cela nécessite une plongée profonde dans l’interaction complexe de cet écosystème qui baigne entre l’économie, la politique, les dynamiques du pouvoir, et les activités criminelles de toutes sortes. Comme face au terrorisme et aux autres crimes transfrontaliers, la coopération internationale est le seul remède pour venir à bout de ce phénomène ou, tout au moins, espérer en réduire le danger.

Pour leur part, les États n’ont de choix que de mettre en œuvre des stratégies pour combattre ces cartels. Ils renforcent leurs législations pour criminaliser leurs activités liées à ces trafics, y compris la production, la vente et le blanchiment. Ils collaborent entre eux pour échanger les renseignements, coordonner les opérations conjointes, et extrader les criminels présumés. Mais  à l’évidence, la meilleure prévention reste la mise en œuvre de programmes au niveau national pour sensibiliser les citoyens aux dangers des drogues et les dissuader de s’engager dans cette voie sans issue.

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