Mohamed A. El-Erian

Conseiller économique en chef d’Allianz

Le risque croissant de troubles mondiaux

Le 22 décembre 2023 à 8h16

Modifié 22 décembre 2023 à 8h16

L'ordre économique mondial dirigé par l'Occident a connu une mauvaise année 2023. Étonnamment, la cause première n'a pas été l'émergence d'un ordre alternatif dirigé par la Chine, comme l'avaient prévu certains. Au lieu de cela, c'est le stress interne qui a conduit à davantage de doutes dans le monde entier quant à son efficacité et sa légitimité.

CAMBRIDGE - Mais il est peu probable qu'un nouvel ordre international émerge de sitôt. Au lieu de cela, alors que de plus en plus de pays décident de s'auto-assurer en construisant des alternatives à l'ordre mené par l'Occident, l'économie mondiale risque une plus grande fragmentation, une érosion du le rôle de leadership de l'Amérique et une accélération dans la réorientation systémique vers le désordre.

Certes, les doutes sur l'ordre économique dirigé par l'Occident ont commencé bien avant 2023. Au cours des quinze dernières années seulement, sa crédibilité et son bon fonctionnement ont été minés par des erreurs politiques qui ont entraîné une série de perturbations. Il s'agit notamment de la crise financière mondiale de 2008, de la militarisation croissante des sanctions en matière de commerce et d'investissement, de la distribution inégale des vaccins contre la COVID-19, de la caractérisation erronée par les banques centrales de l'inflation comme « transitoire » et des conséquences des hausses agressives des taux d'intérêt des banques.

Le système multilatéral a été encore affaibli par son incapacité à relever les défis mondiaux urgents tels que le changement climatique et la dette écrasante dans les pays du Sud. Alors que ces pressions s'intensifient, les institutions dominées par l'Occident sont de plus en plus considérées comme inefficaces et insuffisamment inclusives.

Deux événements en particulier ont alimenté une frustration généralisée face à l'ordre mondial dirigé par l'Occident cette année. Premièrement, comme cela est maintenant largement établi, la Russie a réussi à maintenir des relations commerciales actives malgré des sanctions ostensiblement étouffantes, qui ont limité la capacité du pays à utiliser le système de paiement international SWIFT et plafonné le prix de ses exportations de pétrole. Bien que les systèmes de commerce et de paiement ad hoc conçus par les technocrates russes soient loin d'être rentables, ils ont permis à la Russie de minimiser les dégâts causés à son économie nationale et de financer son effort de guerre en Ukraine.

En outre, dans ses efforts pour contourner les sanctions occidentales, la Russie a reçu le soutien d'un groupe croissant de pays (bien qu'encore relativement réduit). Le succès limité du régime de sanctions a érodé la conviction selon laquelle les pays du monde entier n'ont d'autre choix que de faire partie de l'ordre économique dirigé par l'Occident.

Deuxièmement, pour de nombreux pays, le rôle joué par les États-Unis dans la guerre en cours entre Israël et le Hamas a mis en évidence le manque de substance de l'engagement déclaré de l'Occident à défendre les droits humains fondamentaux et leur non-respect du droit international.

Au cours de mes récents voyages, j'ai rencontré de nombreuses personnes qui ont réitéré les avertissements sévères du Secrétaire général des Nations Unies António Guterres, concernant le manque de protection des non-combattants à Gaza, l'effondrement du système de santé de Gaza, le nombre record de morts parmi le personnel humanitaire des Nations Unies et les menaces imminentes de famine généralisée, de maladie, de désordre civil sans oublier un nouveau déplacement massif de civils.

Comme le président américain Joe Biden l'a récemment reconnu, des millions de personnes dans le monde pensent à présent que la réponse d'Israël au meurtre de masse de citoyens israéliens par le Hamas le 7 octobre est allée trop loin, Israël perdant ainsi le soutien international. Lors du dernier vote de l'Assemblée générale des Nations Unies sur un cessez-le-feu, 153 pays ont voté pour et seulement dix contre, avec 23 abstentions.

Un nombre croissant de pays ont déploré l'impunité avec laquelle Israël a été autorisé à ignorer le droit international et à bombarder des civils, dont des milliers de femmes et d'enfants. Beaucoup sont horrifiés par les avertissements de Philippe Lazzarini, Commissaire général de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, qui a décrit à plusieurs reprises l'état actuel de Gaza comme « un enfer sur Terre ».

Alors que la crise humanitaire à Gaza continue de s'aggraver, plusieurs pays ont exprimé la crainte que les États-Unis, en ne réprimant pas leur allié le plus proche, ne lui donnent en fait les moyens de ses actes. La décision de l'administration Biden de contourner le Congrès pour fournir davantage d'aide militaire à Israël, un jour seulement après que les États-Unis ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU appelant à un cessez-le-feu humanitaire à Gaza, a renforcé cette perception.

Quelle que soit la position de chacun sur ces développements, ils ont remis en question l'efficacité et la légitimité de l'ordre international dirigé par l'Occident et risquent d'accélérer la transition en cours d'une économie mondiale unipolaire à une économie mondiale multipolaire. Alors que les puissances moyennes s'affirment de plus en plus sur la scène mondiale, elles encourageront les petits pays alignés sur l'Occident à envisager la perspective de devenir des « États pivots ».

Les puissances occidentales doivent s'attaquer à cette menace de manière franche et directe. Il faudra certes du temps pour réparer les dégâts déjà causés, mais les dirigeants politiques doivent s'attacher à atténuer le risque d'une nouvelle fragmentation et à prévenir une rapide descente dans le désordre international en renforçant l'architecture multilatérale existante. Cet effort devrait commencer par relancer les initiatives de réforme antérieures au sein des institutions clés, à commencer par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. L'accent devrait être mis principalement sur la voix et la représentation, le démantèlement des processus de nomination désuets qui profitent aux intérêts de l'Occident et la modernisation des procédures opérationnelles.

Ces réformes sont cruciales pour l'ordre dirigé par l'Occident qui a bien servi le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si le cadre international actuel devait échouer, il ne serait pas remplacé par un nouveau système centré sur la Chine, mais par davantage de désordre mondial. Un tel résultat nuirait à tout le monde à court terme. Cela nuirait également à notre capacité collective à relever des défis complexes et de plus en plus préoccupants à long terme.

© Project Syndicate 1995–2023

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